SYSTÈME DE GOUVERNANCE : La démocratie en otage, sauvons-la !

Dr DIPLAL MAROAM

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Dr DIPLAL MAROAM

Presque partout à travers le monde, le leitmotiv populaire est, ces jours-ci, axé sur le changement. Tant au niveau politique qu’économique. En effet, il n’est plus possible aujourd’hui de nier les conséquences néfastes d’un système de développement animé d’une logique de court-terme, mettant l’accent sur l’aspect purement matériel et reléguant dans le décor le facteur humain, pourtant moteur de la croissance et du progrès. Et la dernière mutation de ce système, la globalisation, n’a fait qu’accentuer cette tendance qui a furtivement engendré un milieu fertile, propice à la prolifération de la précarité et de l’inégalité.

En Europe, par exemple, la montée en puissance de l’extrême droite est le résultat incontestable d’une désillusion populaire que l’alternance au pouvoir des partis traditionnels qui se ressemblent tous, que ce soit en termes de développement économique ou de politique générale d’orientation nationale, n’a jamais pu juguler. C’est pourquoi, dans le but de s’accrocher au ou de conquérir le siège tant convoité du pouvoir, tous les moyens sont bons, parfois même les plus vils et répréhensibles, ce qui explique manifestement, l’implication des sommes de plus en plus conséquentes dans les campagnes pour tenter d’appâter l’électorat.

Ainsi, le système de la démocratie est aujourd’hui pris en otage, pour ne pas dire, parasité ou subjugué par le facteur de l’argent, vecteur par excellence de la corruption et la malversation. Ce qui fait que c’est le parti possédant les ressources financières les plus conséquentes qui serait le plus à même de pouvoir, à la fin du jour, goûter au fruit de la victoire. C’est pourquoi, dans le but de valoriser le commandement fondamental d’ordre moral que représente l’égalité des chances au niveau électoral, il est impératif de redonner à la politique ses lettres de noblesse en réduisant sa dépendance grandissante sur le paramètre du capital et replaçant simultanément le coefficient humain au centre de toutes ses activités. Or, en rehaussant significativement les dépenses des candidats lors des élections, mesure que préconisait d’ailleurs le Political Financing Bill, récemment présenté à l’Assemblée nationale chez nous mais rejeté faute de soutien d’une majorité de trois quarts, c’est un signal contraire qui est envoyé à la population dans son ensemble, ce même si, dans des contextes particuliers, le prix de la démocratie ne peut être évalué.

D’ailleurs, vu l’enjeu crucial des prochaines législatives à Maurice – pour certains leaders « historiques » en effet, ce serait définitivement l’élection de la dernière chance – dont le coup d’envoi de la campagne a été donné par l’opposition le 11 août, les dépenses pourraient atteindre de nouveaux sommets. Car, la tension politique actuelle étant ce qu’elle est, personne manifestement n’accepterait le verdict de l’échec ; Navin Ramgoolam ayant même lancé une sévère mise en garde lors de ce meeting de La Louise en faisant allusion aux événements survenus au Sri Lanka en juillet 2022 et au Bangladesh récemment où les pouvoirs respectifs avaient été renversés par la rue.

D’autre part, il convient de constater que, quels que soient le système ou l’idéologie politique, l’appartenance partisane des dirigeants, le souhait fondamental du citoyen lambda demeure, d’abord et surtout, un avenir meilleur et une qualité de vie améliorée pour lui et toute sa famille. Tout le reste n’est que le cadet de ses soucis. Encore moins la politique politicaille. Alors que les politiciens ont toujours en ligne de mire les prochaines élections sans pour autant se soucier des générations futures, la population, elle, dans sa grande majorité, n’est guère préoccupée par l’administration d’un gouvernement si celui-ci, minoritaire ou pas, arrive, tout de même, à accomplir sa mission dans l’intérêt général de la nation. Ainsi, avec seulement 37% de votes en 2019 mais 63% de sièges à l’Assemblée nationale, le MSM a pu, tant bien que mal, naviguer dans une mer pas toujours calme pour finalement mener sa barque au bon port.

Dans ce même contexte, aux législatives du 4 juillet dernier en Grande-Bretagne, le parti Travailliste avec seulement 34% de voix a raflé la grande majorité des sièges, soit 412 sur 650, et a pu, sans grande peine, composer son équipe dirigeante sans qu’elle soit qualifiée par les citoyens ou politiciens de minoritaire ou d’illégitime. Si ce parti a pu augmenter son nombre de sièges à la House of Commons par plus de 200, 214 précisément, par rapport à 2019, c’est que les Britanniques ont exprimé un vif désir de changement quoique les votes qui ont torpillé la barque des Conservateurs (112 sièges seulement, soit 252 de moins qu’en 2019) ont été, dans une grande mesure, éparpillés entre les LibDem (72 sièges, soit 64 de plus qu’en 2019), Reform UK (5 sièges) et Green (4 sièges). Mais quoi qu’il en soit, l’essentiel c’est qu’un gouvernement avec une majorité claire et nette a pu émerger des urnes – condition sine qua non de stabilité  et pour la mise en oeuvre de son projet de développement.

En France, en revanche, deux tours de vote pour les législatives anticipées du 30 juin et 7 juillet dernier n’ont pu permettre l’émergence d’une majorité absolue pour identifier, sur le champ, un PM autour duquel se cristalliseraient les membres du gouvernement ; les votes étant si dispersés entre l’Union de la Gauche (178 députés sur 577), Ensemble (majorité présidentielle) avec 150 députés et Rassemblement National de Marine Le Pen avec 125 députés. Un tel scénario quasi inextricable aurait bien pu aussi se produire en Grande-Bretagne dans le cas d’un second tour, ce alors que tout processus électoral démocratique a pour but ultime justement d’identifier les dirigeants d’un pays. En outre, le système de cohabitation entre l’Élysée, dont le locataire est pourtant élu au suffrage universel et Matignon, constitue un frein significatif à l’avancement et la traduction en pratique des programmes présidentiel et gouvernemental. Comme quoi, tel un serpent qui se mord la queue, trop de démocratie anéantit ses propres valeurs et pourrait même produire un effet boomerang sur la gouvernance et l’administration d’un État.

À Maurice, notre configuration sociale étant ce qu’elle est, beaucoup de prudence doit être exercée dans le cadre d’une probable révision du système de représentation nationale afin que la stabilité que procure, peu ou prou, l’actuel dispositif, ne soit pas chamboulée de manière significative. Certes, dans l’éventualité d’une confrontation triangulaire, comme c’était déjà le cas dans le passé, en décembre 1976 par exemple, un arrangement post-électoral, si besoin est, repousserait toute possibilité d’ingouvernabilité, mais toujours est-il qu’une réforme électorale, projet occupant une place prépondérante dans les programmes des partis mainstream, devrait essentiellement s’articuler autour d’un pivot central que constitue justement la consolidation de la stabilité socio-politique tout en prenant en compte l’assainissement des campagnes eu égard aux dépenses électorales démesurées.

                                                                                                                             

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