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Sylvio Michel : « Le PM a commis une trahison envers le pays »

Dans un entretien accordé à Le-Mauricien hier, Sylvio Michel, qui a été étroitement associé à la lutte des Chagossiens pendant plusieurs décennies et depuis le début de ce drame humain, a livré ses premiers commentaires après la conclusion de l’accord intervenu entre Maurice et la Grande-Bretagne. Il considère que le Premier ministre, Pravind Jugnauth, « a commis une trahison envers le pays » en acceptant de céder la souveraineté de Maurice sur Diego-Garcia aux Britanniques avec un bail de 99 ans. Il accuse ces derniers d’avoir agi comme des colonisateurs patentés et sans remords.

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Après l’accord conclu jeudi entre Maurice et la Grande-Bretagne, le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a annoncé qu’après 56 ans d’indépendance, la décolonisation du pays a été complétée. Vous avez suivi le dossier Chagos depuis plusieurs décennies. Comment avez-vous accueilli cet accord ?
Premièrement, lorsque nous avons appris la convocation d’une réunion spéciale du Conseil des ministres, qui serait suivie d’une déclaration du Premier ministre, nous avions tous cru qu’il annoncerait la dissolution du Parlement. Finalement, il s’est avéré que c’est du dossier des Chagos qu’il s’agissait.

Nous dirions que c’était un secret qui était bien gardé. Je suis ce dossier depuis 55 ans et j’estime que c’est le plus grand tort qui a été commis à la République de Maurice. Il ne faut pas oublier que depuis 1965, une partie du territoire mauricien a été détachée pour créer les British Indian Ocean Territories (BIOT), que personne ne reconnaît, sauf les États-Unis. Ce qui fait que depuis 1965, Maurice a enregistré une grande perte sur le plan économique. Le problème, c’est que l’accord qui a été signé jeudi comprend des termes qui sont délibérément vagues. Ce qui me semble inacceptable, c’est que malgré qu’on utilise le terme décolonisation, la Grande-Bretagne nous traite comme des colonisés. Ce pays a trouvé un moyen de garder le contrôle sur Diego-Garcia, qui fait partie de l’ensemble du territoire de l’archipel des Chagos.

Il met également des conditions, comme la création d’un parc marin et la nécessité de s’occuper de l’environnement, et il compte accorder un financement à ce sujet. Il agit donc comme un colonisateur sur un territoire qui, supposément, il nous a rendus. Lorsque le Premier ministre a donné son aval à cet accord, il a commis une trahison envers le pays. Comme il avait indiqué lors d’un dîner à la Maison-Blanche, il n’a aucun problème avec la base militaire américaine. Ce faisant, il s’est privé de tous les moyens pour fixer le montant approprié afin de maintenir cette base. Pravind Jugnauth a agi contre les intérêts de la République. Il se met ainsi en porte à faux avec la position adoptée par son père, sir Anerood Jugnauth.

Lorsque j’ai été élu pour la première fois au Parlement, j’ai vu Anerood Jugnauth, alors leader de l’opposition, se mettre debout pour dire : « Si bizin pran enn bato pou al laba, mo pou fer li. » Il n’a pas réussi à s’y rendre, mais il est parvenu à présenter une motion à l’Assemblée nationale des Nations Unies pour faire respecter les droits de Maurice après avoir été à la Cour internationale de Justice de La-Haye. Aujourd’hui, alors qu’un grand nombre de pays africains nous ont soutenus, nous nous étonnons de la facilité avec laquelle nous avons cédé Diego-Garcia la Grande-Bretagne et de l’opacité dans laquelle les choses se sont déroulées. Nous nous demandons où Pravind Jugnauth veut aller.
En réalité, ce qu’il l’inquiète, ce sont les élections générales. D’ailleurs, toutes les décisions qu’il a prises ces derniers temps ont directement trait aux élections. C’est le cas pour les promesses faites aux personnes âgées qui, à l’évidence, ont foiré. S’il pense qu’il remportera les élections avec le dossier des Chagos, il se trompe. À mon avis, il a mis un Own Goal. Chaque Mauricien doit comprendre qu’il a été trahi par Pravind Kumar Jugnauth.

Cet accord est-il une bonne chose pour le peuple chagossien ?
Pour moi, la trahison est plus grande vis-à-vis des Chagossiens. Nous nous souvenions comment, à une question du sénateur Edward Kennedy, les Anglais avaient répondu qu’il n’y avait aucun habitant dans l’archipel. Ce qui était un mensonge. Lorsque vous pensez aux traitements qui ont été réservés à ces Chagossiens… Nous avons eu à mener une lutte sans merci. Ils sont arrivés à Maurice à partir de 1975, et ce n’est qu’en 1983-84 qu’ils avaient obtenu une réparation sommaire. Nous avions eu à organiser des manifestations, des marches pacifiques, à financer les services d’avocats étrangers pour obtenir quatre millions de livres sterling, avec pour résultat que toutes les maisons construites pour les Chagossiens ont été vendues, parce que ces derniers n’avaient pas de moyens de subsistance. Et quelle maison? Ces logements étaient comme des boîtes d’allumettes pour deux personnes. Nous les avions visitées et avions vu des matelas répandus sur le sol pour les enfants. C’était la grande misère et la grande détresse.

Aujourd’hui, la majorité est en Grande-Bretagne, où ils vivent dans la misère. Je considère que c’est un crime contre l’humanité, parce qu’on a déraciné un peuple qui, par la suite, a été laissé à l’abandon. Je me souviens d’une grève de la faim organisée à Riche-Terre. À un moment, sir Seewoosagur Ramgoolam nous avait invités à son bureau pour nous demander, avec colère, comment on pouvait se permettre de mettre la vie des gens en danger. Nous lui avions fait comprendre qu’au contraire, la grève de la faim avait pour but de le réveiller de sa trahison envers ces îlois. Nous lui avons dit que c’est lui qui devait avoir honte.

Aujourd’hui, que prévoit-on pour les Chagossiens ? Nous ne savons pas. Ce n’est pas clair. Soi-disant ils pourront rentrer aux Chagos. Est-ce que vous voyez quelqu’un quitter la Grande-Bretagne pour vivre aux Chagos ? Or, le sort des Chagossiens aurait dû être au centre des négociations entre Maurice et les Britanniques. Malheureusement, ils ont été maintenus à l’écart. Maintenant, ils apprennent qu’ils pourront s’installer dans l’archipel, alors qu’ils n’ont rien obtenu de consistant jusqu’ici. Maurice n’a rien obtenu non plus. Les seuls qui en ont profité sont les Britanniques et les Américains, d’autant que Diego-Garcia est utilisée pour la défense de l’Occident.

Avec l’accord conclu avec les Britanniques, Maurice fait subitement partie de l’OTAN sans rien obtenir, alors que les États-Unis paient des sommes considérables à l’Allemagne pour accueillir l’armée américaine. À Maurice, nous avons décidé de céder notre souveraineté sur Diego-Garcia pour une période initiale de 99 ans. On nous prend pour des imbéciles. En fait, on nous a mis dans une position vulnérable dans l’éventualité d’une guerre. Ce qui m’amène à dire que Pravind Jugnauth a mis un clou dans son cercueil. Voilà ce que j’ai à dire…

Est-ce que tout cela vous rappelle la lutte menée par votre frère, Elie ?
Nous avions parlé plus tôt d’une grève de deux jours avec les femmes chagossiennes. Je me souviens du comité Bacha, institué pour régler les problèmes. Un jour, Charlésia Alexis et Elie, mon frère, s’étaient rendus à l’Hôtel du Gouvernement pour des discussions. Ils se sont heurtés à la Riot Unit. On les a expulsés de l’hôtel du gouvernement. Je les attendais au Jardin de la Compagnie. Lorsqu’ils sont retournés, et tenant en compte l’état d’esprit dans lequel ils se trouvaient, nous avons organisé spontanément une grève de la faim, qui avait duré 27 jours. Dès que nous avons commencé cette grève, le Premier ministre d’alors, sir Seewoosagur Ramgoolam, avait quitté le pays. Et c’est sir Satcam Boolell qui assurait la suppléance, sans aucun pouvoir.

Tout le peuple chagossien était là. Mon frère les accompagnait le soir. Je le relevais le matin afin qu’il puisse aller travailler dans sa pâtisserie. Au retour de sir Seewoosagur Ramgoolam, voyant que la grève se poursuivait, il nous a appelés. C’est à la suite de cela qu’une délégation s’était rendue en Grande-Bretagne pour débloquer la situation.

Mon frère était une personne déterminée. S’il était encore vivant, il aurait été très en colère. Je dois dire que le 1er février 2022, les membres du Mouvement Fraternel étaient les seuls à manifester devant l’ambassade américaine. En plein Covid-19, la police avait dans un premier temps refusé de nous donner la permission. Nous avions dû nous rendre devant la Cour suprême. Finalement, la police a accordé la permission avec une série de permissions, dont le port obligatoire du masque. Seul le journal Le-Mauricien avait offert une couverture à cette manifestation. Depuis 2022, il n’y a pas eu de manifestations, sauf une l’année dernière, alors que le leader de l’opposition d’alors, Xavier-Luc Duval, avait posé une interpellation au Parlement.

Je ressens une grande tristesse en regardant tout cela. J’espère que le peuple mauricien réalise que Diego-Garcia, qui fait partie des Chagos, est notre territoire, et comprenne la gravité de la situation. Alors comme cela, dans l’opacité et dans le secret, nous signons un traité pour céder la souveraineté sur Diego-Garcia aux Britanniques pour 99 ans ? Je pense qu’Olivier Bancoult se trompe lorsqu’il applaudit. Il n’a pas le sens de l’histoire. Le gouvernement mauricien doit obtenir le droit total sur les Chagos. S’il y a des négociations à mener, c’est avec les États-Unis, qui règnent en maître sur Diego-Garcia, qu’il faudrait discuter. Ce n’est pas avec les Britanniques, qui agissent comme des colonisateurs, et qu’il faut négocier.

Que faudrait-il faire ?
Nou pa pou bes lebra. Les élections sont devant nous. Pravind Jugnauth pense que cet accord l’aidera à remporter ces élections. Dans la circonscription No 10, il veut faire croire aux gens que le gouvernement obtiendra de l’argent pour trois budgets. Où est donc passée notre dignité comme peuple mauricien ? Est-ce qu’on peut acheter notre conscience avec de l’argent ?

Maurice est un pays indépendant. En tant que patriotes, nous ne pourrons pas rester tranquilles; il faudra lutter pour défendre ne serait-ce qu’une parcelle de notre territoire. Il ne faut pas oublier que nous nous sommes battus pour que l’océan Indien devienne une zone de paix.

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