Le ministre du Développement industriel, des PME et des Coopératives, Sunil Bholah, considère qu’il est possible d’augmenter les exportations du secteur manufacturier de 50%. Il explique qu’après les soubresauts qu’aura connus ce secteur en 2020 en raison de la pandémie de Covid-19, la manufacture aura fait preuve de résilience, lui permettant de traverser le deuxième confinement « sans grand problème ». Une de ses priorités consiste à éliminer l’inadéquation entre la formation professionnelle et les besoins en matière de techniciens dans le domaine industriel.
Quelles sont vos appréhensions concernant le secteur industriel et les PME, alors que le pays passe par une nouvelle crise sanitaire, au point que le Premier ministre affirme que le pays est en plein cyclone ?
La déclaration du Premier ministre, Pravind Jugnauth, ne concernait pas le secteur économique. Elle concernait surtout la situation sanitaire dans le pays et dans le monde. La découverte du nouveau variant Omicron a amené plusieurs pays à suspendre leurs dessertes aériennes avec l’Afrique du Sud et les pays de l’Afrique australe. La France avait suivi et avait malheureusement placé Maurice dans la catégorie rouge écarlate. Nous nous réjouissons que les autorités françaises aient entendu notre appel en retirant le pays de cette catégorie.
Nous sommes désormais sur la liste rouge, tout simplement. Désormais, les touristes vaccinés peuvent, s’ils le souhaitent, venir à Maurice, et vice-versa, sans motifs impérieux. Nous félicitons tous ceux qui ne s’étaient épargné aucun effort pour convaincre les autorités françaises de la nécessité d’assouplir ses restrictions par rapport à Maurice.
Estimez-vous que la crise sanitaire que nous connaissons n’affecte pas tellement l’économie ?
On ne peut pas dire qu’elle n’affecte pas l’économie et la production. Cependant, la résilience, l’effort et la volonté des opérateurs qui ont investi permettent de surmonter toutes les crises, surtout que des milliers d’emplois sont concernés. Il y a eu un changement au niveau des habitudes des clients, qui favorisent les petites commandes Just In Time. Ensuite, les commandes en ligne ont pris de l’ampleur. Le gouvernement a, pour sa part, créé des plans d’aide pour soutenir les entreprises. Tout cela a permis aux opérateurs de maintenir le cap, malgré les conditions difficiles. Vous avez parlé de la performance des grandes entreprises. Quid des petites et moyennes entreprises (PME) ? Les PME ont toujours été vulnérables et peuvent être affectées au moindre choc. A ce niveau, la démarche de créer des Wages Assistance Schemes pour leur permettre de maintenir la tête hors de l’eau est louable. La DBM a introduit une série de plans d’aide et de financement. Beaucoup de PME ont pris avantage de ces plans de financement. SME Mauritius a également apporté son aide pour leur permettre de poursuivre leurs opérations. Les PME sont dans une large mesure des entreprises familiales qui emploient un ou deux travailleurs. Le fait que le gouvernement ait pris en charge les salaires a aussi facilité leurs opérations.
L’endettement et les finances figurent parmi les principaux problèmes auxquels sont confrontées les PME. Quelles sont les autres formes d’aide que leur a apporté le gouvernement ?
Autant que je sache, les comptoirs de la DBM ont reçu des quantités de demandes chaque jour. Il y a eu, à un certain moment, une suspension des remboursements des prêts. Le budget a également introduit des mesures en faveur des PME et elles se sont senties soulagées. À travers le SME Graduate Scheme, nous mettons des gradués à leur disposition pour les aider à se réorienter. Elles bénéficient également d’une subvention pour le renouvellement de leurs équipements, et cela peut aller jusqu’à 40% du prix des équipements concernés. Ce qui leur permet de moderniser leurs équipements.
Quel regard jetez-vous sur le secteur manufacturier en général ?
Avec le passage de la pandémie, il est évident qui rien ne sera plus comme avant. Nous ne reverrons pas les réalités qui prévalaient avant le Covid. Il nous faudra nous préparer à introduire de nouveaux protocoles sanitaires avec l’arrivée des nouveaux variants. Actuellement, nous avons été obligés de suspendre nos dessertes aériennes avec l’Afrique du Sud. Il nous faudra être suffisamment agiles pour nous adapter à toutes les situations. Heureusement qu’un taux élevé de la population a été vacciné et qu’ils ont obtenu leurs deux doses vaccinales. Maintenant, nous avons commencé la dose de rappel afin de mieux protéger la population. Concernant le secteur manufacturier, l’optimisme est de rigueur. D’ailleurs, les carnets de commandes pour les trois ou quatre mois à venir sont remplis. J’effectue régulièrement des visites dans les entreprises, qui me donnent l’occasion de discuter avec les entrepreneurs. J’ai visité récemment l’usine Filaos, qui emploie 700 employés mauriciens, et pas un seul expatrié. C’est extraordinaire. J’ai été impressionné par les dispositions sanitaires qui avaient été mises en place avant le Covid.
Il existe dans cette entreprise une ambiance conviviale parmi les employés, dont certains y travaillent depuis 45 ans. Si seulement toutes les usines pouvaient prendre ces entreprises en exemple, ce serait extraordinaire. J’ai aussi visité une usine engagée dans la bijouterie dans le nord, qui a des commandes. Dans le secteur du textile, nous sommes en présence de demandes pour le recrutement de 200 travailleurs étrangers.
Le ministre du Travail a pour tâche de s’assurer que le recrutement des travailleurs étrangers ne mette pas en péril la situation sanitaire dans le pays. Dans le secteur de l’industrie de la pêche, la situation est stable. Au niveau des équipements médicaux, Natec, qui se trouve actuellement à Ébène, est en train de doubler sa production et son effectif. Une nouvelle usine est un cours de production à Côte-d’Or. Au niveau de la joaillerie, la production a connu une hausse de 42% durant les trois premiers trimestres cette année. Je suis satisfait que le dialogue installé entre mon ministère et les industries ait porté ses fruits
Quelles sont les structures mises en place pour faciliter ce dialogue ?
Depuis mars 2020, nous avons institué un comité comprenant la MEXA, la MCCI, SME Mauritius et les cadres de mon ministère, et nous passons régulièrement en revue la situation et les problèmes, que nous résolvons au fur et à mesure qu’ils se présentent. Un des objectifs de votre ministère consiste à encourager la technologie et l’innovation.
Avez-vous réussi à le mettre en pratique ?
Je dois reconnaître que certaines grandes usines étaient déjà tournées vers la technologie et l’innovation avant mon arrivée au ministère. Je pense à RT Knits, à la CMT, etc. L’industrie 4.0 est une nécessité. Pour réaliser cela, il nous faut disposer de toutes les infrastructures nécessaires, dont la fourniture d’électricité et d’eau, ainsi qu’un bon réseau de communication. Il faut que les industries acceptent d’épouser les nouvelles technologies comme la robotique, l’“internet of thing”, l’impression 3D, l’intelligence artificielle… Il nous faut également avoir les talents nécessaires pour les faire fonctionner. Mon ministère a organisé le 11 novembre un atelier de travail pour s’intéresser au problème d’inadéquation entre la formation et les industries. Ce problème d’inadéquation avait créé une situation où les gradués étaient au chômage, alors que l’industrie manquait de compétences. J’attends le rapport, parce qu’il nous faudra réorienter le programme de formation sur les besoins des industries en matière de compétences dans les domaines techniques.
Nous allons nous atteler à travailler avec l’Université de Maurice, l’UOT, Polytechnics Mauritius… Mais également avec des universités privées comme Charles Telfair et d’autres pour décider d’une stratégie concernant la formation. Il faudra trouver les moyens pour qu’on en finisse une fois pour toutes avec ce problème d’inadéquation dans les années à venir.
La MEXA a développé un programme de formation intéressant au niveau industriel…
Tout à fait. Nous encourageons de telles initiatives. Le ministère de l’emploi a aussi un programme dans ce sens. Cependant, ce n’est pas suffisant, mais cela nous encourage les uns et les autres à aller dans cette direction.
Donc, vous vous intéressez également à la formation professionnelle ?
Notre atelier de travail était surtout axé sur la formation. Il s’agissait de savoir quelle formation, dans quel domaine, quelles sont les incitations qui devront être introduites. Attendons le rapport, on pourra en parler plus longuement.
Vous avez récemment parlé d’un rapport qui déplore le manque d’intérêt des PME dans l’informatisation de leur entreprise…
Pour cela, nous avons l’Industrial Policy and Strategic Plan 2025, réalisé avec l’aide de l’UNCTAD. Un expert sud-africain nous avait aidés à réaliser ce rapport, qui a été soumis depuis l’année dernière. Des sous-comités publics et privés, qui comprennent des représentants des principales industries, travaillent sur les recommandations.
Malheureusement, que nous le voulions ou pas, nous sommes en pleine pandémie, ce qui perturbe le travail que nous avons initié. Nous y travaillons Forcefully
Qu’en est-il du rapport de Genesis Analytics ?
Ce rapport concerne essentiellement l’utilisation des plateformes en ligne et les réseaux digitaux. Ce qui est totalement différent. Cependant, force est de constater que ce rapport met en lumière la sous-utilisation de l’informatique au niveau des PME. Il observe que seulement 50% des entreprises utilisent l’informatique. L’outil informatique est pourtant primordial pour le développement d’une entreprise.
D’ailleurs, SME Mauritius a un plan qui consiste à aider financièrement les entreprises qui souhaitent développer une page Web. L’objectif est que toutes les PME puissent avoir accès à l’informatique. Cela permet à toutes les PME de parler le même langage et de communiquer avec leurs clients. Il faut reconnaître qu’avec le Covid-19, le commerce en ligne a pris de l’ampleur. J’ouvre une parenthèse pour dire qu’avec la propagation du système Work From Home, nous avons observé que la demande pour l’habillement formel a baissé. Cependant, la demande a augmenté pour les jeans et les t-shirts. Ce qui fait que les opérateurs engagés dans la production de ces deux produits ont vu une augmentation de leur production. Nous avons aussi noté une croissance des grosses commandes en ligne au détriment des grosses commandes habituelles. Le plus intéressant, c’est que nos opérateurs ont pu s’adapter à cette nouvelle tendance.
SME Mauritius est-il suffisamment proactif ?
Une des recommandations du 10 Year Master Plan consiste à développer des institutions avant-gardistes. C’est une jeune institution qui emploie une cinquantaine de personnes. Elle dispose d’antennes à Rose-Belle, Coromandel, Bel-Air et Goodlands. Je dois dire que cette institution a privilégié le travail, le rapport avec les entrepreneurs et la mise en place des programmes d’aide, ainsi que beaucoup de communication. Ses dirigeants sont présents sur le terrain. Ils ont organisé beaucoup de réunions dans les régions défavorisées de l’île pour encourager les gens à lancer leur entreprise. Malheureusement, la situation sanitaire actuelle ne permet pas de telles réunions. À peu près 600 personnes ont été formées dans les cinq centres du pays. Des cours en ligne seront organisés bientôt. Des cours sont prévus sur les produits en cuir et nous voulons que ce secteur devienne un pilier économique.
La production manufacturière se concentre beaucoup sur les produits traditionnels. Quid de l’innovation ? Quels nouveaux produits arrivent sur le marché ?
Tout dépend du marché. Prenons Rodrigues. Cette île sera toujours un marché où les touristes pourront trouver des produits artisanaux, comme les chapeaux, les paniers, etc. Ces produits sont à la base de l’entreprenariat à Rodrigues, où il y a le savoir-faire pour cela. SME Mauritius est présent dans l’île et aide les producteurs dans plusieurs domaines. Cela ne veut pas dire que nous n’avons pas initié des formations dans plusieurs nouvelles filières.
Qu’en est-il de la production de médicaments et de vaccins à Maurice ?
Je sais que l’EDB a reçu plusieurs demandes dans ces secteurs et je le laisse travailler sur ces dossiers Vous avez parlé du traitement des produits de la pêche. Mais ce secteur, et en particulier la pêche au thon, connaît quelques problèmes… Je sais qu’on éprouve un certain nombre de difficultés concernant le thon. Le ministre de la Pêche a pris certaines initiatives et les opérateurs sont plus ou moins satisfaits. Les exportations de produits de la pêche se passent bien en ce moment.
Dans le cadre du Covid, on a beaucoup parlé de production pour le marché local…
C’est une question qui est d’actualité depuis le début de la pandémie. Nous avons vu l’année dernière comment certains pays avaient mis l’accent sur la population. A un certain moment, on a eu peur de ne pouvoir importer les produits alimentaires dont on a besoin. Heureusement que nous avons réussi à nous approvisionner comme il le faut et qu’il n’y a pas eu de grandes perturbations. Cependant, nous avons pris les devants pour conscientiser la population sur la nécessité de privilégier la production locale. Nous avions réalisé un clip sur le thème “Privilégions la consommation locale”. Si les consommateurs locaux ne privilégient pas la consommation des produits locaux, les opérateurs ne prendront pas le risque de produire pour le marché local. Je dois toutefois dire qu’avec la hausse du coût du fret maritime, etc., beaucoup d’opérateurs locaux ont bénéficié de la situation. Prenons le cas de l’habillement : beaucoup de Mauriciens ont choisi de privilégier les produits locaux. Je connais des Wholesalers qui ont rencontré des difficultés pour s’approvisionner en costumes et robes, et qui ont dû se tourner vers les producteurs locaux.
Vous avez parlé de la hausse des coûts du fret maritime. On a entendu des producteurs mauriciens se plaindre de la perte de compétitivité sur le marché international à cause de cette hausse…
C’est vrai que le fret maritime a augmenté de manière vertigineuse. De plus, il y a eu des perturbations sur la desserte des navires de certaines compagnies, qui ne considèrent pas Maurice comme importante. Avant le Covid-19, le gouvernement avait préparé un Trade Promotion and Marketing Scheme (TPMS) ainsi que le Trade Rebate Scheme (TRS). Nous les avons maintenus. Ce qui a permis d’apporter une aide aux exportateurs.
60% du fret aérien pour l’exportation sont remboursés aux exportateurs. Cette mesure couvre tous les produits, à l’exception des machines, des animaux sur pattes et des produits chimiques. De plus, le nombre de ports éligibles pour le TPMS était au départ limité à 50 ports européens.
Dans le cadre du budget 2020-2021, il a été élargi pour une période de deux ans à compter du 1er juillet 2020 pour inclure l’Afrique, le Canada, le Japon, l’Australie et le Vietnam, entre autres. Depuis son entrée en vigueur, 101 compagnies manufacturières et 346 agro-industries ont bénéficié de ce plan pour un montant total de Rs 635,8 millions. Le TRS concerne essentiellement les exportations en Afrique. 25% du coût de base du fret est remboursé. Pas moins de 47 ports en Afrique, à Madagascar, aux Seychelles, aux Comores et à La Réunion sont concernés. De plus, 94 opérateurs ont jusqu’ici bénéficié du plan pour un montant de Rs 106,8 millions.
Les PME sont-elles bien conscientes du potentiel existant sur les marchés régionaux dans l’océan Indien ainsi qu’en Afrique, en Inde et en Chine grâce aux divers accords de libre-échange ?
Notre force est que nous avons trois accords extraordinaires avec la Chine (accord de libre-échange), l’Inde (le CECPA) et l’Afrique (accord de libre-échange continental). Toujours est-il que la conclusion des accords est une chose, mais faire les efforts nécessaires afin de prendre avantage des accords concernés en est une autre. Mon ministère travaille sur ces trois accords. Je sais qu’une compagnie mauricienne exporte déjà des costumes vers la Chine. Il y a aussi les sucres spéciaux. Avec l’Inde, nous exportons entre autres de la bière, du rhum, etc. L’Afrique représente aussi un gros potentiel. Il faut également ajouter l’AGOA, avec les Etats-Unis, qui arrive à terme en 2025. Mais les négociations avec les USA ont commencé. Les possibilités sont énormes sur tous ces marchés. Vous êtes également ministre des Coopératives. Comment se porte ce secteur ? Nous avons quelque 900 coopératives en activité. Nous avons procédé à une réforme du secteur. Nous disposons actuellement de cinq antennes à travers le pays. Nous avons multiplié les efforts afin que chaque société coopérative devienne une PME. Ce qui leur permet de bénéficier de tous les avantages dont bénéficient les PME. Nous avons des sociétés coopératives dans tous les domaines, comme la pêche, les produits maraîchers, l’élevage, le transport public, la consommation et les Credit Union. Il y a encore un engouement pour les coopératives
Quel regard jetez-vous sur l’avenir ?
Nous avons notre histoire, notre stabilité politique, nos avancées technologiques, notre système bancaire et financier. Ce sont des atouts indéniables, surtout que nous ne connaissons pas les grandes catastrophes naturelles. Nous avons construit ces atouts au fil du temps, ce qui amène la résilience. La résilience ne vient pas d’elle-même. Notre système de communication et nos liaisons maritimes et aériennes sont reconnus dans le monde. Nous voulons rester ouverts sur le monde extérieur. Malgré toutes les difficultés rencontrées, nous avons réussi à naviguer jusqu’à maintenant. Nous comptons renforcer l’industrie manufacturière. Nous pouvons augmenter notre production et nos exportations par 50% d’ici trois ou quatre ans grâce aux différents accords et grâce à l’AGOA. C’est cela notre objectif.
« Notre force est que nous avons trois accords extraordinaires avec la Chine, l’Inde et l’Afrique. Toujours est-il que la conclusion des accords est une chose, et que faire les efforts nécessaires afin de prendre avantage des accords concernés en est une autre »
« Concernant le secteur manufacturier, l’optimisme est de rigueur. D’ailleurs, les carnets de commandes pour les trois ou quatre mois à venir sont remplis »
« Nous avons notre histoire, notre stabilité politique, nos avancées technologiques, notre système bancaire et financier. Ce sont des atouts indéniables, surtout que nous ne connaissons pas de grandes catastrophes naturelles. Nous avons construit ces atouts au fil du temps, ce qui amène la résilience. La résilience ne vient pas d’elle-même. Notre système de communication et nos liaisons maritimes et aériennes sont reconnus dans le monde. Nous voulons rester ouverts sur le monde extérieur »