Dans la série Squid Game, les scénaristes regorgent d’imagination en ce qu’il s’agit de concocter des jeux toujours plus intenses et macabres. Il en est un pourtant qu’ils ont oublié : Le Jeu de la Bascule… et nous sommes tous inconsciemment en train d’y jouer. Et tant pis pour les conséquences. Après un début d’année ayant vu le mois de janvier catégorisé comme étant le plus chaud jamais enregistré, février semble ainsi bien parti pour lui emboîter le pas. Autant dire que l’heure est grave, très grave. Au point que certains experts n’hésitent pas à affirmer que nous avons déjà franchi le cap du point de basculement climatique. En d’autres termes, selon eux, nous aurions atteint des points de non-retour, points qui, une fois franchis, occasionnent donc des changements impactant de manière irréversible les écosystèmes.
Et à ceux qui penseraient encore avoir affaire à une chimère, ou encore qu’il nous reste suffisamment de temps pour régler la question du réchauffement planétaire, sachez que ces « olibrius » ne sont pas les seuls à adopter cette approche du basculement. Ainsi, Copernicus, soit n’est rien d’autre que l’organisme européen de surveillance du climat – autrement dit bénéficiant d’une pleine légitimité –, a publié une échelle de temps montrant clairement le seuil de dépassement depuis… 2023. Car oui, quelque chose ne tourne plus rond depuis ! Ainsi y apprend-on que le niveau de réchauffement mondial a dépassé le seuil symbolique des +1,5 °C, comparé à l’ère préindustrielle, depuis pas moins de… 18 mois.
Pour rappel, ce seuil de +1,5 °C était la limite à ne pas dépasser inscrite dans l’accord de Paris en 2015, soit il y a dix ans déjà, lequel accord avait été paraphé par la majorité des pays du monde. Ainsi, non seulement la dernière décennie ne nous aura permis d’atteindre nos objectifs, mais nous aurons même accentué le problème, en attestent les hausses successives de nos émissions carbone (à l’exception des « années Covid »). Avec pour résultat d’assister à une augmentation des catastrophes, tels que des incendies géants, des inondations, des périodes prolongées de sécheresse (sic !) ou encore de tempêtes et autres cyclones.
S’il fallait une preuve que le basculement climatique est en cours, rappelons que le monde subit toujours l’influence de La Niña, phénomène périodique mondial en place depuis mi-2024. Car contrairement à son grand frère El Niño, La Niña, elle, est supposée avoir un effet refroidissant sur les températures mondiales. Or, au lieu de cela, le niveau de réchauffement est reparti à la hausse, atteignant même le pic historique de +1,75 °C en janvier. Ce qui constitue une véritable anomalie.
Certes, dans la vision la plus optimiste, l’on est encore en droit de penser pouvoir stabiliser le changement climatique. Mais dans les faits, ce maigre espoir ne serait-il pas d’emblée plombé par des réalités plus pressantes pour ceux en charge de conserver intact notre système économique ? Un coup d’œil rapide sur les deux dernières COP suffit pour s’en convaincre, car non seulement on y aura discuté davantage finances que mesures d’atténuation, mais l’ambition de garder en vie les +1,5 °C était déjà mort-née.
Certains pourraient toutefois se demander pourquoi avoir statué ce seuil de réchauffement de +1,5 °C, élévation qui, dans notre imaginaire, ne représente finalement que peu de chose. Eh bien d’abord pour la simple raison qu’il s’agit d’une hausse maximale moyenne, et qu’elle ne signifie donc pas que ce seuil sera équitablement réparti aux quatre coins de la planète. Or, comme nous le constatons d’ailleurs à Maurice depuis un bon moment, toute hausse des moyennes saisonnières, doublée de celle de l’humidité ambiante, provoque un réel inconfort, pouvant même s’accompagner de dangereux troubles de la santé. En outre, selon le Giec, le seuil de 1,5 °C représente un niveau de réchauffement où les dommages deviennent si sévères qu’ils menacent les économies, les écosystèmes et l’agriculture. Preuve que ce chiffre n’aura pas été choisi par hasard.
Le problème reste donc entier : en voulant préserver notre système de marché, qui nécessite de plus en plus d’énergie – encore majoritairement fossile –, on aura préféré miser sur les mesures d’adaptation plutôt que sur une diminution drastique de nos émissions carbonées. Le souci, c’est que si l’humain devrait pouvoir s’adapter à une hausse générale de +1,5 °C, une fois franchi le seuil des +2 °C, en revanche, les limites de l’adaptation seront atteintes. Signant probablement la fin de tout espoir de retour en arrière avant que ne s’éteigne définitivement le dernier être vivant. Une chose est sûre : contrairement aux jeux de Squid Game, dans celui de la Bascule, personne ne sortira vainqueur !