1759. Isle de France (actuelle île Maurice). Massamba et sa fille, Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.
Dans l’argot colonial, un marron est un esclave ayant pris la fuite. Le marronnage est sévèrement puni par le tristement célèbre Code noir. La première tentative de fuite est punie par le fouet. Celui qui tente de fuir une nouvelle fois se voit couper les oreilles. La troisième tentative est synonyme de mort. Mais ce règlement, qui se veut fortement dissuasif, n’empêche pas les esclaves de multiplier les tentatives dans l’espoir de trouver une vie meilleure. Qu’ils aient été arrachés à leur terre natale ou qu’ils soient venus au monde sur une plantation, tous ressentent leur statut d’esclave comme un affront à leur humanité.
Le choix de mêler marronnage (la fuite d’un esclave) et survival est né des échanges que Simon Moutaïrou a eus avec l’historienne mauricienne Vijaya Teelock. Elle a longtemps été responsable du programme « les Routes de l’esclavage » à l’Unesco : « Au moment où je me suis lancé dans l’écriture, elle m’a vivement encouragé à lire des récits de marronnage : “Ma véridique histoire” d’Olaudah Equiano, “Les Marrons” de Louis-Timagène Houat, “Le vieil esclave et le molosse” de Patrick Chamoiseau », explique le réalisateur d’origine sénégalaise.
La phase de documentation a duré deux ans. Outre Vijaya Teelock, le cinéaste a bénéficié des lumières d’autres spécialistes à Paris, tels Thomas Vernet et Khadim Sylla, mais aussi à Maurice : Gabriella Batour, Stéphanie Tamby, Élodie Laurent Volcy, Flossie Coosnapa. Il confie : « Ils ont relu mes versions de scénario. En tant que Franco-Béninois, j’ai d’abord fait de mes héros des Yoruba, l’ethnie de ma famille paternelle. Suite aux échanges avec les historiens, je découvre que les Wolofs, les Malgaches et les Mozambiques sont largement majoritaires au moment de la présence française en Isle de France (nom d’époque de l’île Maurice), lorsque le gouverneur La Bourdonnais y introduit le sucre en 1744. C’est ainsi que mes héros sont devenus wolofs. »
Très tôt, les historiens ont orienté le réalisateur vers un livre : Le marronnage à l’Isle de France : rêve ou riposte de l’esclave ? d’Amédée Nagapen. Le réalisateur y a découvert une mine d’or sur le quotidien et le mode de vie des esclaves : « J’y ai puisé beaucoup, et notamment ce personnage hors du commun : madame La Victoire (de son vrai nom Michelle-Christine Bulle). Une femme qui était considérée comme le plus grand chasseur d’esclaves de son époque. Qui était si performante qu’elle recevait sa solde directement de la Couronne de France. »
Massamba, protagoniste de ce film, est un esclave éduqué qui sait lire et écrire. Si un Blanc lui demande s’il est satisfait de sa condition, il répond que Dieu a voulu les Blancs supérieurs aux Noirs, citant les arguments utilisés par les théologiens de l’époque pour justifier l’esclavage. Bien évidemment, il n’en croit pas un mot. Pragmatiquement, il joue le jeu de ses maîtres afin de bénéficier de conditions de vie supportables.
Mais la nuit, dans sa case, il apprend à sa fille, Mati, la lecture et l’écriture dans l’espoir un peu fou d’en faire l’égale de ses maîtres. Il lui raconte aussi la légende de ces marrons qui ont bâti une communauté autonome loin dans la montagne, à l’abri du regard des Blancs. Une note d’espoir dans un avenir sans horizon qui poussera Mati à la fuite malgré les risques encourus.
Comme souvent en ces situations, le propriétaire fait appel à un chasseur d’esclaves. Une chasseuse en l’occurrence, l’implacable madame La Victoire, superbement interprétée par Camille Cottin qui décidément excelle dans les rôles antipathiques. Massamba n’a d’autre choix que de s’enfuir à son tour pour retrouver sa fille avant madame La Victoire. S’engage alors une âpre course poursuite dans la moiteur de la jungle mauricienne.
Simon Moutaïrou, qui a longtemps travaillé sur les projets des autres en tant que scénariste, passe pour la première fois derrière la caméra, en faisant preuve d’un grand talent pour la mise en scène. On espère que cette première ne restera pas un essai isolé et sera rapidement suivie par une autre réalisation !
Durée : 1h38. Avec Ibrahima M’baye, Camille Cottin, Anna Thiandoum. Réalisé par Simon Moutairou (France, 2024)
Aux MCiné (Trianon, Port-Louis, Curepipe & Flacq) et Star (Port-Louis, Moka & Grand-Baie)
Beetlejuice Beetlejuice
Trente-six ans après les événements du premier film, Lydia Deetz anime un talk-show surnaturel intitulé Ghost House, produit par son fiancé, Rory. Lors de l’enregistrement d’un segment, Lydia a des visions du fantôme Beetlejuice dans le public. Peu de temps après, Delia, la belle-mère de Lydia, partage la nouvelle du décès de son père, Charles, qui s’est fait dévorer par un requin après le crash de son avion dans l’océan. En route vers Winter River dans le Connecticut pour les funérailles, les membres survivants de la famille Deetz récupèrent la fille de Lydia, Astrid, au pensionnat. Il est révélé que Lydia et son ancien mari, Richard, père d’Astrid, divorcèrent deux ans avant sa disparition au Brésil.
Après les funérailles, Rory propose à Lydia de l’épouser, ce qu’elle accepte et ce qui oblige Astrid à fuir et à rencontrer Jeremy, de qui elle tombe amoureuse. À Halloween, Astrid découvre que Jeremy est un fantôme qui lui demande de l’aide pour retrouver sa vie. Il promet à Astrid qu’elle pourra retrouver son père si elle l’aide. Les deux entrent dans l’après-vie après qu’Astrid a récité une incantation du manuel que les défunts reçoivent juste après leur mort.
Découvrant que Jeremy a assassiné ses parents, Lydia fait appel à contrecœur à Beetlejuice ; ce dernier supervise dans l’après-vie une bureaucratie de « bio-exorcistes » et se languit toujours de Lydia. Son ex-femme, Delores, s’échappe de captivité et se lance dans une tuerie, drainant les âmes des morts.
Le détective Wolf Jackson en avertit Beetlejuice, qui explique à ses employés qu’ils se sont rencontrés pendant la peste noire, mais qu’elle l’a empoisonné dans le cadre d’un rituel pour devenir immortelle et qu’il l’a assassinée avant de succomber. Wolf est informé que Beetlejuice a amené un membre des vivants dans l’après-vie et commence une chasse à l’homme pour le retrouver…
Trente-six ans après avoir introduit le personnage de Beetlejuice auprès des cinéphiles, le réalisateur d’Edward aux mains d’argent et Big Fish retourne au pays des fantômes pour une suite joyeusement macabre. Beetlejuice Beetlejuice est donc la suite du film Beetlejuice, qui a lancé véritablement la carrière de Tim Burton après ses débuts sur Pee Wee’s Big Adventure.
Trente-six ans séparent les deux longs métrages. Ce second opus voit revenir plusieurs visages incontournables du premier volet : Michael Keaton qui reprend le rôle emblématique du bio-exorciste Beetlejuice, Winona Ryder qui retrouve le personnage de Lydia Deetz et Catherine O’Hara qui incarne Delia Deetz. En revanche, Jeffrey Jones n’est pas au générique du film, en raison de son statut de délinquant sexuel. Son personnage est donc annoncé comme mort.
Ce nouvel opus convie des visages de l’univers de Tim Burton comme sa nouvelle compagne Monica Bellucci, sa nouvelle muse Jenna Ortega qu’il a dirigée dans Mercredi sur Netflix ou Danny Devito qui a incarné l’inoubliable Pingouin de Batman le défi. En revanche, le film marque la première collaboration de Willem Dafoe ou Justin Theroux avec le cinéaste.
Beetlejuice Beetlejuice, tout comme son modèle, se termine dans un festival du grand n’importe quoi, pour le plus grand plaisir des spectateurs. Flash-back. La fin de Beetlejuice voyait, en 1988, le démon clownesque renvoyé dans le monde des morts avec une tête réduite, tandis que la jeune Lydia (Winona Ryder) était plus ou moins adoptée par les Maitland (Geena Davis et Alex Baldwin), couple de fantômes plus proches d’elles que ses véritables parents. Le tout après un final rocambolesque, faisant intervenir le fameux serpent géant des sables et à peu près tous les tours de passe-passe permis par l’au-delà.
Beetlejuice Beetlejuice se devait donc d’emboîter le pas à cette douce folie, sans alléger la dose de n’importe quoi, et en rajoutant Astrid (la fille de Lydia incarnée par Jenna Ortega) dans l’équation. Le pari est tenu, et dans le joyeux bazar qui conclut le film, il y a des choses à retenir.
Beetljuice Beetlejuice est annoncé comme le film de tous les retours. Celui de Tim Burton après sa rupture avec Disney à la suite de Dumbo (2019), de Michael Keaton, de Winona Ryder, de Catherine O’Hara, mais surtout celui du cinéma d’épouvante sur les grands écrans. Un pari ambitieux que s’est lancé Burton, qui s’offre même la présence dans le casting de la nouvelle coqueluche du cinéma de genre : Jenna Ortega.
La tendance est à la nostalgie ces dernières années. Au cinéma comme ailleurs, on observe cette interminable volonté de revisiter des imaginaires existants, aussi bien au nom du profit que par passion pour ces histoires déjà racontées. Le risque pris par un film comme Beetlejuice Beetlejuice est donc de se répéter.
Miracle, le nouveau long métrage de Tim Burton ne tombe pas dans ce piège ! Les références à son prédécesseur sont (heureusement) bel et bien multiples, sans pour autant que le film s’enfonce dans la redite. Au contraire, il sait répondre aux attentes des fans de Beetlejuice tout en les détournant, parvenant ainsi à mieux rendre hommage à l’opus précédent.
Beetlejuice Beetlejuice est donc un film visuellement attrayant, qui mélange rire et effroi pour slalomer entre délire amusant et danse macabre. C’est du Burton comme il n’en avait plus fait depuis longtemps, et c’est cela qui ravira les fans de ce cinéaste si surprenant.
Durée : 1h44. Avec Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega. Réalisé par Tim Burton (USA, 2024)
Aux MCiné (Trianon, Port-Louis, Curepipe & Flacq)
ÉGALEMENT À L’AFFICHE
Speak no evil
Pendant leurs vacances en Italie, le couple américain Louise et Ben Dalton et leur fille Agnès rencontrent et se lient d’amitié avec le couple britannique à l’esprit libre, Paddy et Ciara et leur fils Ant. De retour à Londres, Louise et Ben sont en désaccord sur le chômage de Ben et l’infidélité de Louise. Une lettre arrive de Paddy et Ciara invitant les Dalton dans leur ferme isolée à la campagne. La famille décide d’y aller, en espérant que le dépaysement leur fera du bien ainsi qu’à Agnès qui est anxieuse et attachée à un lapin en peluche.
En arrivant à la ferme, Louise, Ben et Agnès sont chaleureusement accueillis, mais à mesure qu’ils passent plus de temps à la maison, ils commencent à être énervés par d’étranges incidents et le comportement passif-agressif de leurs hôtes qui dépassent les frontières. Louise est également troublée par le traitement agressif de Paddy et Ciara envers Ant dont ils apprennent qu’il est né avec une maladie qui lui a laissé une langue plus petite et une incapacité à communiquer.
Un soir, les adultes sortent dîner, laissant Agnès et Ant aux soins d’une baby-sitter nommée Muhjid, ce qui perturbe les Dalton. Tout en jouant à cache-cache avec Muhjid, Ant montre à Agnès une collection de montres que possède Paddy et un message écrit dans une langue étrangère, mais Agnès ne le comprend pas. Au dîner, Paddy conteste le végétarisme de Louise et commet en plaisantant un acte sexuel avec Ciara, choquant leurs invités. À son retour, Louise découvre plus tard qu’Agnès a été déplacée pour partager un lit avec Paddy et Ciara, ivres. Horrifiée, Louise s’enfuit avec sa famille mais est contrainte de revenir par Agnès qui a laissé derrière elle son lapin en peluche…
Speak No Evil est le remake du film danois du même nom sorti en 2022, mis en scène par Christian Tafdrup et emmené par Morten Burian, Sidsel Siem Koch, Fedja Van Huet et Karina Smulders dans la peau des deux couples. Ce thriller psychologique et horrifique a été nommé à 11 reprises aux César danois en 2022.
James Watkins a trouvé son inspiration chez Michael Haneke et Ruben Östlund, ou encore dans Le Lauréat de Mike Nichols, Les Chiens de paille de Sam Peckinpah, Délivrance de John Boorman et la série The White Lotus de Mike White.
Pour camper Paddy, cet homme à la psychologie trouble, James Watkins a engagé James McAvoy, qui s’est surtout fait connaître pour son interprétation du superhéros Charles Xavier dans la saga X-Men ou pour celle de Kevin Wendell Crumb, personnage psychologiquement perturbé, dans Split et Glass.
La combine n’est pas nouvelle et peut s’avérer plus que payante. On se souvient du carton des remakes estampillés J-Horror dans les années 2000, comme Ring, The Grudge ou dans une moindre mesure Dark Water. Ça peut aussi donner aussi de gros navets qui se contentent de recracher sans digérer, voire sans comprendre. Qui se rappelle d’En Quarantaine, The Eye, Goodnight Mommy ou Inside ? Jason Blum s’en est déjà mordu les doigts, lui qui a produit l’atroce remake de Martyrs en 2015.
Il ne prend pas trop de risques néanmoins avec Ne dis rien, sommet de malaise orchestré par Christian Tafdrup qui ferait passer le dîner de The Office pour une séance de méditation. Pendant une bonne heure, Speak No Evil reprend quasi telles quelles et dans l’ordre ses scènes les plus marquantes. Il est toujours question de deux petites familles qui se rencontrent. L’une va inviter l’autre à passer un week-end chez elle. Un bon moment a priori, si ce n’est que l’hospitalité de ce couple d’hédonistes peut parfois s’avérer plus que gênante.
Durée : 1h50 Avec James McAvoy, Mackenzie Davis, Aisling Franciosi. Réalisé par James Watkins (USA, 2024)
Aux Star (Port-Louis, Moka & Grand-Baie)
L’heureuse élue
Pour soutirer de l’argent à ses parents, Benoît demande à une amie de se faire passer pour sa future femme lors d’un séjour en famille au Maroc. Mais lorsque cette dernière se désiste le jour du départ, il n’a pas d’autre choix que de proposer le rôle de sa fausse fiancée… à Fiona, sa chauffeuse Uber ! La jeune femme, au tempérament impulsif et sans filtre, détonne dans la famille bourgeoise de Benoît. Entre le franc-parler et les gaffes à répétition de Fiona, Benoît va avoir du mal à convaincre ses parents qu’il a trouvé l’heureuse élue…
Trouver de l’argent rapidement : voilà l’épineux problème auquel doit faire face Benoît (Lionel Erdogan), trentenaire parisien, beau parleur et amateur involontaire de plans foireux. Pris à la gorge au détour d’investissements dans les cryptomonnaies, il annonce à ses parents qu’il va se marier, seule manière de leur soutirer un joli budget. Ayant 24 heures pour se trouver une fiancée à leur présenter, le voilà embarqué pour trois jours en famille au Maroc au bras de Fiona (Camile Lellouche), sa chauffeuse Uber, cliché ambulant de la banlieusarde. Dans la famille, le doute monte vite, alors que les faux tourtereaux, aussi peu compatibles que des aimants à pôles identiques, ont toujours plus de mal à présenter une façade unie.
Dans le rôle des parents, Michèle Laroque et Gérard Darmon, semblables à eux-mêmes, campent une femme de tête, cheffe de famille et d’entreprise pour elle, mari conciliant qui prétend faire du sport et se cache dans les placards pour manger des gâteaux pour lui. Comédienne, chanteuse et humoriste, Camille Lellouche tire plutôt adroitement les ficelles de son personnage de Fiona. Au pied du mur, face à l’autel et sa famille, Benoît va devoir trouver une parade. Jusque-là narrativement sans surprise, la brochette de saynètes, ne pouvant durer éternellement, prend une tournure inopinée. Sous le vernis de l’amour en toc pointe une once d’honnêteté, prémices d’une relation d’un autre genre, moins fleur bleue, mais plus sincère.
L’argent pourrit les relations, change les gens, mais peut aussi les rendre follement inventifs. Craignant pour leur héritage, Pierrick (Amaury de Crayencour) et Sidonie (Clémence Bretécher, nièce de la dessinatrice Claire Bretécher), frère et sœur de Benoît, font équipe pour, à leur tour, tenter de faire amende honorable face à leurs parents. Distraction sympathique, le film plaira sans doute à ceux qui ont aimé la série des Qu’est-ce qu’on a fait au Bon Dieu ?, et moins à ceux que la caricature classique hérisse. Il n’en reste pas moins un choix judicieux pour un après-midi d’automne pluvieux en famille !
Durée : 1h31. Avec Camille Lellouche, Lionel Erdogan, Michèle Laroque. Réalisé par Franck Bellocq (France, 2024)
Aux Star (Port-Louis, Moka & Grand-Baie)