Société : Jeux d’antan, sirandann enn ti letour kot Abaim

  • Le devoir de transmission patrimoniale

Sapsiway, larou, lastik, lamarel… Des jeux d’antan qui agrémentaient les loisirs dans les cours de récréation des écoles ou à la maison. Il y a aussi en mémoire ces traditions orales sous forme de contes et devinettes faisant partie des divertissements nocturnes, car il n’y avait alors ni radio, ni télé. Et lorsqu’il n’y avait plus d’histoires à raconter, on entendait alors « Sirandann », auxquels ceux autour répondaient « Sanpek ». Tous scotchés à ces séries de devinettes en kreol morisien et qu’on entendait souvent de la bouche des gran dimounn lors des veillées mortuaires pour passer le temps autour d’une partie de jeux de cartes. Des jeux oubliés mais qui reviennent de nouveau en mémoire grâce à Abaim et son centre pédagogique de Beau-Bassin. Au moins, « zot pa’nn fer nou atann ek enn labouzi rouz »…

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Par le biais de Marousia Bouvery, responsable du Centre Abaim, et ses pédagogues, retour dans le patrimoine Letan Lontan. Abaim fait de son mieux pour transmettre cet héritage ancestral à la jeune génération. Commençons par ces jeux d’antan aux noms insolites – et qui perpétuent les valeurs de l’amitié, du respect et du partage – propulsés au premier plan des petits plaisirs simples de la vie. Jeu lastik, larou laryaz, jeu des talon-soulie fabriqués à partir de boîtes de conserve et où l’imagination côtoie la créativité.

Fait intéressant, chez Abaim, les enfants se font un devoir de mémoire de transmettre à leurs petits camarades de jeu ce qu’ils ont appris, assurant ainsi la transmission. Le côté émotionnel prend le dessus lorsque le petit Iskadel Agaléga, 10 ans, avec sa ravanne, marche, semble-t-il, sur les traces de TiFrer, dont il nous assure avoir des liens de parenté. Il a assimilé du haut de son jeune âge les jeux d’antan, avec une préférence toutefois pour larou laryaz.

Farandole du bonheur
Malgré la fine pluie qui semble vouloir jouer au trouble-fête, tout n’est que farandole du bonheur chez Abaim. Des éclats de rire réchauffent l’atmosphère frisquette, et voilà Marousia Bouvery qui, craies en main, nous entraîne dans un jeu de saut connu comme lamarel. Le principe de ce jeu d’adresse est de sauter sur un pied sur les cases numérotées tracées à la craie à même le sol.

L’asphalte gribouillé ressemble alors à un détail près à un jeu de loto, sauf qu’aucun gain ne sera annoncé… que le plaisir d’un moment partagé à jouer entre amis. Dans cette kyrielle de postulants au jeu, il y a le petit Iskadel, le jardinier Jude Perrine (75 ans), et trois autres membres de chez Abaim, Linda Netta, Kouseela Sandooram et Anbreene Mungroo, tous prêts à se lancer dans des jeux d’antan.

« Pare pou zwe Tina », lance Linda. On se retourne, croyant rencontrer une autre amie de jeu, mais Linda s’esclaffe : « Tina, bann ti kayou pla. » Pas mal cette Tina comme jeu. Pour certains, la découverte relève de l’originalité.

Ce jeu consiste à lancer quatre cailloux plats en l’air et de les rattraper avec le dos de la main. À la bataille du plus agile, autant dire que la partie n’est pas gagnée d’avance. Quant au zwe kanet, préféré durant notre enfance, le simple fait de faire miroiter ces billes colorées à valeur certaine dans la perception enfantine, et à l’aspect bonbon de surcroît, restait une énigme. Les parents prévenaient toujours que ce n’était pas mangeable – rien que pour le plaisir des yeux.

La stratégie du jeu était précédée de cris d’enfants : fay-pat-san-kler. Qu’importe le code du jeu, telles des sentinelles affectées à la garde d’un trésor, les parties de billes se faisaient dans la bonne humeur. Marousia revient cette fois avec dans les mains une pile d’élastiques colorés, les lastik. Encore une fois, des traces de craies quadrillent le sol et les esquisses cèdent rapidement place à des cases numérotées. Marousia roule l’élastique sur son bras droit et lui donne une forme torsadée avant de le lancer vers une des cases. Par chance, son lastik tombe pile dans la grille numéro 3. Elle récupère ainsi trois élastiques, au grand dam d’Iskadel, moins chanceux, son élastique à lui ratant son envol… et c’est à la personne responsable du lot d’élastiques de récupérer la mise.

D’autres jeux sont aussi au goût du jour, dont des échasses ou encore la fameuse larou laryaz. L’étendue du talent de Linda dans ce domaine lui vaut quelques appréciations. Sans complexe, munie de sa jante de roue et d’un bâton, elle se lance dans un jeu d’adresse.
Linda raconte aussi l’anecdote autour des capsules de bouteilles, le jeu kapsil. On en ramasse dix pour en faire une pile. Il suffit alors de lancer un objet pour que les capsules se retournent. Ceux qui réussissent à ce jeu d’adresse gagnent la partie.

Autour des anecdotes retrouvées

Linda se remémore aussi le jeu des soulie-talon, faits à partir d’une boîte de conserve avec deux cordes pour attaches en vue de déambuler. Enn lot… style. « Avec la technologie, les gens ont mis de côté les jeux d’antan. Un enfant, aujourd’hui, préfère être scotché à ses jeux vidéo et aux réseaux sociaux. À mon époque, enn boul kas-kot avec du sable dans un petit sachet goni qu’on lançait sur le dos pour jouer était un amusement. Idem pour les roues en caoutchouc, le cerf-volant – qu’on fabriquait avec du papier journal, mousseline et du riz gluant, qui servait de colle, ainsi que le balai coco qui servait d’armature pour la fabrication du cerf-volant », laisse entendre Linda.

Encore prise dans ses souvenirs, Linda se dit heureuse de voir ses petits-enfants encore zwe lakaz zouzou ou au jeu de miroir, qui consistait à converser autrement avec son reflet « pou lager ar nou mem ek koze tou sel divan laglas » en pensant à un duel avec son double.
Kouseela Sandooram donne aussi le ton. Elle n’a que 35 ans et se dit triste de ne pas faire partie de cette génération letan lontan. Elle raconte avoir vu près d’une rivière un vieux frigo, et en s’en approchant, deux enfants munis de bouts de bois en position assise et faisant semblant d’être sur un bateau. « C’est incroyable de voir comment l’imagination peut permettre de se créer son propre jeu », confie-t-elle.

Anbreene Mungroo, 25 ans, fait, elle, partie de la génération digitale. « J’ai grandi devant des écrans de télés et d’ordinateurs. Ce côté social interactif avec des jeunes m’a beaucoup manqué. Chez Abaim, je retrouve une autre forme d’ambiance, où la créativité est mise en relief pour redonner vie à des boîtes de conserve, etc. » dit-elle.

Marousia raconte que Abaim a ouvert ses portes en 1995 aux enfants défavorisés, et qu’aujourd’hui, ce centre pédagogique est devenu une référence pour tous les Mauriciens du pays. « À travers Zistwar Tizan, compère lièvre ek compère tortue, nou desinn bann kontour imaziner bann zanfan. Ils profitent de l’espace de la cour pour créer des liens sociaux autour de ces jeux d’antan. Tout est une question de capacité de l’individu. Celui qui est un peu plus paresseux comme moi préférera Sot Lakord », poursuit-elle.
Éclats de rire devant ce constat… mais Marousia, tout en rigolant, évoque ce nisa qu’éprouve chaque personne à créer son propre jeu. « Plus on se lance dans des recherches plus poussées, plus on muscle notre mémoire. Les gens qui font appel à leur cérébral sont des artistes; ils peuvent aussi fabriquer de tout de leurs mains habiles, comme la création des grands cerfs-volants Pathang », dit-elle encore.

Recycler les boîtes de conserve

Abaim a eu l’idée de rassembler les gens en leur faisant se reconnecter avec leur passé, qu’ils recomposent aujourd’hui. « L’art du recyclage a été inventé à travers cette capacité de transformer une boîte de conserve en un jeu, un instrument de musique, à prendre de la peau de cabri pour donner de la souplesse aux ravannes. »
Elle explique dans le même ordre d’idées que l’Unesco, dans la Convention de 2003, accorde de l’importance au fait qu’il y ait cette transmission, car dans ce patrimoine culturel, il y a à la fois l’aspect éducatif, culturel et pédagogique. « Ena respe nou later, nou valer. Il ne faut plus se concentrer que sur l’aspect académique. Le sport a eu sa place, me patrimwann intanzib ena osi so valer. Pa zis teknolozi. La société est en pleine mutation. Bizin ena enn drwa a lamemwar. Autrement, notre pays perdra cette richesse. Nou ena enn patrimwann komin dan losean indien. Zwe lontan nou retrouv li osi dan La Réunion ek Madagascar », dit-elle.

Par ailleurs, Marousia insiste sur le fait que les zwe letan lontan génèrent cette phase de développement chez l’enfant. Dans le jeu, on apprend à se battre et à se réconcilier. Arguant que dans les écoles, il n’y a pas d’espace pour les loisirs, et que beaucoup de choses restent dans l’ordre de la compétition. « Il y a longtemps, dans le livre Rémi et Marie (petits écoliers mauriciens), une page disait : “maman fait la vaisselle, papa lit son journal”. Tout cela est un stéréotype aujourd’hui. Me nou bizin konserv nou patrimwann ek kontinye sa devwar transmision-la. »

Elle parlera aussi de cette capacité des gens à jouer avec la langue kreol, surtout les sirandann, avec un soupçon de malice et de tendresse, relevant d’une lointaine tradition orale, et de ramener cela à un niveau intellectuel. « Nou ena bel merit invant bann expresion traditionel kreol otour bann sirandann, qu’on entendait souvent lors des veillées mortuaires. » Et Voilà que Marousia lance une sirandann : “Ti koson riy nene so mama. Boukou dimounn pa konn gout so defo avan riy defo so kamwad. »

La petite bande est composée de Marousia, Linda, Ambreene, et accueille Jude Perrine, le jardinier. Ce dernier, natif de Rodrigues, a encore en mémoire des expressions et des sirandann kreol qu’il saupoudre de son imaginaire : « Ouver serkey tir dra manz lemor (pistas). » Linda lance à la volée : « Ki kapav dir mwa ki ete sa expresion-la, “Boul-disan anba later” ? » Iskadel réplique : « Betrav ! » Elle poursuit : « Met soulie verni ar soset ver. » Devant les mines pantoises, elle répond triomphalement : « Brinzel ! »

Marousia revient à la charge : « Trouve nou pa asez miskle nou servo. On ne parle que du changement climatique, me bizin panse osi patrimwann. Si nou perdi li, nou perdi nou konesans, nou biodiversite. » Elle se tourne vers Jude Perrine, le jardinier, et lui dit : « Anou al travay Jude ! » Ce dernier réplique avec ironie et dans la bonne humeur : « Ki mo pou travay, mo ena enn bal diri dan mo lakaz. » Des rires fusent, clôturant ainsi sur une note de joie cette belle incursion dans les jeux d’antan et les sirandann…

Iskadel et sa ravanne sur les traces de TiFrer
Iskadel Agaléga fréquente l’école Barkly. Il dit avoir pour proche parent du regretté Tifrer. « Mo konsider li kouma enn granper, kote mo mama. » Il est volubile et raconte avoir pris un congé exceptionnel auprès de son école pour répondre aux questions.

Ses petits yeux brillent à la simple évocation du mot ravann. « Tande, li fer dou-douk dou-douk, apre to met to son a to manier, to bat ravann ar lamin. » Iskadel n’a pas froid aux yeux et reconnaît qu’Abaim l’a beaucoup soutenu dans son encadrement scolaire.
À travers les jeux d’antan, il a découvert, ravi, qu’il n’avait pas besoin de pitay pour s’amuser. Contrairement aux jeux vidéo, il trouve fascinant d’emprunter des boîtes de conserve de sa mère qui, au lieu de finir dans les déchets, sont recyclées pour ses jeux, et parfois même comme instrument de musique. Il se dit aussi fasciné par les contes, dont zistwar Tizan, et les sirandann, qui le forcent à travailler ses méninges.

Fort de son expérience, il initie chaque visiteur à ses jeux d’antan avec adresse. Et dès que son regard croise celui de Jude, le jardinier, Iskadel se montre attentif à toutes ces sirandann. Sa petite tête tente de tout retenir. Il apprend ainsi qu’autrefois, il y avait aussi des bisiklet korbo, sorte de vélo noir sur lesquels les gamins montaient. Chez Abaim, il continue de cultiver sa joie de vivre et sa créativité à travers notamment la pratique des jeux traditionnels, qui sont la richesse de notre pays.

À la ronde de Ti-Marmit
Qui ne connaît pas l’album 16 ti morso nou lanfans d’Abaim, extrait de la chanson Ti Marmit, lancé en 2002, et qui a connu un autre grand succès pour ses 20 ans ? Tout simplement parce que cette chanson est toujours dans l’ère du temps et comprend 13 comptines ayant enchanté petits et grands. Ti Marmit a été la chanson phare dans les cours de récréation des écoles.

Abaim a toujours cru dans le pouvoir des mots et a voulu offrir la chance à tout enfant modeste, ou issu d’un milieu défavorisé, de s’éduquer. Et comme l’a fait ressortir Marousia Bouvery, Ti Marmit a été l’autre point d’orgue de cette éducation. « C’est une chanson connue des enfants et qui les rassemble autour des comptines. »

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