Le CSR comme prémices d’une philosophie humaniste a fait irruption dans le paysage social mauricien à la suite des émeutes de 1999 dans le sillage de la mort du seggaeman Kaya. Ces mêmes émeutes ont dévoilé le mal-être de l’Ile Maurice profonde. Dès lors, on a voulu prôner un capitalisme à visage humain. C’est-à-dire, la répartition d’un pourcentage des profits des grands capitaux dans des projets sociaux. Bien qu’on voie une certaine noblesse dans l’idée de fond, on a au moins le loisir de sourire quand on constate qu’il s’agit là d’une manière capitaliste d’appliquer le marxisme. Le partage d’une certaine plus-value sans la révolte du prolétariat.
La mise en place d’une technostructure
Il a fallu certes moderniser dans la manière de faire, voire même dans l’application du Corporate Social Responsibility. On a commencé par ériger une institution (la NEF) pour tenter de gérer cette nouvelle forme de politique sociale. Mais déjà, nous voyons l’absorpsion goulue d’un financement taillé selon les vestes des techniciens, technocrates et ingénieurs de la misère. A bien voir c’est une machinerie (encore une autre) de gestion de l’État providence. Ce qui donne raison à la lecture que John Kenneth Galbraith fait du capitalisme. Il entrevoyait l’émergence d’un État Industriel et avec lui des technostructures pour le servir –
John Kenneth Galbraith, The new Industrial State, Penguin Edition, (1967)
Dichotomie Privé / État
Puisque cette manière de procéder est tributaire du capitalisme ambiant, on laisse une certaine marge de manoeuvre au secteur privé dans l’allocation de cette manne. Seulement voilà ! L’Ile Maurice étant ce qu’elle est, on s’arroge le droit de se demander dans quelle mesure l’aide allouée pourrait être à l’abri des intérêts des groupuscules ou encore à l’abri des découpages traditionnels des groupes d’intérêts ? Les questions évoquées se heurtent toutefois à un dilemme apparent. Il est celui de la dichotomie État / Privé.
Tout laisser à l’État signifierait tout laisser au politique, et on devine bien les copinages qui en découlent. Le tout accompagné de son lot de complaisance à satisfaire l’incompétence des agents hors sujet à la tête des institutions venues dare-dare pour les avantages attachés aux postes.
Quant au privé, on n’échappera pas au prisme bourgeois dans la manière d’aborder la lutte contre la pauvreté. Il y a certes l’inévitable filtrage quasi condescendant dans le regard. Il y a des idées bien arrêtées à propos des pauvres et l’alternant (ONG) est assimilé dans la même structure mentale. Cela se distingue dans la position subordonnée des ONG par rapport à l’attente d’une éventuelle manne. Le montage de dossier reste le charme moderne de la presque mendicité. Au fait, la forme a changé mais le fond reste quasi indélébile, une reproduction historique dans les rapports. La lutte contre la pauvreté reste dans l’attentisme et le bon vouloir d’un comité qui se réunit quand il a le temps.
Les nouveaux riches
Même les nouveaux riches qui ne sont pas forcément tributaires d’une culture coloniale participent à l’aliénation du CSR. Il s’agit du fameux comité de décision qui constitue l’appareil de tri. Mais on ne sait pas quelle est sa motivation puisque le comité est nouveau dans l’inscription du schéma d’entraide, et là encore ses aiguilleurs sont des bleus étudiants bardés d’académisme qui s’inquiètent de leur carrière et de leur propre sécurité. Il s’agit d’expérience en vue d’un positionnement de prise de pouvoir dans le long terme.
Faut-il que l’on s’étonne si les choses sont ainsi ? Je crois que non. C’aurait été trop facile dans la lutte contre la pauvreté. D’ailleurs, la misère reste un mystère dont seul l’homme a le secret de sa destruction. Mais au moins faut-il comprendre les mécanismes qui conduisent et consolident l’aliénation rendant impossible tout discernement susceptible de prendre à bras le corps l’annulation réelle de la misère. Autrement, c’est du théâtre pur et simple. Chacun joue son jeu et on contribue à la production d’une élite techno-structurelle qui comprend mal la vraie expertise en pauvreté.
Expertise vocationnelle
Si nous n’avons pas lu Mère Teresa, le Père Joseph Wrezinski (ATD Quart-Monde), l’Abbé Pierre et Julien Lourdes, on est en pleine déroute et le paquet de fric engrangé par le principe CSR pour la lutte contre la misère ne sera que fumée et échec assurés. D’ailleurs, ne remarque-t-on pas qu’elle nous échappe et devient comme une épidémie. On nous rapporte que le fossé grandit entre riches et pauvres. La misère nous échappe parce que nous sommes responsables de sa production et la cause comme l’effet deviennent curieusement la dialectique de nous-mêmes. Comme le dit si bien Antoine Tine : « Ils subissent le poids des représentations ou pratiques dominantes qui les excluent de la société ou les relèguent à la périphérie de celle-ci. La pauvreté signifie alors processus de perte progressive de repères symboliques, de systèmes de référence et d’explication du monde. En d’autres termes, elle se décline comme paupérisation. » – Antoine Tine, « À rebrousse-poil. Sens et non-sens de la lutte contre la pauvreté. » (2004)
Pour résumer ce que dit le Docteur Tine : les représentations que l’on se fait dans la manière d’appréhender la pauvreté sont les leviers de sa propre production. Nos représentations produisent de la misère en l’aliénant par nos structures de service à travers le CSR.
SOCIÉTÉ: Le CSR dans toute sa pauvreté
- Publicité -
EN CONTINU ↻
- Publicité -