« Noir, c’est noir/Il n’y a plus d’espoir ! » Johnny Hallyday n’étant plus de ce monde, on peut supposer qu’il ne nous en voudra pas d’avoir repris les premières paroles de son célèbre tube. Il faut dire qu’elles illustrent assez bien cette catastrophe liée au naufrage du Wakashio, et qui plonge, elle aussi, le pays dans une obscurité des plus totales. Triste constat en effet que ce nouveau manque de clairvoyance des autorités, doublé d’un amateurisme et d’une nonchalance sans nom, ayant débouché sur ce qui constitue, en l’état, un véritable drame écologique, mais aussi économique, puisque, à moins d’éprouver l’envie de faire tester l’exquise texture caoutchouteuse du poisson mazouté, nos pêcheurs du Sud risquent bien de devoir raccrocher leurs cannes à pêche un long moment encore.
Le pire, on n’aura partout cessé de le dire depuis ce fameux 26 juillet, c’est que tout cela aurait évidemment pu être évité. D’autant que nous avions déjà eu des précédents. Et l’on ne parle évidemment pas ici du naufrage du Saint-Géran, mais plutôt, plus près de nous, de celui du MV Benita ! Echoué il y a quatre ans sur les récifs du Bouchon, le navire, rappelons-le, avait à son bord 125 tonnes de pétrole. Autant dire que l’on avait à l’époque réussi à éviter le pire, le gouvernement d’alors ayant eu la « judicieuse » idée de pomper le fioul avant de remettre le pétrolier à flot et le remorquer au large. Problème : nous n’aurons non seulement pas retenu la leçon, mais nous aurons cette fois réagi avec moins de célérité, poussant le Wakashio à finir par vomir ses réserves de fioul dans nos eaux cristallines.
Pour l’heure, la question n’est plus aux « On aurait pu faire ceci ; on aurait dû faire cela », car le mal est fait. Non, ce qu’il importe, dans la conjoncture, c’est d’abord de conjurer les effets de la marée noire, de nettoyer et sauver ce qui peut l’être. Après quoi il nous faudra enfin réfléchir sérieusement à mettre en place un réseau de surveillance maritime efficient, à l’aide de données satellitaires, ainsi qu’un plan d’action avec des partenaires étrangers identifiés – dans une limite géographique raisonnable –, et applicable dans les délais les plus brefs en cas d’accident du même acabit. Il est en effet inacceptable que l’on doive attendre qu’un drame survienne pour commencer à échafauder un plan de sauvetage en quatrième vitesse, tout simplement parce que l’on ne l’avait prétendument « pas prévu ».
L’autre question qui devrait ensuite se poser tout naturellement dans le cas du Wakashio, c’est celle de la recherche du ou des coupable(s). Là, les choses se corsent. Évidemment, on ne peut contester le fait que le propriétaire du bateau soit concerné, tout autant que le capitaine. Pour autant, les comités et services d’intervention locaux sont en premier à blâmer. Ce n’est en effet pas le propriétaire ou la compagnie d’assurances qui feront les frais (si ce n’est financiers) de la catastrophe écologique en cours. Jamais ils ne pourront remplacer les milliers de vies perdues (poissons, coraux, phytoplanctons…), ni dédommager les pêcheurs qui, avec le naufrage du navire, ont également assisté à celui de leur business.
Cependant, il y a encore un autre responsable, plus important, car invisible, sournois… Qui ne se pense et ne se calcule qu’en termes de zéros affichés à la droite des chiffres de nos transactions. L’on parle bien sûr de la sacro-sainte croissance, celle-là même qui, de toute évidence, nous pousse à consommer (et donc importer) toujours plus. Mais aussi qui nous empêche de réfléchir à un autre modèle économique, à d’autres structures d’échanges, en adéquation avec l’ensemble du vivant. De même que tout en accélérant le développement, la croissance nous aura anesthésiés, nous empêchant d’accepter la nécessité de nous débarrasser des énergies fossiles.
Vous savez, du genre de celle qui s’agglutine actuellement un peu partout sur les côtes de notre sud sauvage ! Cela vous paraîtra peut-être un raisonnement simpliste, mais il est un fait que si l’humanité avait renoncé au pétrole, il n’y aurait à coup sûr pas de marée noire. Le problème, c’est que nous ne sommes pas prêts à changer tout cela. Jusqu’au jour où notre suffisance jettera le « bateau Terre » sur les récifs et que l’avarie nous plonge dans les abysses. Ah, si seulement nous savions nager !
Michel Jourdan