Par ces temps de guerres, de conflits, d’atrocités innommables et d’intolérance à travers le monde, nous avons réellement besoin que l’amour vienne au centre de nos préoccupations afin que nous puissions aspirer à des moments de bonheur, de fraternité, de sérénité et d’espoir. Si la politique a du mal à trouver des solutions pour nous offrir cela, il ne faut pas sous-estimer le pouvoir de l’art à ramener de la légèreté dans la lourdeur des actualités que nous subissons.
La galerie Imaaya présente « Sérénade », la première exposition solo du talentueux Arvin Ombika. Détenteur d’un BA Fine Arts des Beaux-Arts du MGI et d’un Master in Fine Arts de l’Université de Visva Bharati en Inde, l’artiste est un spécialiste de la peinture avec un traitement réaliste impressionnant. Tout est parfaitement maîtrisé : la technique, la couleur et le sujet. En effet, Arvin Ombika ose traiter un thème qui jusque pas longtemps était abordé avec beaucoup de précaution dans notre société mauricienne pudibonde et encore trop intolérante par rapport aux différences. Loin d’être un pro militant de la cause LGBTQI+, l’artiste a décidé d’ôter partiellement ce voile qui laisse transparaître timidement son orientation sexuelle en restant dans une certaine forme d’ambiguïté dans la lecture de ses œuvres, comme s’il ne souhaite pas afficher ouvertement son identité de genre. Il figure parmi les artistes mauriciens à mettre en avant le sujet de l’homosexualité de manière subtile dans son travail après Henry Coombes dont les œuvres, en revanche, affichent explicitement la question sans tabou et sans aucune gêne.
Le choix des œuvres présentées à Imaaya est très cohérent. Dès que nous entrons dans la galerie, il règne une atmosphère calme, paisible et sereine. Il y a de l’amour dans l’air. La palette de couleurs chaudes réchauffe indéniablement les murs blancs de la galerie. Arvin Ombika nous explique : « Dans « Sérénade », je présente une série de peintures figuratives dans un style très réaliste qui résonne avec l’Amour discret mais intense entre hommes. Cette exposition est une sorte de célébration de l’essence même d’une intimité profonde et multifacettes qui vise à aller au-delà des schémas sociaux normés pour embrasser la forme la plus pure des rapports humains … ». Ainsi, la volonté première de l’artiste n’est pas forcément de revendiquer son orientation de genre, mais plutôt de célébrer l’amour entre deux personnes de même sexe. C’est aussi un témoignage fort et sincère d’affection et d’amour pour l’être aimé. Effectivement, les personnages qui sont représentés dans les douze tableaux sont l’artiste lui-même et son amoureux.
Au-delà de la finesse de la technique, notamment le souci du détail, le réalisme et la justesse des carnations, Arvin a mené une réflexion et des recherches pointues sur deux éléments importants omniprésents dans chaque tableau : le Mouswar latet et le Gamcha, deux tissus très significatifs dans la culture hindoue et indo-mauricienne, notamment pour les hommes. Le Gamcha est ce tissu à motifs linéaires multifonctions pouvant être de différentes couleurs de format d’environ 90 X 90 cm qui servait à se couvrir la tête pour se protéger du soleil, pour s’essuyer ou pour être enroulé autour de la taille. Quant à Mouswar latet, c’est un tissu blanc avec des motifs d’étoiles rouge que les travailleurs indo-mauriciens portaient à l’époque. L’utilisation de ces deux tissus comme éléments principaux dans les compositions est un moyen plastique de réunir deux nations, deux cultures et deux êtres séparés géographiquement, sur une surface picturale qui se veut être porteur d’espoir, de tolérance et d’empathie envers une communauté minoritaire qui voudrait se fondre dans la masse et être traitée à égalité par rapport aux codes toujours trop hétéronormés de notre société. Les mouswar latet ont également pour fonction de cacher totalement ou partiellement les visages des deux hommes pour ne pas révéler leurs identités (que nous devinons malgré tout). Ce jeu de cache-cache, je révèle sans trop dévoiler, est à la fois intéressant, mais peut ne pas paraître très cohérent. Il est intéressant car Arvin fait usage des mouswar latet intelligemment faisant en sorte que nous ne ressentions pas cette volonté intentionnelle de ne pas rendre publics leurs visages. En revanche, pourquoi ne pas assumer pleinement ce beau témoignage d’amour en révélant totalement les visages ? Est-ce la pudeur ? Est-ce la discrétion de cette relation qui s’affirme aujourd’hui au grand jour à travers cette exposition ?
Finalement, un autre élément toujours omniprésent dans les compositions est l’auréole. Il l’explique ainsi : « Chaque personnage est représenté par une auréole qui lui attribue des qualités éthérées. Ces personnages sont alors élevés au statut d’icône ou des représentants d’une communauté particulière. Ces compositions mettent en avant le caractère sacré de l’amour sous toutes ses formes indépendamment des tabous et/ou des doxa de la société. En traitant ce thème d’une manière transcendantale, je cherche à bousculer les préjugés et initier une réflexion sur la dignité et la beauté que l’amour engendre ». Ce motif auréolé et la mise en scène des personnages peuvent être reliés au travail des artiste et photographe français Pierre et Gilles. Mêlant photographie et peinture, ces derniers réinventent l’imagerie populaire pour constituer une iconographie qui explore les liens entre histoire de l’art, les mythologies religieuses et la culture grand public. Nous pouvons également faire référence au couple d’artistes emblématique britannique Gilbert et George qui abordent sans tabou les grands sujets de société comme l’homosexualité.
Bien que très intéressant et voulant sensibiliser le public aux relations entre personnes de même genre, Arvin pourrait aller encore plus loin dans cette problématique importante pour une évolution de la mentalité mauricienne. Techniquement, l’artiste n’a rien à prouver. Il fait partie des meilleurs dans ce domaine à Maurice. En revanche, il pourrait trouver d’autres pistes de recherches avec un peu plus d’engagements pour que son travail devienne plus puissant. Il est indéniable que si Arvin Ombika ose se débarrasser de ce voile invisible qui quelque part le freine dans son élan personnel et artistique, il parviendra à atteindre des objectifs artistiques qui auront un impact plus fort que ce qu’il ne l’est déjà.
« Sérénade » est une exposition à voir à la galerie Imaaya à Phoenix.