Satyajit Boolell, ex-DPP : « Dire que nous obtiendrons des milliards de roupies est une bêtise et une fausseté »

Alors que l’accord entre Maurice et la Grande-Bretagne concernant les Chagos continue de faire des vagues, Le-Mauricien a rencontré cette semaine l’ancien Directeur des Poursuites Publiques, Me Satyajit Boolell, Senior Counsel. Ce dernier affirme que lorsque le ministre Alan Ganoo dit que Maurice obtiendra des milliards de la Grande-Bretagne, celui-ci colporte « une bêtise et une fausseté, parce que les détails de cet accord n’ont pas encore été étalés en public et n’ont pas encore été approuvés par la House of Commons ». Ce pays, dit-il, a induit Maurice en erreur à plusieurs reprises.

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L’accord entre Maurice et la Grande-Bretagne, au sujet de la souveraineté de Maurice sur les Chagos, continue de susciter le débat. Vous avez été associé d’une manière ou d’une autre au dossier Chagos. Que pensez-vous de cet accord politique ?


J’ai le sentiment que nous avons été piégés par les Anglais avec le dernier accord conclu entre la Grande-Bretagne et Maurice au sujet des Chagos. Je le dis pour plusieurs raisons. D’abord, l’affaire Chagos est une question d’ordre national. Je suis outré et triste que cette question ait été reléguée à une question d’ordre politique à un moment où Maurice s’achemine vers les élections générales.

Comment a-t-on pu réduire une question nationale à une affaire politique ? D’ailleurs, le candidat Ganoo affirme que Maurice obtiendra des milliards de roupies. C’est une bêtise et une fausseté, parce que les détails de cet accord n’ont pas encore été étalés en public et n’ont pas encore été approuvés par la House of Commons. Et éventuellement, nous aurions dû nous aussi aller devant le Parlement. Nous sommes à la veille des élections générales et ne savons pas quels seront les résultats.
Sur la base de mon expérience vécue et des études empiriques, j’affirme que les Britanniques nous ont toujours menés en bateau. Je m’explique. En 1965, lors des négociations en vue de l’accession de Maurice à l’indépendance, il y avait eu des pourparlers sur la question des Chagos. D’ailleurs, les Anglais ont été rattrapés par beaucoup de renseignements qui ont été rendus publics dans les archives. C’est ainsi qu’on a appris qu’un mémo adressé à Harold Wilson, alors Premier ministre, en septembre 1965, pour son secrétaire, était intitulé Frighten him with hope. Ce qui voulait dire est qu’il fallait menacer Seewoosagur Ramgoolam et lui faire peur en lui faisant croire qu’il avait le choix entre rentrer à Maurice avec ou sans l’indépendance, car de toutes les façons, le gouvernement britannique était en mesure de détacher les Chagos du territoire mauricien par le biais d’un Order in Council au cas où il ne serait pas d’accord avec la position britannique.
Lorsque Seewoosagur Ramgoolam est rentré à Maurice, c’est le Conseil des ministres, présidé par le gouverneur, qui a informé les Britanniques qu’il y avait un consensus sur le détachement des Chagos. Par la suite, lorsque les documents sont devenus publics, nous nous sommes rendus compte de la manière dont ils avaient trompé les dirigeants mauriciens, qui participaient aux négociations en faveur de l’indépendance.
Ils ont induit une deuxième fois Maurice en erreur en mettant les dirigeants devant un fait accompli. Juste avant l’accession de Maurice à l’indépendance. En effet, ils ont glissé dans la Constitution de Maurice une section pour dire que tous les natifs des Chagos sont des citoyens mauriciens (section 20, sous-section 4) sans que les autorités mauriciennes comprennent la portée de cette affirmation. Or, cette section leur permettait de dire qu’il n’y avait pas de résidents permanents aux Chagos. Les Britanniques se sont ainsi dédouanés de toute responsabilité vis-à-vis de ceux qui vivaient aux Chagos devant le comité de décolonisation des Nations Unies. Ils se sont lavé les mains. Les documents rendus publics par la suite ont démontré comment ils complotaient. Ils ont ainsi créé l’impression que personne ne vivait aux Chagos, mais que ces îles étaient « a piece of rock where there were only some seagulls ».
La troisième fois c’est lorsqu’ils ont promulgué une législation, par le biais d’un Order in Council, pour dire qu’il ne pouvait avoir d’habitations non seulement à Diego Garcia, mais dans tout l’archipel des Chagos. Le Groupe Réfugiés Chagos d’Olivier Bancoult a contesté cette législation en sa qualité de citoyens du BIOT. La Haute Cour de justice leur a donné raison en affirmant qu’on pouvait adopter une législation qui interdit aux habitants des Chagos de retourner dans leurs îles. Ils ont donc abrogé la législation en question. Robin Cook a affirmé que le jugement de la Haute Cour de justice sera respecté. Toutefois, immédiatement après, le gouvernement a entrepris une Feasibility Study, qui est parvenue à la conclusion qu’il était impossible de permettre aux Chagossiens de retourner dans leurs îles en raison notamment du changement climatique, du coût élevé des travaux qui seront nécessaires, et de la sécurité de la base.
Par la suite, d’autres documents ont démontré que les Britanniques ont menti en introduisant de faux éléments dans l’étude de faisabilité. Juste après cette étude, ils ont envisagé la création d’une Marine Protected Zone. Ils ont menti encore une fois, parce que WikiLeaks avaient démontré que les Britanniques avaient voulu créer cette zone protégée afin d’empêcher le retour des Chagossiens dans leurs îles natales.

Que voulez-vous démontrer ?


Ce que je veux démontrer, c’est que tout au long des négociations, au fil des années, les Britanniques nous ont induits en erreur. Ce n’est pas maintenant qu’ils vont jouer cartes sur table avec nous. D’ailleurs, ils savaient que Maurice était dans une situation vulnérable dans la conjoncture des élections, qu’ils subissaient des pressions de la part des États-Unis, qui étaient bien inconfortables concernant le jugement de la CIJ, qui a affirmé que c’est Maurice qui avait la souveraineté sur les Chagos. Ils ont forcé les Britanniques à arriver à un accord avec Maurice. Or, de par cet accord, nous cédons notre droit de souveraineté sur une partie des Chagos, notamment sur Diego-Garcia, à la Grande-Bretagne. Mais Diego-Garcia occupe autour de 50% de l’archipel des Chagos. Donc, nous avons perdu la moitié de l’archipel, soit autour de 27 km carrés. La question de location pour 99 ans équivaut à une vente de l’île.

La question de compensation a été évoquée…
Oui, maintenant nous parlons de compensation. Il ne faut pas oublier que nous avons obtenu des compensations à deux reprises, juste après l’indépendance et en 1982. En vérité, la compensation n’est pas un cadeau à Maurice. On nous doit cette compensation. Quel devrait être le montant et quel investissement doit être effectué, c’est une autre question. Nous ne pouvons pas spéculer sur une affaire que nous n’avons pas encore obtenue. J’insiste sur le fait qu’à chaque fois que nous avions été à la table des négociations avec les Britanniques, ils nous ont piégés, comme ils l’ont fait ces jours-ci. Cela démontre que nous avions été à la recherche d’un Short Term Gain pour des raisons politiques. Aucun Premier ministre dans le passé, y compris sir Anerood Jugnauth, n’est descendu à ce niveau.

Pour avoir travaillé sur ce dossier, je sais que tous les leaders politiques ont toujours considéré cela comme une question d’ordre national; il n’a jamais été question d’en faire une question politique. À un moment, il y avait eu des consultations avec le gouvernement, l’opposition et les Chagossiens. Même s’ils ne se sont pas consultés, ils ont été au Parlement afin de faire des déclarations pour informer le pays des derniers développements. Comme toujours, les Anglais ont joué sur les mots pour nous mener en bateau.

Maintenant, ils annoncent qu’ils reconnaissent notre souveraineté et, tout de suite après, qu’ils reprendront notre souveraineté sur Diego-Garcia. La différence, c’est que nous pourrions nous occuper de nos îles. C’est toute la différence, mais la question de souveraineté reste entière. Je sais que notre conseil légal, Philippe Sands, est proche de Keir Starmer, le Premier ministre britannique. Ils ont travaillé dans les mêmes Chambers et se fréquentent. Je me demande si la question de conflit n’a pas été évoquée entre eux.

Philippe Sands a dit que la loi internationale avait été respectée…
La loi internationale a été acceptée à notre détriment. La Grande-Bretagne respecte notre souveraineté, mais nous n’aurons aucun droit sur Diego-Garcia. Si nous sommes propriétaires des Chagos, nous aurions dû négocier avec les Américains directement. Pourquoi passer par les Anglais ? Nous aurions considéré dans quelle condition ils veulent garder Diego-Garcia. Ni la Grande-Bretagne ni les États-Unis ne doivent se permettre d’agir comme s’ils disposaient d’un mandat pour agir comme le guardian of peace in the Indian Ocean. Seul le conseil de sécurité des Nations unies peut le faire. Je ne crois pas que les Américains aient la prétention de dire qu’ils viennent afin de garantir la paix.

La situation actuelle n’est-elle pas une avancée par rapport à l’époque où Margaret Thatcher affirmait que les Chagos seraient rendues à Maurice lorsque l’Europe n’en aurait plus besoin pour des besoins de sécurité ?
Il y a une avancée. À l’époque, la Grande-Bretagne a affirmé que Maurice avait une revendication et que les Chagos seraient retournés lorsqu’ils ne seraient plus utilisés pour la défense de l’Europe. Ce qui, en d’autres termes, signifie ad vitam eternam. Entre-temps, nous avons eu une Advisory Opinion de la Cour internationale de Justice de La-Haye, qui affirme clairement que la souveraineté appartient à Maurice et que le détachement de l’archipel a été fait de manière illégale. Ils ont dit qu’ils respecteront ce jugement. Tant mieux. Mais en même temps, ils ont pris le plus gros morceau du gâteau. C’est un peu une contradiction. Peut-être que la philosophie du gouvernement actuel ne se résume qu’à l’argent.

Dans sa déclaration au Parlement britannique, le Foreign Secretary affirme que l’accord avec Maurice précise qu’aucune autre île des Chagos ne pourra être mise à la disposition d’une autre puissance…
Si c’est le cas, c’est un exemple flagrant que notre souveraineté est en question. Si nous sommes souverains, il nous faut avoir un contrôle total sur toutes nos îles. Ce n’est pas à lui de dire ce que nous ferons de ces îles. Je ne dis pas que ce serait le cas. Mais s’il arrive qu’un gouvernement mauricien pense qu’il n’y a rien de mal que la Chine ou l’Inde occupe une de ces îles, est-ce que nous n’aurons pas le droit de le faire ? Personne ne peut nous dicter ce que nous ferions de nos îles.

En attendant la conclusion d’un traité l’année prochaine, est-ce que la Grande-Bretagne peut revenir sur sa décision de reconnaître la souveraineté sur l’archipel des Chagos à Maurice ?
Non, il ne peut pas reculer. Cette déclaration n’a pas été faite volontairement. Elle découle d’un jugement d’une haute instance juridique. Je ne remets pas en cause la bonne foi du gouvernement britannique, mais il ne nous fait pas un grand cadeau lorsqu’il dit qu’il reconnaît notre souveraineté; il ne fait que respecter le jugement de la haute instance internationale. Ce qui est triste, c’est que malgré cela ils ont trouvé moyen de nous retirer la souveraineté sur Diego-Garcia.

En tout cas, c’est mal parti pour Maurice. Tout commence par l’erreur capitale de réduire ce dossier à une affaire politique à la veille des élections générales. Le gouvernement pensait qu’il allait faire un grand tam-tam, mais cela n’a pas été le cas. We should not be treated as fool by playing with words. Soit nous sommes propriétaires, soit nous ne le sommes pas. Le fait est que nous avons donné la moitié de l’archipel à la Grande-Bretagne pour 99 ans et le bail est renouvelable.

Vous suivez également la politique. Comment voyez-vous la campagne électorale en cours en vue des élections ?
C’est un exercice important dans la vie d’un pays et d’une nation. Comme nous disons : «Election should be free and fair ».  Je dis que tous ceux qui sont responsables des institutions de la PSC à la Banque de Maurice doivent agir comme des Mauriciens responsables et ne doivent pas permettre que leurs institutions soient utilisées comme des outils politiques à travers le recrutement d’agents politiques. Ce n’est pas leur mission.

Maintenant que la campagne électorale a été déclenchée, ils doivent se comporter de façon indépendante et responsable, et ne doivent pas faire plaisir à aucun politique, que ce soit du gouvernement ou de l’opposition. Ils doivent laisser les citoyens utiliser leur raisonnement et leur esprit pour voter pour le parti de leur choix en toute impartialité.

Après 56 ans d’indépendance, il faut que chaque citoyen puisse agir de manière responsable. L’électeur doit pouvoir voter sans subir aucune pression et en toute indépendance. C’est lui qui doit prendre sa décision et décider de l’avenir de son pays sans laisser la peur prendre le dessus de notre bon sens lorsqu’il s’agira de choisir pour qui voter.

Envisagez-vous de vous engager politiquement à l’avenir ?
Non, j’exprime mon opinion à travers la presse, à travers vous. Je le fais déjà comme un citoyen engagé.

Quel est l’enjeu de ce scrutin ?

Le gouvernement a amélioré les infrastructures et a réalisé le métro. Mais ce qui me touche personnellement, comme citoyen, c’est que nous avons un gros problème de drogue dans le pays. En tant qu’ancien DPP, j’ai dit à plusieurs reprises ce qui faudrait faire pour améliorer la situation. Ce sont nos enfants qui meurent, qui deviennent des déprimés et des victimes des drogues. J’ai déjà dit que may ti pwason pa pe amenn nou lwin. Les trafiquants poursuivent leurs activités à cause de l’argent facile. C’est un réseau qui brasse des milliards de roupies.

Nous aurions dû mettre le recouvrement des biens illicites émanant du trafic de drogue entre les mains d’une agence équipée et qui soit en mesure de s’attaquer à cet argent noir. Aujourd’hui, tout le monde parle d’économie parallèle. La drogue est toujours omniprésente dans notre société. Rien n’a reculé en ce qui concerne la drogue. Je me souviens que lorsque je suis entré au Parquet, comme jeune avocat, nous avions poursuivi des trafiquants. Nous poursuivions des courriers, des mules, mais nous n’avons pas réussi à toucher les gros poissons car leurs tentacules ont pénétré des agences d’investigation.

La FIU, la Banque de Maurice, le bureau des impôts, l’ADSU, le commissaire de police, etc., auraient dû faire cause commune. Notre système d’investigation aurait dû être revu. Vous pouvez croire que La-Réunion nous a dit à quelle heure, où, quel bateau et quel trafiquant était en train d’introduire de la drogue à Maurice ? Malgré cela, les trafiquants ont eu le temps de prendre la fuite. Les enquêteurs n’ont vu que des « goni ». ll y a de quoi se poser des questions.

En plus, aucune grosse affaire n’arrive devant la Cour. Les trafiquants ont connu le système de la Cour, qui est devenu archaïque. Ils jouent avec le système. Ils ne craignent pas l’Enforcement of Law. L’argent saisi aurait dû être réinvesti dans les agences d’investigation pour combattre la drogue. Il faut savoir ensuite comment réhabiliter nos enfants.

Depuis que je suis DPP, à part le centre de Terre-Rouge financé par l’église catholique et le centre Idrice Goomany, je n’ai vu aucune institution qui ait ouvert ses portes pour réhabiliter nos jeunes. Notre système d’éducation a reculé et les enfants sont devenus des rejets de la société. Ils sont entrés dans la drogue. Ce sont ces choses qui m’interpellent. Il y a eu une pénétration politique dans toutes nos institutions. Il ne reste que le bureau du DPP, mais ils ont retiré tous ses pouvoirs.

Ce Bureau n’a pas son mot à dire dans les crimes financiers. La PSC, les régulateurs de notre système financier, les banques contrôlées par le gouvernement… Ils sont tous devenus des outils politiques. Plus grave encore : ils pratiquent une politique de polarisation communale. Nous nous laissons influencer par des politiques ethno-nationalistes qui viennent de l’étranger. Au lieu de faciliter l’émergence d’une nation mauricienne, nous parlons de hindu belt et de kreol belt. Nous divisons et morcelons le pays pour des gains politiques.

Le peuple mauricien doit se lever comme une seule personne pour sanctionner cette politique. Sinon, nous continuerons de reculer. Phokeer a dévalué notre Parlement et c’est lui qui fait aujourd’hui de la politique.

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