S’il reconnaît que le gouvernement a fait des efforts, à travers les diverses allocations sociales dans l’intention de soulager les plus vulnérables, le travailleur Salim Muthy juge que ces aides sont loin d’être suffisantes dans un contexte de flambée incessante des prix. Il étrille les propos de la ministre du Commerce, Dorine Chukowry, selon lesquels, à en juger par les centres commerciaux bondés, les Mauriciens vivent bien. « Il est vrai qu’il y a eu une augmentation de la pension. Mais, est-ce que cela suffit ? » s’interroge-t-il. Avant de mettre en garde contre une éventuelle annonce d’augmentation du 14e mois pour remporter les élections.« Le pays sera à genoux en termes d’endettement. L’inflation ne fera qu’impacter davantage les personnes les plus modestes ». Enfin, il estime que les résultats des Législatives ne seront ni comme en 2014 ni comme en 2019. « Ni le gouvernement ni l’opposition n’aura la majorité des trois-quarts au Parlement ! Les gens ont déjà pris leur décision ».
En tant que travailleur social, quelles sont les principales préoccupations que vous lisez en ce moment dans le regard de ceux que vous côtoyez au quotidien ?
Je vois une certaine frustration mêlée à de la colère, surtout parmi des jeunes. En plusieurs occasions, lors de rencontres avec eux, la question qui revient, c’est quel sera leur avenir. Il ne faut pas généraliser en les associant facilement à l’addiction à la drogue, à la délinquance, etc.
Il y a aussi des jeunes qui se soucient de leur avenir : que deviendront-ils demain ? Leur principale préoccupation, c’est comment s’en sortiront-ils financièrement. Il y a eu l’introduction du salaire minimum mais face à la flambée du coût de la vie, les gens s’en offusquent un jour ou deux mais au final, ils n’ont d’autre choix que d’acheter tous ces produits dont les prix ont triplé.
Ces jeunes se projettent dans les dix prochaines années et se demandent combien coûteront ces produits de base et comment ils se débrouilleront pour vivre. Prenez le prix des œufs aujourd’hui, un produit consommé par les besogneux avec des mines, censés constituer un repas peu coûteux. Aujourd’hui, tel n’est plus le cas…
Par ailleurs, il y a un rajeunissement des jeunes qui ont sombré dans la drogue. Est-ce logique qu’autant de jeunes soient tombés dans cet enfer ? Que fait-on pour les en sortir ? Tous ces parents qui ont investi en eux espérant qu’un jour ils puissent les aider financièrement. La réalité, c’est que la misère ne fera que s’accroître.
La crise économique ne s’est-elle pas atténuée avec les diverses allocations sociales annoncées dans le budget ?
Point du tout ! Le gouvernement a fait ses efforts, certes, mais y a-t-il un suivi en parallèle pour voir si ces allocations suffisent vraiment pour les bénéficiaires ? Il n’y a aucune enquête.
Pensez-vous qu’avec Rs 20 000, une personne peut vivre aujourd’hui ? Il faut au minimum Rs 75 000/mois pour qu’une famille puisse vivre correctement et épargner un peu. Aujourd’hui, les gens vivent au jour le jour. À chaque fin du mois, beaucoup ont soif et attendent avec impatience la paie. Et, une fois la paie reçue, le salarié est déjà stressé en pensant à ce qu’il doit payer en priorité. Ensuite, avec le peu qu’il reste, il doit faire l’impossible pour acheter de quoi vivre pour un mois. Beaucoup consultent les brochures des supermarchés pour repérer les prix les moins chers.
J’ai entendu dire que la ministre du Commerce a déclaré que malgré la vie chère, les Mauriciens vivent bien et elle a invité à faire un tour dans les centres commerciaux pour voir que les restaurants sont bondés. Je me demande si elle vit dans la réalité. Elle a oublié qu’elle est sujette aux votes des petites gens.
Il est vrai qu’à une période du mois, les points de restauration des centres commerciaux affichent complet et il est difficile de trouver une place. Comment expliquer cela ?
Durant le week-end, surtout, la majorité des Mauriciens ne cuisinent pas. Ils ont travaillé durant toute la semaine et ont envie de respirer un peu. Quand nous parlons de s’alimenter dans ces points d’alimentation, une personne peut prendre un riz frit ou des mines à Rs 175-Rs 200.
Si un couple doit acheter les ingrédients nécessaires (riz, ‘mines’, carottes, œufs, poulet etc.) pour cuisiner ces plats, cela leur reviendra à plus cher que dans un centre commercial. Ils préfèrent prendre un petit temps de pause au restaurant, s’asseoir et manger. Quand nous parlons de manger dans ces centres commerciaux, ce n’est pas consommer des plats onéreux. De surcroît, les Mauriciens n’ont pas beaucoup de loisirs. Il n’y a pas d’activités régulières dans les centres récréatifs. En Angleterre, j’ai vu plusieurs activités comme les Car Boot Sales, la peinture et des aliments sont distribués. Ici, on n’a rien de tel. Demain, si un autre centre commercial ouvre, vous y verrez autant de personnes. La réalité, c’est que le monde évolue et le pays suit la tendance mondiale. Or, lorsqu’une famille modeste doit sortir son enfant et que ce dernier demande une friandise à Rs 60 quand ailleurs cela se vend à Rs 35, comment les parents peuvent-ils refuser ?
En public, il n’osera pas dire non. Il doit faire plaisir à son enfant. Une partie de la population ne peut suivre le développement rapide faute de moyens financiers. Toutes les semaines, environ 50-60 résidences sont saisies par la banque et vendues à la barre. Quelle est la raison derrière ?
Prenons une famille avec Rs 20 000. Dès qu’elle reçoit son salaire à la fin du mois, elle doit payer Rs 16 000 de prêt bancaire. Sur Rs 20 000, il lui reste RS 4 000. Il faut payer la location, l’électricité, l’eau, MyT, etc. À force de difficultés, elle décide de payer plutôt ces dernières factures et accumule du retard sur le remboursement du prêt bancaire…
Avant de faire de telles déclarations, la ministre du Commerce doit revoir la marge de profit des importateurs. Au début, elle a fait sensation en infligeant des amendes dans des supermarchés. Ensuite ? Comment expliquer qu’un plateau d’œufs coûte plus cher qu’une bonbonne de gaz ? Le gouvernement doit en priorité revoir les gaspillages des fonds publics et donner cet argent aux pauvres.
Il est vrai qu’il y a eu augmentation de la pension. Mais, est-ce que cela suffit ? À la veille des élections, nous entendons dire que la pension va encore augmenter. Je mets en garde contre une éventuelle annonce de 14e mois dans le but de remporter les élections. Le pays sera à genoux en termes d’endettement. L’inflation ne fera qu’impacter davantage les personnes les plus modestes.
Que représentent ces élections pour vous ? Que vous inspire cette année électorale ?
Il y a eu le discours budget qui était une occasion d’améliorer la vie des Mauriciens. Malheureusement, c’est du pareil au même. La quantité d’argent qui sera dépensée pour remporter les élections… Il nous faudra dresser un bilan de ce que nous avons eu comme positif et négatif pour décider qui voter. Soit voter des individus soit voter sur une base communale.
Ce n’est pas possible qu’à chaque veille d’élections, le gouvernement vienne avec un projet de loi sur le financement politique. Pourquoi n’ont-ils pas introduit cela et la réforme électorale au début même de leur mandat ? Pourquoi ne pas avoir revu la pension des parlementaires, ministres, président et vice-président ? Certains politiciens ont droit à cinq pensions : employé, NPF, pension de vieillesse, député, pension contributive. Autant d’argent dans ces pensions à vie. Je n’ai vu aucun parti ayant proposé de revoir ces pensions.
Il a fallu que je tienne une conférence de presse pour demander que les personnes handicapées aient droit à une pension de vieillesse à 60 ans. La ministre de la Sécurité sociale, Fazila Daureeawoo, m’a fait savoir que la loi ne prévoit qu’une pension. Nous ne concevons pas qu’une personne handicapée de 60 ans reçoive une pension de vieillesse alors qu’il y a une pension pour les parlementaires ? Ces personnes cessent-elles d’être handicapées à l’âge de 60 ans ? C’est à force de pression que la question est en cours de révision.
En début d’année, vous êtes venu en aide à des familles dont les maisons s’étaient effondrées à la suite des inondations. Qu’avez-vous à dire sur le changement climatique ?
Pour moi, l’invocation du changement climatique n’est qu’une fausseté. Pour se dédouaner des drains mal conçus, des canalisations bloquées, des travaux confiés à des personnes non-experts pour faire des drains, les autorités imputent tout au changement climatique.
Nous aurions pu concevoir des petits réservoirs pouvant alimenter Vallée-Pitot, Tranquebar, Plaine-Verte, Vallée-des-Prêtres, Ward IV… Mais, il n’y a pas de vision. Ces maisons n’auraient pas dû s’effondrer. C’est à cause d’une mauvaise planification. Zot kas pon, pena feray anba, zot met sima zot ale. Il n’y a pas d’ingénieur pour vérifier les travaux.
Dans les régions rurales, des champs de canne ont été remplacés par des morcellements. Chacun a construit à sa manière sans vrai système d’évacuation d’eau. Et, nous nous étonnons qu’il y ait des inondations. Lorsque les autorités décrètent la rue Washerwoman Row une zone à risques, on vient me demander de collecter les coordonnées des habitants sans toutefois tenir ces derniers au courant, sans aucune rencontre pour expliquer c’est quoi une zone à risques, sans sensibiliser. Pas de hotline. Et, la valeur des résidences dégringole. Personne ne voudra acheter ici.
Qu’espérez-vous pour votre société ?
Tant que les autorités ne font pas d’efforts, la situation empirera que ce soit au niveau de la drogue, de la pauvreté, la criminalité et des accidents de la route. Nous ne pouvons introduire des amendes de Rs 25 000. Il faut le dialogue et des réformes pour soutenir et sensibiliser les gens. Nous sommes en train de nourrir la pauvreté et la drogue pour faire de la politique. Au lieu de sortir les jeunes de la drogue, nous leur donnons de la méthadone.
Nous ne pouvons appâter un jeune, lui demandant de venir coller des affiches contre une promesse de travail quand il mérite d’avoir un travail. Aujourd’hui, nous ne parlons plus de chômage. Pourquoi ?
Les jeunes diplômés obtiennent des stages avec un Stipend de Rs 6 000-7 000. Ils ne figurent plus alors sur la liste des chômeurs. Je mets en garde les politiciens qui se bataillent pour obtenir le pouvoir. Ils ont tous les mêmes refrains. L’opposition critique le gouvernement et vice-versa.
Cette fois, ce ne sera pas comme en 2014 ni 2019. Ni le gouvernement ni l’opposition n’aura la majorité des trois-quarts au Parlement ! Ce sera totalement différent. Les gens ont déjà pris leur décision…
(Propos recueillis par Sharon Leung Ahfat)