Rockfest au Caudan Arts Centre : le rock malgache choc

Le centre d'arts de la capitale a été témoin de performances endiablées tout droit venu de Madagascar. Porté par de puissantes voix féminines, le rock malgache a resplendi durant deux soirées. L'énergie déployée par les groupes d'Antananarivo a autant conquis que choqué. De: Joël Achille.

Hormis Madagascar, aucune autre île de l’océan Indien ne peut conter l’exode rural. Le destin tragique de milliers de Malgaches, qui abandonnent les contrées appauvries pour se diriger vers les grandes villes, notamment la capitale, Antananarivo. L’espoir d’une vie meilleure guide leur quête.

- Publicité -

Toutefois, comme le relate Lendrema, chanson du patrimoine malgache repris par Erica DuRock au Caudan Arts Centre, c’est souvent la misère qui attend les errants.

La portée de ce drame a envahi le centre d’arts de Port-Louis dans la soirée de vendredi à l’occasion du Rockfest.

Organisé par le guitariste de renom Thibault de Robillard, l’événement a, durant deux jours, mis en lumière la dimension du rock malgache, certainement le plus puissant de l’océan Indien. Puissance que la Grande île doit aux dures réalités que subit son peuple.

Les textes sur l’amour, l’apocalypse, la solidarité et la force, bien qu’incompris, se déclament avec une profonde humanité, qui provoque d’intenses émotions.

Kristel et Dizzy Brains avaient déjà démontré à Maurice l’énergie débordante que les acteurs de l’underground malgache pouvaient déployer sur scène.

Cette fois, quatre autres formations de la Grande île – Erica DuRock, Alkiniah, Dark’Inside et Seth on Fire – ont choqué l’auditoire rassemblé au Caudan Arts Centre, majoritairement déplacé pour Feedback.

En première partie des deux soirées, le groupe mauricien a rendu hommage à Pink Floyd. Pendant environ une heure, ils ont repris les principaux tubes de la formation londonienne (Another Brick in the Wall, Confortably Numb…), et ce, en respectant la prestation scénique modérée qui caractérise ce groupe légendaire.

La fougue de Thibault de Robillard dénotait ainsi des autres membres, plutôt tempérés dans l’ensemble. Si ce n’était la voix exceptionnelle de Joelle Citta, d’une justesse et d’une précision époustouflantes.

Les spectateurs étaient de fait plus que conquis face à ce calme show rock, couplé d’un jeu de lumières dynamique. Rien ne les avait préparés à ce qui allait suivre. Soit la vigueur d’Erica Rakotonoely.

Première chanteuse des groupes malgaches à entrer en jeu, elle a balancé une énergie extraordinaire au sein du prestigieux théâtre. Il fallait pouvoir encaisser.

Les fans les plus invétérés – dont quelques-uns étaient présents il y a trois semaines à l’occasion de l’Underground Rock Festival – ont acclamé cette ardeur.

Les sièges ne servaient plus à rien; tous gagnèrent le pied de la scène.

Pour les autres, difficile de comprendre ce qui se passait. Ils campaient ainsi à leurs places, précieusement réservées en leurs noms, en se trémoussant comme ils le pouvaient.

Les têtes bougeant en rythme témoignaient cependant du désir difficilement contrôlable de se laisser happer par la vague malgache. Car même si la compréhension de la langue demeurait problématique, l’intensité de la passion déployée traduisait tout ce que vit la Grande île.

Les pudeurs devaient ainsi s’envoler davantage lors de la performance d’Alkiniah. Le power métal et les solos de guitares enragés convergèrent d’autres rockeurs au-devant de la scène.

C’en était toutefois trop pour d’autres : l’heure tardive et les riffs énervés les avaient alors poussés à quitter le sanctuaire du rock malgache.

Qu’auraient-ils fait s’ils étaient présents à la deuxième soirée ?

Pour cause, samedi soir, c’est le growl malgache qui a imprégné le théâtre. D’abord par l’entremise de Dark’Inside et de la chanteuse Marielle Ralaimihoatra, qui a visiblement tout donné sur scène. Puis à travers les grondements de Sahanina Rakotonirainy, de Seth on Fire.

Le choc se lisait sur le visage des plus prudes, qui se cramponnaient à leurs sièges. Alors que d’autres se laissèrent porter par l’envoûtement des riffs de guitares expéditifs, de lignes de basses impétueuses, soutenus par des batteurs fougueux.

Les musiciens malgaches ont, en somme, démontré une maîtrise épatante de leurs instruments, joués avec la rage de prouver à toute une île la capacité des leurs.

La venue au Caudan Arts Centre semblait ainsi peu appropriée à de telles performances. Toutefois, tous les honneurs vont aux organisateurs, qui ont à l’occasion voulu porter sur de réputées scènes des groupes de l’underground malgache, souvent mal vu en leurs terres de croyants.

Le centre d’arts a cependant fourni des équipements haut de gamme, résultant en une qualité de sons impossible à égaler ailleurs.

Le Rockfest marque un énorme coup en rappelant que, quand il s’agit de rock, Madagascar ne peut être oubliée.

A quand la prochaine édition ?


Les rockeuses malgaches

Comme annoncé la semaine dernière, La Réunion a également accueilli une formation malgache durant le week-end précédent : LohArano. Tant à Maurice que dans l’île sœur (où s’est tenu le Tic Show), les voix principales du rock étaient assurées par des femmes : Karen (Alkiniah), Marielle Ralaimihoatra (Dark’Inside), Sahanina Rakotonirainy (Seth on Fire), Erica Rakotonoely (Erica DuRock) et Mahalia Ravoajanahary (LohArano). Celles-ci, ont-elles confié au Mauricien lors d’entretiens téléphoniques, ont dû braver nombre de préjugés pour s’imposer comme porte-voix de cette musique, considérée comme « satanique ».

Les voix féminines malgaches du Rockfest sur la scène du Caudan Arts Centre

« Au tout début, ça a été compliqué pour moi, surtout psychologiquement », explique Mahalia Ravoajanahary. « On me pointait du doigt, on me jugeait. On disait que je n’avancerai jamais dedans et on me demandait pourquoi je traînais dans les bars la nuit… alors que c’était pour jouer de la musique. Les gens ne comprennent pas forcément que la musique, je ne la considère pas seulement comme une passion; c’est aussi mon travail. C’est normal que je fasse des recherches, que je côtoie plein de monde. Et par rapport à ces jugements, il y a eu beaucoup de freinage, surtout dans ma tête. Toutefois, au fil du temps, j’ai su dépasser ce stade. En ce moment, je m’en balance de ce que disent les autres. L’important, c’est ce que je sais ce que je fais et que j’avance à ma manière. Je ne vois pas en quoi le rock peut détruire ma vie. »


Le drame de Lendrema

Lendrema raconte l’histoire d’un enfant d’un village de la campagne qui, ayant rejoint Tana, devient un bandit. Jeté en taule, il en ressort traser. Une destinée qui le suivra jusqu’au terme de sa vie, condamnant sa descendance. Son fils devient également un truand. Composé par Bekoto en 1974 et joué par le groupe Mahaleo, Lendrema a trouvé un nouveau souffle rock avec Erica DuRock. Le clip de cette reprise a d’ailleurs été tourné dans un lieu symbolique : à la lisière de la capitale malgache, dans une carrière perchée sur des monts. Là-bas, des hommes, femmes et enfants s’épuisent à creuser la montagne pour gagner de quoi vivre.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -