Le-Mauricien a rencontré cette semaine le vice-président de la République, Robert Hungley, à son bureau de Quatre-Bornes. Il parle de sa carrière professionnelle comme Clearing and Forwarding Officer dans la région portuaire et de son expérience acquise au sein du MMM. Mais aussi de sa volonté de se concentrer sur la lutte contre la drogue et la réhabilitation et l’intégration des toxicomanes, en particulier les jeunes.
« Ma priorité est le combat contre la drogue, qui affecte dangereusement la jeunesse du pays. Les jeunes ont perdu goût à la vie. Il faut leur redonner l’envie de vivre en les réhabilitant. Je suis confiant qu’on pourra le faire grâce à l’aide de toutes les organisations engagées dans ce domaine afin d’amener ces jeunes à se réhabiliter et à reprendre leur place dans la société », affirme-t-il. Robert Hungley, vous assumez dйsormais le poste de vice-prйsident de la rйpublique. Pouvez-vous nous parler de votre parcours personnel et professionnel ? Je suis né à Rose-Hill et suis le cadet d’une famille de huit enfants (cinq garçons, trois filles). J’ai perdu mon père alors que j’avais 16 ans. Je suis entré immédiatement sur le marché de l’emploi dans le secteur de la logistique, plus précisément dans les Clearing and Forwarding Services.
À l’époque, c’était un nouveau métier. J’ai donc appris sur le tas et j’ai été captivé par ce que je faisais. Les marchandises étaient embarquées à partir du quai A et débarquées dans des navires à travers des chalands. La douane était encore à l’arrière de La Poste Centrale. Pour se rendre au quai A, on traversait le bras de mer à bord d’un bateau à rames qui faisait le trajet pour 50 sous. C’était l’époque des balbutiements du développement portuaire. Maurice commençait à se positionner par rapport au commerce mondial. Nous étions en 1975, une époque toujours marquée par la lutte syndicale et les grèves.
Depuis, la configuration portuaire a beaucoup changé. Nous avons vu, par la suite, le développement du quai Ouest, le développement des quais en eaux profondes, la construction des quais de conteneurs.
Qu’est-ce qui vous a tentй а faire ce mйtier ?
Une des raisons est que mon père était employé des Mauritius Docks qui s’occupaient surtout de l’embarquement du sucre. Enfant, j’accompagnais mon père dans le port pour voir comment se faisaient l’embarquement et le débarquement. À cette époque, les dockers transportaient les balles de sucre sur le dos, sous la pluie ou sous le soleil de plomb. Il y a eu beaucoup d’accidents, et les travailleurs du port n’avaient pas la considération voulue.
Paul Bérenger, soutenu par des hommes de conviction, a donné aux travailleurs et aux syndicats leur valeur. La lutte des travailleurs du port pour réclamer leurs droits et leur dignité n’a pas été facile. Par la suite est arrivé le Bulk Sugar Terminal qui était alimenté par des camions de sucre en provenance des usines sucrières à travers l’île qui venaient déverser leurs cargaisons qui étaient ensuite embarquées directement dans la cale des vraquiers en provenance d’Europe.
Aujourd’hui, le vrac n’est plus utilisé pour l’exportation sucrière mais pour l’importation de sucre du Brésil. Le développement portuaire s’est, par la suite, accéléré et le port est devenu aujourd’hui un maillon incontournable dans le développement économique et commercial du pays. Le métier de Clearing and Forwarding a continué à prendre de l’ampleur alors que le service des douanes s’est modernisé. La digitalisation a remplacé graduellement les paperasses et les procédures très lourdes ont été graduellement automatisées.
Aujourd’hui, les transactions et les paiements se font en ligne conformément aux normes internationales. Le secteur portuaire est un domaine où il faut en permanence voir très loin de façon que son développement soit en phase avec le développement du pays. Comment votre engagement politique a-t-il commencй ? Mon engagement a commencé autour de 1975. J’avais quitté l’école et avais commencé à travailler tout en poursuivant mes études secondaires en privé. Le dévouement de ma mère qui était, également, une grande travailleuse sociale, m’a beaucoup inspiré. Je n’étais pas parmi les leaders, mais j’ai suivi l’évolution politique et j’ai participé aux manifestations estudiantines malgré les risques que je courrais. J’ai participé à des mouvements et activités au niveau de la région où j’habitais à Rose-Hill.
À l’époque, il y avait beaucoup de familles nombreuses. C’était le cas pour ma famille. Les parents n’avaient pas de grands moyens pour payer l’écolage de leurs enfants. Nous avons donc commencé à militer pour que l’éducation soit reconnue comme un droit et soit mise à la portée de tous, en particulier pour les plus démunis. À travers ces activités, j’ai pris conscience de l’importance de l’engagement politique afin de participer à la construction de l’avenir du pays. C’est ainsi que j’ai commencé à suivre le MMM. J’ai adhéré au parti par la suite.
Mon premier engagement au sein du MMM a été ma participation aux élections municipales de 1995 J’étais candidat à Beau-Bassin/Rose-Hill. J’ai été élu. Ce premier mandat municipal m’a permis de m’imprégner de l’esprit socialiste du MMM, et j’ai fait mes premières armes au niveau politique et de l’administration régionale. J’ai été réélu lors des élections municipales de 2001 et les conseillers m’ont fait l’honneur de m’élire au poste de maire des villes sœurs pour la période 2004-2005. C’était une expérience extraordinaire.
Par la suite, il y a eu des changements au sein du MMM, j’ai adhéré au comité central de ce parti avant d’être élu au bureau politique où j’ai occupé la fonction de secrétaire général adjoint. Le MMM est une université ; tout ce cheminement m’a aidé à me rapprocher de la population et à mieux comprendre le fonctionnement de l’administration publique.
Beaucoup de gens sont passés par là, ont bénéficié de cette formation et se sont imprégnés de la philosophie de gauche. Toutefois, certains ont été déformés et ont quitté le parti pour faire carrière ailleurs. Vous faites partie de ceux qui sont restйs fidиles au MMM en toutes circonstances… Je suis resté fidèle à mes principes et j’ai suivi une ligne droite. Je n’aime pas les déviations. Je n’ai jamais changé de métier, ni d’employeur. J’ai appliqué le même principe au sein du MMM bien que ce ne soient pas des propositions qui ont manqué, notamment lors des cassures et des crises au sein du MMM. J’ai toujours respecté les valeurs acquises au sein de ce parti.
Le monde et le pays ont évolué, le parti et son leadership ont toujours su s’adapter à la situation sans jamais trahir leurs valeurs. La résilience du parti a été récompensée par la population qui a porté l’Alliance du Changement, composée du PTr, du MMM, du ND et de ReA, au pouvoir cette année. Puisque vous кtes trиs familier avec l’administration rйgionale, ne pensez-vous pas que les municipalitйs ont perdu au fil des annйes de leur importance ? Avec les amendements apportés en 2012, les municipalités ont perdu leur autonomie. Il est malheureux que la politique ait, en quelque sorte, pourri les administrations régionales. Le gouvernement a pris le dessus et les édiles du conseil municipal ont perdu leurs pouvoirs.
Est-ce que vous aurez votre mot а dire dans le cadre des rйformes qui s’annoncent au niveau des administrations rйgionales ?
Bien sûr. Nous veillerons que les collectivités locales disposent de plus d’autonomie et des financements nécessaires pour mener à bien leurs projets. Comment faire pour s’assurer que les йquipes des administrations rйgionales ne soient pas vues comme des Second Teams des groupes parlementaires ? Les municipalités sont en peu le reflet de la politique des principaux partis. J’attire votre attention sur le fait que beaucoup de personnes compétentes n’ont pas été en mesure de présenter leurs candidatures lors des dernières élections générales pour des raisons évidentes. Je suis certain que beaucoup pourront présenter leurs candidatures aux prochaines élections municipales et pourront ainsi mettre leurs compétences au service des villes et du pays.
Sur la base de mon expérience vécue au sein du MMM, je sais que ce parti a toujours préconisé l’indépendance des municipalités. Bien entendu, les municipalités doivent avoir l’aide du gouvernement et, par conséquent, les finances publiques doivent être utilisées judicieusement et dans la transparence. Cependant, les projets doivent émaner des municipalités. Vous avez connu une carriиre rйussie au niveau municipal, mais vous avez aussi connu deux dйfaites aux йlections gйnйrales. Est-ce que cela vous a dйcouragй ? Les défaites ne sont pas agréables. Nous pouvons ressentir une certaine amertume et avoir l’impression de n’avoir pas été bien compris même si nous sommes sincères dans notre démarche. Malheureusement, malgré le fait que vous avez de bonnes idées et malgré votre sincérité, il y a d’autres éléments qui entrent en jeu.
C’est vrai, j’ai été un candidat malheureux lors des élections générales en 2014 à Belle-Rose/Quatre-Bornes et en 2019 à Stanley/Rose-Hill. Cependant, il ne faut jamais baisser les bras. Il ne faut jamais prendre les choses de manière personnelle, il faut avoir l’humilité d’accepter les résultats. Plus important, il ne faut pas perdre de vue la notion de Nation Building et celle de service à la population qui est la base de notre engagement politique.
А quel moment, avez-vous su que vous seriez appelй а occuper les fonctions de vice-prйsident ?
Pendant la campagne, j’avais eu des choix à faire dont la possibilité d’assumer de certaines responsabilités au niveau du secteur portuaire. J’ai finalement opté pour la fonction de vice-président. Je suis très heureux d’avoir à travailler sous la direction du président Dharam Gokhool, qui est un homme d’État avec une longue expérience en politique. Comment voyez-vous votre rфle comme vice-prйsident ? Bien sûr, c’est un rôle honorifique. Nous pouvons cependant apporter une grande contribution grâce à notre expérience de la vie et de la société. Nous pouvons apporter une importante contribution au développement du pays en général.
Personnellement, j’accorde une grande importance au combat contre la drogue, aux personnes autrement capables qui sont victimes des accidents de la vie et qui ont besoin d’être réinsérées dans la société. Ma priorité est le combat contre la drogue qui affecte dangereusement la jeunesse du pays. Les jeunes ont perdu goût à la vie. Il faut leur redonner l’envie de vivre en les réhabilitant. Je suis confiant que nous pourrons le faire grâce à l’aide de toutes les organisations engagées dans ce domaine afin d’amener ces jeunes à se réhabiliter et à reprendre leur place dans la société.
Il y a tout un travail à faire afin qu’on puisse les considérer non pas comme des récidivistes, mais comme des malades qui peuvent être soignés. Par ailleurs, je suis en communication constante avec le président et nous passons en revue constamment ce qui se passe dans le pays et suivons de près ce qui se passe au Parlement. Cela vous gкne-t-il que le poste de vice-prйsident soit remis en cause par certains ? Je suis au courant qu’il y a un certain nombre de critiques contre l’existence du poste de vice-président et qui ne concernent nullement la personnalité de son titulaire, bien entendu. Il faut le mettre dans son contexte. Cette fonction a été créée après mûre réflexion au sein du gouvernement alors que Maurice a accédé au statut de République.
La question est de savoir s’il aurait été mieux de la confier au chef juge en l’absence du président de la république. Le président, en tant que chef d’État, est au-dessus du législatif, de l’exécutif et du judiciaire. Le risque de conflit d’intérêts s’est posé ; ensuite, le chef juge qui est également un poste constitutionnel a déjà énormément de travail. Il sera embêtant de lui donner de nouvelles responsabilités au risque d’affecter sa tâche et de retarder les jugements de la Cour suprême qui est déjà surchargée de travail.
Est-ce que ce serait bon pour le pays ?
Le gouvernement dans sa sagesse a trouvé qu’il est bon qu’il y ait un vice-président pour remplacer le président lorsqu’il est absent du pays et lorsqu’il est en mission à l’étranger. Est-ce que le vice-prйsident devrait exercer des responsabilitйs spйcifiques ? Le président de la république m’a confié des responsabilités. Déjà, comme je vous l’ai expliqué plus tôt, j’ai l’intention de consacrer une bonne partie de mon mandat à la lutte contre l’addiction à la drogue, à la réhabilitation des drogués, à leur insertion dans la société. C’est pour moi une mission personnelle. Cela nécessite des contacts réguliers avec toutes les parties prenantes dans ce domaine.
D’ailleurs, j’ai déjà commencé à visiter les centres de réhabilitation. Je sais ce qui m’attend dans ce domaine. Je serais, bien sûr, très heureux d’exercer des responsabilités accrues afin de soutenir le président de la république. Une des premiиres dйmarches du chef du gouvernement a йtй la prйsentation de l’йtat de l’йconomie laissй par ses prйdйcesseurs. Comment avez-vous accueilli ce constat ? Comme tout le monde, j’ai été bouleversé par l’état de l’économie. Nous savions tous qu’elle était en difficulté, mais personne ne s’attendait qu’elle soit dans un état aussi préoccupant. Il y avait beaucoup de choses cachées.
Nous passerons évidemment par une période difficile. Je suis confiant que le gouvernement actuel dispose de toutes les compétences et des techniciens hautement compétents sous la direction de Navin Ramgoolam et de Paul Bérenger et qu’ils pourront relever le défi et remettre le pays sur les rails. Je suis confiant pour l’avenir que ce soit sur le plan économique ou social.
Ne vous sentez-vous pas esseulй par le fait d’avoir eu а dйmissionner de votre parti pour occuper le poste de vice-prйsident ?
Bien sûr, je ressens un peu de nostalgie. Les réunions régulières et les rencontres avec les membres du parti me manqueront certainement. Ma fonction est différente. Graduellement, je monte un groupe de réflexion dans le cadre de la mission que je me suis imposée, soit la lutte contre la drogue. J’ai eu l’occasion de parler à mon ami Sam Lauthan. Nous avons eu des discussions très intéressantes. J’ai aussi parlé à Cadress Rungen dont l’engagement dans ce domaine est connu. J’aurais besoin de leurs conseils. Vous йtiez йgalement prйsent а des activitйs organisйes а l’occasion du Festival international kreol… J’ai été très heureux de constater la joie retrouvée des artistes locaux qui se sont donnés à cœur joie et dont la contribution a été remarquable. Je félicite le ministre du Tourisme, Richard Duval, le ministre délégué, Sydney Pierre, et tous ceux qui ont fait de cette fête de l’unité nationale un succès. J’étais également heureux de revoir les régates à Mahébourg en compagnie de mon ami Tony Apollo et les autres. La culture en général et la culture kreol en particulier constituent le ciment de la société mauricienne, comme l’ont souligné le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et le Premier ministre adjoint, Paul Bérenger, à l’ouverture du festival dans le village du Morne. Par ailleurs, j’étais très heureux de répondre présent à une collecte de sang organisé par la banque de sang. J’invite tous les Mauriciens à donner généreusement leur sang, surtout durant cette fin d’année, afin de permettre à la banque de sang d’avoir un stock stratégique afin de sauver des vies. Le mot de la fin… Je constate que depuis les dernières élections générales, le pays a connu un nouvel élan, que ce soit sur le plan du mauricianisme, de l’unité nationale, au niveau de l’environnement, au niveau économique. Un nouvel espoir est né. Les choses ne seront pas faciles. Il nous faudra rester unis afin de relever tous les défis qui se présenteront.