Le jour de sa prestation de serment en tant que vice-président de la République, Robert Hungley déclarait son intérêt de faire de la lutte contre les drogues une de ses priorités. Et pour preuve, au lendemain de cet événement, il a établi des contacts avec des travailleurs sociaux engagés dans cette lutte, nommément Cadress Rungen, du Groupe A de Cassis/Lakaz A. Depuis, il multiplie les rencontres et prises de contact, afin d’avoir un tour d’horizon complet de la situation. Il livre ses grandes inquiétudes et ses pires craintes dans l’interview qu’il a accordée à Le-Mauricien.
Robert Hungley, militant de la première heure, lance un vibrant appel tant aux citoyens qu’aux élus et à tous les acteurs de la société à « marye pike pou sov nou pei ek protez nou popilasyon. » Il fait, parallèlement, des propositions pour trouver des pistes de solution afin « d’offrir une approche holistique à ce problème qui touche désormais toute notre île, car le trafic et la consommation de ces produits nocifs ont pénétré quasiment le pays entièrement.»
Quelle est votre lecture de la situation en ce qui concerne les drogues dans le pays, surtout avec l’explosion dans la consommation des drogues dites dures (Brown Sugar) et les nouvelles drogues synthétiques ?
Je voudrais mettre en lumière la gravité de la situation concernant la drogue dans le pays, en soulignant l’urgence nationale face à la hausse de la consommation de drogues dures, notamment le Brown Sugar, ainsi que les nouvelles drogues synthétiques. Là, j’évoque la pénétration du trafic de drogue dans toutes les régions et couches sociales, touchant désormais aussi bien les hommes que les femmes, y compris nos jeunes.
Le trafic de drogue me semble être devenu un commerce parallèle puissant, générant des profits considérables et créant une situation de domination dans certaines régions, ce qui complique l’intervention des forces de l’ordre. La comparaison peut être dressée avec des pays où c’est la loi des gangs qui règnent, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine, où ce sont les narcotrafiquants qui contrôlent certaines régions. Ce qui affecte gravement le système démocratique.
Je mets en évidence le risque d’un déclin similaire si des mesures efficaces et concrètes ne sont pas prises, rapidement et avec une approche réfléchie. J’avoue que j’ai beaucoup d’appréhensions et de crainte qu’une telle situation ne survienne dans notre pays, mettant en péril notre démocratie… Cela montre certainement l’ampleur des défis auxquels le pays est confronté et la nécessité de renforcer la lutte contre ce fléau !
Mais le gouvernement seul ne pourra tout faire. Il faut, invariablement, une levée de boucliers nationale. Ki nou tou marye pike ansam pou protez nou pei ek nou popilasyon. En somme, j’appelle à une prise de conscience collective et à des actions urgentes pour contrer cette menace avant qu’elle ne prenne une ampleur incontrôlable, soulignant la nécessité de renforcer la coopération entre les autorités et la société civile pour combattre ce fléau.
Lors de votre prestation de serment et en évoquant vos nouvelles responsabilités, vous avez clairement exprimé vos inquiétudes quant à la situation chaotique touchant les toxicomanes autant que les parents des victimes de drogues. Quels initiatives et projets avez-vous mis en place à ce jour ?
Dès le premier jour de ma prise de fonction, j’ai pris l’initiative d’établir un contact avec les ONG actives dans ce domaine, notamment avec des figures expérimentées comme Cadress Rungen, pour favoriser un partage d’idées et d’informations.
Nous avons également rencontré une mère dont le fils est tragiquement tombé dans l’enfer de la drogue et en est décédé. Aujourd’hui, cette femme est devenue animatrice au sein du mouvement initié par Cadress Rungen et le Groupe A de Cassis/Lakaz A, partageant son expérience pour sensibiliser et aider d’autres familles.
Vous avez fait état de vos inquiétudes concernant les souffrances des parents de toxicomanes. Parlez-nous de vos sentiments, attentes et commentaires !
Le témoignage bouleversant de cette femme met en lumière la profonde détresse des parents et des proches des personnes touchées par l’addiction. Il est essentiel de souligner qu’il n’existe pas de drogués heureux: la plupart des personnes dépendantes regrettent amèrement d’avoir succombé à cette tentation destructrice.
En m’appuyant sur ce témoignage, je suis convaincu que tout espoir n’est pas perdu. Bien que la bataille contre la toxicomanie soit difficile, voire âpre, elle est loin d’être insurmontable. Pour y parvenir, nous devons avant tout considérer ces victimes comme des malades. Cela signifie leur offrir des soins médicaux de pointe, un encadrement psychologique adapté, ainsi qu’un suivi rigoureux sur une période déterminée.
La réinsertion sociale est également un élément clé dans ce processus, car elle leur redonne espoir et leur permet de se reconstruire pour envisager une vie meilleure. C’est une mission exigeante, mais je demeure résolument convaincu qu’elle est réalisable avec un engagement collectif et une approche empreinte de compassion et de respect.
Quel est le rôle des ONG dans ce combat en général s’agissant des toxicomanes et les parents de ceux-ci, comme partenaire de l’État ?
Le rôle des ONG est absolument capital dans ce combat. Leur expérience du terrain est précieuse et leur engagement constitue un atout indispensable. Dès le début de nos échanges, j’ai souligné que nous sommes face à une urgence nationale, ce qui rend une approche holistique non seulement nécessaire, mais incontournable.
Il ne s’agit pas uniquement de se concentrer sur les parents des personnes touchées par l’addiction, mais d’inclure l’ensemble de la société dans cette lutte. Cela implique de mobiliser nos compatriotes, les associations religieuses, les organisations socioculturelles, les travailleurs sociaux, les institutions d’enseignement ainsi que les collectivités locales.
Chaque acteur a un rôle à jouer en tant que partenaire de l’État pour bâtir un réseau de soutien solide et coordonné. Ensemble, nous pouvons créer un environnement propice à la prévention, au traitement et à la réinsertion des personnes concernées, tout en apportant du réconfort et des solutions aux familles affectées.
Pensez-vous que ces associations et ONG bénéficient de moyens adéquats pour mener à bien leurs efforts ?
Il est clair que les ONG ne disposent pas de tous les moyens nécessaires pour combattre efficacement ce fléau. Nous devons mobiliser des ressources importantes pour relever ce défi. Je constate toutefois que le gouvernement actuel est très préoccupé par l’ampleur de ce problème qui, à mon avis, a des retombées économiques graves.
En effet, nous perdons un grand nombre de jeunes qui pourraient être employables, ce qui compromet la pérennité de nos activités économiques. Cela nous oblige, dans une certaine mesure, à recourir à de la main-d’œuvre importée.
La relance et le remaniement de la NATRESA, avec des personnes expérimentées à sa tête, représentent un pas important pour renforcer et dynamiser nos efforts. Cela permettra de mieux coordonner les actions et de maximiser l’impact des initiatives entreprises, tant par les ONG que par les institutions publiques et privées.
L’an dernier, nous avons découvert l’existence de nombreux centres dits « marrons » de traitement, et deux toxicomanes ont perdu la vie dans des circonstances tragiques. Qu’est-ce qui doit être fait sur ce plan ?
Le désespoir des parents confrontés à l’addiction de leurs proches les pousse souvent à chercher des solutions, mais sans recours véritable pour affronter ces drames. C’est ainsi que ces centres dits « marrons » ont vu le jour, dans l’espoir de venir en aide à ceux qui souffrent de cette dépendance.
Cependant, cette situation n’est en aucun cas une bonne chose. Nous ne soignons pas les gens pour améliorer leurs conditions de vie, pas dans le but de les exposer à de nouveaux risques, voire les tuer !
Il est impératif de légiférer à ce sujet et de mettre en place un contrôle strict des opérations. Mon souhait est qu’il existe des centres de traitement légaux et sécurisés à travers l’île, offrant un encadrement adapté et nécessaire.
Je suis convaincu qu’il y a des Mauriciens, tant ici qu’à l’étranger, qui possèdent l’expérience et les compétences dans ce domaine et qui sont prêts à contribuer à la création de solutions pérennes et sûres.
Un technicien de la Santé avait évoqué l’existence de 55 000 usagers de drogues dans le pays. Les travailleurs sociaux estiment que ce chiffre est loin de refléter la réalité. Qu’en pensez-vous ?
Je pense que le nombre réel est, effectivement, bien plus élevé. Il suffit de parcourir les différentes régions de notre île pour se rendre compte de l’ampleur du problème, qui est bien plus alarmant que les chiffres avancés.
Sur quelle base ces chiffres ont-ils été établis ? Pour mieux comprendre la situation, il est essentiel, de mon point de vue, de mener une étude approfondie, avec les outils et les ressources nécessaires, afin d’obtenir une estimation plus réaliste du nombre de personnes concernées. Parallèlement, il serait recommandé d’analyser les causes profondes de ce phénomène pour mieux cerner le problème.
Nous faisons face à un véritable dilemme qu’il nous faut résoudre. Faire des estimations approximatives ne fera qu’aggraver la situation. Il est impératif d’agir avec des moyens à la hauteur de l’enjeu pour avoir un impact réel et durable.
À votre sens, existe-t-il suffisamment de centres de réhabilitation, de traitement, et d’autres structures pouvant venir en aide aux toxicomanes et leurs parents, mais aussi à nos jeunes, femmes et enfants dans le pays ? Sinon, que faut-il faire ?
J’ai déjà souligné un point crucial concernant l’insuffisance des centres de réhabilitation et de traitement pour les toxicomanes, ainsi que le besoin de décentralisation pour rendre ces services plus accessibles. Je vois également l’importance de renforcer les centres existants, comme La-Chrysalide à Bambous, pour mieux soutenir les femmes affectées par la toxicomanie, mais aussi l’alcool, le commerce sexuel, entre autres fléaux sociaux.
Et dans cette perspective, mieux protéger leurs enfants déjà fragilisés par la vie. La reconstruction de ces personnes est d’importance capitale ! Je proposerai également une approche multidirectionnelle, ce qui me semble primordial pour aborder cette problématique de manière complète et durable.
Il serait donc nécessaire d’étendre l’offre de soins de réhabilitation, tout en mettant l’accent sur une approche intégrée, qui englobe non seulement le traitement mais aussi le soutien psychologique, social et économique pour les patients et leurs familles. Cet effort devrait être soutenu dans la durée, ce qui est fondamental pour obtenir des résultats durables.
Il pourrait être pertinent, de même, de renforcer les partenariats avec des ONG et des initiatives communautaires pour étendre la couverture des services dans les zones rurales et périurbaines, tout en offrant des services adaptés aux besoins spécifiques des jeunes, des femmes et des enfants.
Pensez-vous que la prévention, que ce soit à l’école, dans la communauté ou auprès des familles, est bien menée ? Que suggérez-vous pour améliorer cet aspect du combat ?
La prévention est un pilier fondamental dans la lutte contre les fléaux sociaux. Il est impératif de développer des initiatives coordonnées et soutenues impliquant toutes les parties prenantes, notamment les écoles/collèges/universités, les familles, les communautés et les organisations mentionnées précédemment.
Tout d’abord, il est essentiel de sensibiliser la population aux dangers auxquels elle est confrontée. Cela pourrait se faire à travers des programmes éducatifs en milieu scolaire, axés sur les valeurs humaines, les compétences émotionnelles et les comportements à risque ; des ateliers communautaires qui encouragent un dialogue ouvert sur les défis sociaux tels que les dépendances ou la violence ; des campagnes nationales de sensibilisation, utilisant des outils modernes comme les réseaux sociaux, pour atteindre un public plus large.
En outre, il serait judicieux d’intégrer dans le programme scolaire des cours dédiés au développement personnel, à la citoyenneté et aux responsabilités sociales. L’objectif est de former nos jeunes non seulement à être conscients des dangers de notre société, mais aussi qu’ils soient déterminés à devenir les bâtisseurs d’une société résiliente et solidaire.
Enfin, un partenariat actif entre les acteurs publics et privés permettrait d’assurer une prévention durable et des ressources adéquates pour répondre aux besoins de la population.
Que pensez-vous du rôle des Spiritual Leaders ?
Les leaders religieux jouent un rôle central dans ce combat national, car ils disposent non seulement d’une large audience, mais aussi de la confiance et du respect de leurs fidèles. Leur influence peut être déterminante pour mobiliser les esprits et les cœurs en faveur de ce combat, qui peut être perçu comme une véritable mission divine.
Il est essentiel qu’ils intègrent activement cette lutte en organisant des séances de sensibilisation dans les lieux de culte pour éduquer les fidèles sur les défis sociaux que sont, entre autres, la toxicomanie, la violence et l’érosion des valeurs morales. I
l serait aussi judicieux d’encourager le dialogue interreligieux, en collaborant avec des leaders d’autres confessions pour unir nos forces et promouvoir des valeurs universelles comme l’entraide, la solidarité et le respect.
Mobiliser des volontaires au sein de chaque communauté pour participer à des initiatives concrètes, telles que le mentorat des jeunes, l’organisation d’activités pour prévenir l’oisiveté ou encore des campagnes de sensibilisation locales est une autre piste à suivre. Tout comme instiller les valeurs humaines et spirituelles, en utilisant leurs plateformes respectives pour transmettre des messages d’espoir, de résilience et d’engagement social.
En se positionnant comme des guides spirituels engagés dans les problématiques sociétales, nos leaders religieux peuvent transformer leur influence en une force positive, capable d’unir les individus et de fait, renforcer le tissu social.
Sur le volet de la répression, saisies et arrestations se multiplient. En revanche, pas grand-chose en ce qui concerne de mettre le grappin sur les caïds et les barons, qui font la pluie et le beau temps. Quelle est votre lecture ?
Beaucoup de questions restent en suspens à ce sujet, ce qui alimente les suspicions au sein de la population certainement. Une priorité essentielle est d’identifier et d’écarter les éléments corrompus au sein des forces de l’ordre.
Les ramifications de ce commerce illicite ont probablement corrompu certains esprits. Il semble que la police soit en pleine réorganisation sous la direction du nouveau commissaire, ce qui est une étape positive. Cependant, il est tout aussi crucial de fournir aux forces de l’ordre les moyens nécessaires pour agir efficacement.
Par ailleurs, il est impératif de renforcer les lois pour qu’elles deviennent véritablement dissuasives, notamment en ciblant les caïds et en luttant contre l’utilisation de prête-noms. Les attaques doivent viser directement leurs intérêts, là où cela fait le plus mal. Ces individus doivent sentir la pression de la répression de manière constante.
Parlons des drogues dans les prisons, où 60% des détenus sont directement ou indirectement liés à des cas de drogue (possession, consommation…). La majorité sont des jeunes. Quelles mesures doivent être prises ?
La prison devrait être un lieu de sevrage et de réhabilitation, mais la réalité est souvent bien différente. La surpopulation carcérale engendre une promiscuité qui complique considérablement ces objectifs. Avec un chiffre aussi alarmant, il devient évident qu’une révision en profondeur de l’organisation du milieu carcéral est primordiale.
Une question cruciale qui se pose : doit-on placer ces jeunes, souvent vulnérables et influençables, aux côtés de détenus endurcis ? Cela revient à envoyer des jeunes en quête de réhabilitation dans un environnement qui pourrait aggraver leur situation au lieu de l’améliorer !
Je suis d’avis qu’il faut repenser notre approche : d’un côté, nous parlons de réhabilitation, et de l’autre, nous exposons ces jeunes à des conditions qui sabotent cet effort. Ce système dysfonctionne, et il est urgent d’adopter des mesures adaptées. Par exemple, créer des centres spécifiques pour les jeunes détenus liés à la drogue, avec des programmes axés sur le sevrage, l’éducation et la réinsertion sociale… Cela pourrait être une solution efficace.
Ce troisième 60-0 de l’histoire de notre pays est un terrain propice pour un changement en profondeur. Les attentes populaires sont multiples. Votre message d’espérance pour les Mauriciens…
Nous vivons un moment historique. Le pays a pris un nouveau départ avec ce 60-0. Après une décennie d’errance, la population a exprimé sa volonté de changement radical, confiant une lourde responsabilité au gouvernement actuel.
Un immense chantier nous attend pour reconstruire le pays, et la motivation est là pour bien faire et réussir. Il est essentiel de jeter de nouvelles bases solides pour préparer Maurice à embrasser son nouveau destin.
Je reste confiant dans notre capacité à faire de Maurice une référence en matière de développement, où chaque individu se sent pleinement intégré et où la bonne gouvernance guide toutes nos actions.
Propos recueillis par
« La comparaison peut être faite avec des pays où c’est la loi des gangs qui règnent, comme dans de nombreux pays d’Amérique latine, où ce sont les narcotrafiquants qui contrôlent certaines régions »
« Il est impératif d’agir avec des moyens à la hauteur de l’enjeu pour avoir un impact réel et durable »
« Un immense chantier nous attend pour reconstruire le pays, et la motivation est là pour bien faire et réussir »