Le Mauricien propose à ses lecteurs ce texte présenté en conférence, vendredi 29 juin, par l’intellectuel et l’artiste Firoz Ghanty au Goldsmiths, University of London, à l’invitation de la chercheuse en études culturelles (Cultural Studies) Gitanjali Pyndiah.
Le Monde de l’Homme et de ses sociétés, tel que nous le connaissons de l’Etat Sauvage, de l’Etat de Nature à la Barbarie en marche vers la Civilisation et à l’époque actuelle, est Caduc! Caduc parce que systématiquement construit au fil des siècles par des philosophies « …consolantes… », « … apologétiques et ascendantes… » (Georges Gurvitch), et sur des mensonges érigés en vérités absolues, définitives et universelles. Toutes les philosophies, toutes les religions, toutes les idéologies, tous les dogmes nous ont inculqué depuis la Nuit des Temps qu’au fond de lui-même l’Homme est un Être d’Amour, de Compassion, qu’il est bon et capable de se surpasser pour atteindre un état de perfection.
Pour pouvoir avancer vers le Réel et prétendre édifier des sociétés plus justes et apaisées en sauvant l’Homme de sa condition et de lui-même, il n’y a qu’une Seule Issue, une Voie Unique, faire table rase de ce monde. Cette Voie Unique commence obligatoirement par la Dissidence et la Subversion éthiques, intellectuelles et politiques ! Tout renier ! Chercher jusque dans les moindres recoins de ses gènes les traces de ce qui fait de l’Homme et de ce Monde ce qu’ils sont, pour les détruire, les éradiquer jusqu’à la moindre poussière, la plus microscopique parcelle ! C’est seulement à ce prix qu’on pourra prétendre être Homme de Progrès et peut-être devenir Humain… dans un jour lointain ! Nous sommes de toutes les façons à la fin d’un cycle. Tous les systèmes politiques, toutes les formes de société ont montré leurs limites. Il, l’Homme Moderne, assiste et participe à l’effondrement global, feint de ne pas comprendre et s’accroche désespérément au Connu. La question est de savoir si l’Homme veut, s’il peut, s’il doit être sauvé de lui-même, de sa condition d’homme.
Cette réflexion, ce travail en cours, d’un spectateur engagé, expression empruntée aux anthropologues, a pour objet la formulation d’une autre analyse critique, historique et systémique par la démonstration d’un autre modèle théorique de pensée, libéré des entraves, en remettant en cause les fondements même de ce monde pour arriver à une proposition philosophique qui établit une autre appréhension de l’Homme et peut-être à terme, établir une proposition de projet politique et social neuve davantage en adéquation avec l’Homme dans sa réalité objective. La Dialectique est la méthodologie utilisée en tant qu’outil d’analyse conceptuelle.
Ce n’est pas pour apporter encore un autre dogme, bien au contraire, c’est se positionner dans un anti-dogmatisme virulent qui ne peut être une prise de position, un a priori, c’est « … la démolition de tous les concepts acquis et cristallisés, en vue d’empêcher leur momification qui vient de leur incapacité à saisir les totalités réelles en marche, ainsi qu’à tenir compte simultanément des ensembles et de leurs parties. » Georges Gurvitch, in – Dialectique et Sociologie.
Très souvent on bourre ce type de travail de références et de citations pour preuve d’érudition et on l’étouffe sous un appareil critique pour justifier la recherche. Le choix est d’aller justement dans le sens contraire pour s’émanciper des modèles de recherche figés, en prenant pour référence l’observation clinique des faits durant des décennies, la recherche documentaire, l’expérience personnelle et le vécu comme source.
Changer de Paradigme !
Proposer une hétérodoxie féconde !
C’EST UN APPEL AU REVEIL !
Il faut faire un très long détour pour parvenir à comprendre les mécanismes de la Défaite de la Pensée, de la Démission des Intellectuels, de l’Echec, de la Faillite de la Démocratie et de la République. Le Monde est dans une impasse !
L’homme fondamentalement prédateur
De l’ADN premier de l’Espèce et à travers toutes ses mutations, du Grand Singe à l’Homme Moderne, en passant par Cro-Magnon et ses descendants jusqu’à l’Homo Sapiens Sapiens, certaines de ses caractéristiques génétiques, demeurent des constantes. Les trois principales caractéristiques qui déterminent toutes les évolutions de l’Espèce, sont : 1 – l’Instinct de Survie et la Nécessité, 2 – la Violence et le Pouvoir et 3 – la Croyance et l’Idéologie.
L’Instinct de Survie dicte les Actes de la Vie et participe, en tant que principe actif, aux évolutions biologiques dictées par la nécessité. L’Espèce doit constamment s’adapter. Toutes les espèces se battent pour survivre et doivent s’adapter. Ce qui différencie l’Homme des autres espèces, c’est sa quête permanente de contrôle, de pouvoir sur tout ce qui l’entoure, sa volonté absolue et sans limites de soumettre toutes les espèces, toute la nature, toute vie à sa survie individuelle et collective. Pour asseoir son autorité et contraindre tout ce qui nuit à cette nécessité, l’Homme recourt à la coercition. La Nécessité s’accouple à la Violence, pour établir sa domination sur le monde. L’Homme est un Être de Pouvoir et de Violence ! Il est un Prédateur !
L’Individu seul ne peut pas survivre face aux autres espèces, à son environnement hostile et au climat. Il est condamné comme les autres à s’éteindre et disparaître. La nature sélectionne les plus forts, les plus aptes à survivre. Pour survivre l’individu doit, par nécessité, former un groupe homogène dont il sera un des constituants. Néanmoins, il est sans cesse confronté à deux situations contradictoires, sa survie en tant qu’individu et la survie du groupe. Il optera pour l’un ou l’autre toujours en prenant en compte son intérêt propre en tant qu’individu au sein d’un groupe. « La véritable fonction d’utilité de la vie, ce vers quoi tout tend… c’est la survie de l’ADN. », Richard Dawkins – in Le Gène Egoïste » …-ibid. « Dans certaines situations, pas particulièrement rares, les gènes assurent leur survie égoïste en poussant les organismes à avoir un comportement altruiste… ». L’organisation sociale de ce groupe primaire s’établit sur trois termes, à savoir, pour faire court :
1. le troupeau, la meute, le clan, la tribu et par voie de conséquence suivront dans le temps, l’ethnie, la race, la famille, la communauté, la caste, la classe, la masse, les populations, le peuple, la nation, qui se scindent en sous-groupes, en sous-classes et en strates;
2. il faut, pour l’intégrité et la cohésion de ce groupe social primaire un meneur pour le diriger, parce que l’Homme se soumet toujours à quelqu’un ou à quelque chose à qui il délègue toute l’autorité, à qui il donne la responsabilité de décider pour lui. L’Homme aliène sa liberté à cet Autre, parce que ce dernier est censé détenir le Savoir et il doit croire en lui par nécessité, parce qu’il a peur de l’Inconnu. Ce rôle, cette fonction vitale, revient à celui qui s’imposera par la force physique ou par celle de la personnalité. Il est le (mâle) dominant, le chef, le prophète, le roi, le leader, le dirigeant dans lequel s’incarnent la puissance abstraite, l’esprit tutélaire, le(s) dieu(x), etc., et son autorité qu’il diffuse dans la hiérarchie, la dynastie, l’héritage et l’Homme Commun s’infériorise en se diluant dans des strates de plus en plus inférieures. En parallèle d’autres groupes rivaux se forment ;
et 3. pour sa survie, le groupe primaire doit se nourrir, pour cela il doit par nécessité trouver un espace protégé des autres prédateurs/groupes pour chasser et cueillir ce qu’il ne produit pas encore. Il doit trouver et délimiter un territoire qu’il peut défendre, lequel se muera dans le temps en habitat, en propriété privée, en pays, en état, en empire, en colonie, en zone d’influence, (Friedrich Engels – L’origine de l’état, de la famille et de la propriété privée) … en espace vital, Lebensraum (Adolf Hitler). Dans cette course pour la survie, les différents groupes n’avancent pas à la même vitesse. Ceux qui s’adaptent en s’organisant pour le mieux supplantent les autres groupes, les soumettent pour leur prendre ce qui est utile pour continuer de se dupliquer.
Ces trois termes posent les premières structures de base des sociétés dont l’objet essentiel est de rassembler ceux qui ont en commun les mêmes intérêts, le même mode de vie, qui ont pour fonction d’assurer leur sécurité et leur défense ensemble parce qu’ils ont l’impératif primordial de se répliquer. Il en découle aussi les premiers moyens de maîtrise de la Violence. La gestion de la violence à l’intérieur du groupe est l’embryon de ce que seront plus tard la justice et ses corollaires la punition, l’exclusion, le bannissement, la privation de la liberté (la prison), la mort même. L’autre forme de Violence est celle tournée vers l’extérieur qui s’exerce contre ce qui menace le groupe. L’Homme invente des règles pour gérer et ordonner la communauté. Sur ces prémisses civilisationnelles se sont greffées très tôt la croyance, la religion, la foi et l’idéologie. Comme toutes les espèces l’Homme par nécessité, contraint par ce qui l’entoure, par instinct de conservation, construit graduellement des structures et une organisation sociale qui ne cesseront jamais d’évoluer au fur et à mesure qu’il s’adapte, acquiert des savoirs, fabrique des outils pour apprivoiser, domestiquer la nature. Par nécessité face aux « … fatalités biologiques et cosmologiques… », (Arthur Comte – in Catéchisme positiviste ou Sommaire Exposition de la religion universelle) il doit muter continuellement sinon périr. D’autres groupes se forment pour les mêmes raisons et sur les mêmes bases et ils s’affrontent pour survivre.