Renvoi des municipales : Me Bhuckory : « les élections locales bien protégées par la Constitution »

La Cour suprême, composée de la cheffe-juge, Rehana Mungly Gulbul, et du juge Chan Kan Cheong, a entendu les plaidoiries dans la contestation logée par Rajen Valayden contre le renvoi des élections municipales par le gouvernement.
Dans sa plainte, Rajen Valayden, un habitant de Rose-Hill, maintient que les amendements à la Local Government Act en mai dernier, sous lesquels le Premier ministre avait renvoyé les municipales jusqu’en 2025, sont anticonstitutionnels et en infraction à la section 1 de la Constitution.
Rajen Valayden, appelé à la barre des témoins, a été interrogé par son avocat, Me Sanjay Bhuckory, Senior Counsel, et contre-interrogé par Me Geereesha Topsy, représentant le Premier ministre et de l’État. Il s’est étendu sur les raisons qui l’ont amené à déposer cette plainte constitutionnelle contestant les revois des municipales. S’il n’est pas contre un renvoi basé sur des raisons valables, comme cela a été le cas en 2021, il objecte à une extension de la durée des mandats des conseils municipaux pour deux ans, décision qu’il qualifie de déraisonnable.
Dans sa plaidoirie, Me Bhuckory s’appesantit sur le fait que la tenue d’élections à intervalles réguliers constitue un élément clé du processus démocratique, sous la section 1 de la Constitution, qui se lit comme suit : « Mauritius shall be a democratic sovereign State. »
Il s’est basé sur un jugement du Privy Council rendu en octobre pour le Trinité-et-Tobago, dans une affaire connue comme Attorney-General v. Maharaj (2). Les Law Lords avaient considéré que les élections locales étaient une « primary structural feature of a democratic state ». À la lumière de la teneur de ce jugement, les élections locales sont dorénavant bel et bien couvertes par la section 1 de la Constitution.
Tout en concédant qu’un renvoi d’une élection peut intervenir pour cause majeure comme cela a été le cas en 2021, avec la pandémie du Covid-19, il n’est d’accord qu’un scrutin démocratique peut être renvoyé sans aucune base raisonnable. Or, dans l’amendement à la Local Government Act, nulle mention n’est faite des raisons qui avaient poussé le gouvernement à priver les citoyens des cinq villes de leur droit civique.
Me Bhuckory affirme que les élections municipales et régionales ont un autre point d’ancrage dans la Constitution. Ainsi, un amendement de la section 16 de la Constitution, qui interdit toute forme de discrimination, avait été apporté en 2021 au sujet de l’investiture obligatoire d’un minimum de candidats de sexe féminin à ces élections locales. De ce fait, la Constitution, en établissant des critères pour l’éligibilité des candidats, reconnaît implicitement que les élections locales doivent être tenues à intervalles réguliers.
Il a aussi fait référence à l’intervention du Premier ministre, Pravind Jugnauth, à l’Assemblée nationale lors des débats sur l’amendement à la Local Government Authority Act en mai 2023. Le PM avait reconnu que les autorités locales étaient « the grassroots of democracy ». Me Bhuckory attire l’attention de la Cour que le PM reconnaît implicitement que les élections locales font partie du cadre démocratique de Maurice.
Le conseil légal de Rajen Valayden a ainsi demandé à la Cour de considérer les élections locales comme faisant partie du cadre démocratique. Il a aussi fait état d’une récente décision de la Cour suprême sur les droits des homosexuels. Il plaide que le même raisonnement par rapport à la clause 25 de l’International Covenant on Political and Civil Rights (ICCPR) au sujet du droit de vote et de la participation à une élection d’un citoyen d’un état membre des Nations-Unies, et cela sans restrictions déraisonnables quant à ces droits.
De son côté, Me Topsy, de l’ Attorney-General’s Office, représentant le Premier ministre et l’État mauricien, donnant la réplique à Me Bhuckory, a fait ressortir que les opinions exprimées à l’Assemblée ne sont pas admissibles en Cour au nom du principe sacro-saint de la séparation des pouvoirs.
En ce qui concerne l’amendement de la section 16 de la Constitution en 2021, imposant un minimum de candidats de sexe féminin aux élections locales, elle a soutenu que le but de cet amendement était de contrer la discrimination sur la base du genre, mais cela ne signifie pas pour autant que les élections locales ont trouvé un point d’ancrage dans la Constitution.
Elle ajoutera que les élections locales font partie du cadre démocratique, et sont contenues dans les Acts of Parliament, mais cela ne veut pas dire qu’elles sont nécessairement protégées par la section 1 de la Constitution. Le cadre démocratique du pays peut se trouver dans ces Acts, et pas nécessairement dans la Constitution.
Elle a fait une distinction entre cadre démocratique et état démocratique. La section 1 de la Constitution fait référence à un état démocratique, et non pas à un cadre démocratique, un concept plus large qui englobe tout le pays. Au chapitre des conventions internationales, elle a réitéré qu’elles doivent être incorporées dans les lois pour avoir un effet quelconque.
Elle a fait ressortir que dans l’affaire Attorney-General v. Maharaj (1), les Law Lords du Privy Council avaient retenu que le renvoi d’une élection locale par un an n’était pas une violation de la section 1 de la Constitution du Trinité-et-Tobago, qui est calquée sur celle de Maurice.
Me Mooneswur Seetaram, représentant l’Attorney-General, a pour sa part expliqué que l’affaire Maharaj (1), où les Law Lords avaient affirmé que c’était au peuple de choisir leurs représentants, se referait au gouvernement central, et non aux autorités locales. Ces dernières, quoi qu’elles soient élues localement, sont en fait le bras exécutif du ministère des Administrations régionales, et n’ont pas de pouvoirs étendus, comme par exemple imposer un couvre-feu sanitaire. De ce fait, tout renvoi d’élections locales ne constitue aucune violation de la section 1 de la Constitution, avance-t-il.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -