Séverine Martial
Dans le contexte actuel de la culture à Maurice, il me semble essentiel de repenser la manière dont nous percevons et valorisons notre identité culturelle. Trop souvent, à Maurice, la culture est perçue à travers le prisme de l’appartenance religieuse, ce qui limite sa portée et sa richesse. L’identité culturelle mauricienne, loin de se résumer à une seule religion ou une seule communauté, est le fruit d’un métissage unique, qui trouve ses racines dans des influences venues des trois continents : l’Europe, l’Afrique et l’Asie. Cette diversité, qui constitue la véritable essence de notre culture et de notre patrimoine, mérite d’être mise en valeur dans toute sa complexité.
À Maurice, la culture ne doit plus être perçue comme une construction liée à une appartenance religieuse ou ethnique. Notre identité se déploie dans sa diversité, et c’est précisément cette pluralité qui fait notre force. Nos artistes, aujourd’hui, sont nés pour la plupart dans une île Maurice glorieuse des années 80, en plein essor industriel, économique et financier.
C’est une génération décomplexée, ouverte envers ses concitoyens et le monde, désormais à portée de main et de clic. Cette nouvelle génération a grandi au son de Kaya et des Bhojpuri boys, de Madonna et Goldman. Ils ont été inspirés autant par Chazal que Matisse, par David Lodge, Arundhati Roy que Carl de Souza.
Cette génération pense et vit l’art différemment de celle qui l’a précédée. Qu’ils soient écrivains, musiciens, peintres, ou même cinéastes, ces artistes s’expriment avant tout en tant que Mauriciens.
Ils ne se définissent pas comme ambassadeurs d’une communauté bien distincte, mais comme des créateurs porteurs de messages personnels ou universels, à travers leur talent et leurs œuvres. Leur art ne connaît pas de frontières communautaires ; il touche l’humain dans toute sa diversité et sa complexité. Dès lors, pourquoi continuer à cloisonner ces talents au nom d’appartenances religieuses ou ethniques ? Cette culture mauricienne devrait alors être reconnue dans toute sa pluralité, en tant qu’expression collective du peuple mauricien. Nous devons apprendre à célébrer nos différences tout en unissant nos voix autour de ce qui nous lie : notre terre, notre histoire, nos rêves communs.
Pour cela, il faudrait un lieu dédié à la culture, au patrimoine et à l’identité mauricienne. Un lieu où l’histoire de Maurice serait racontée sous toutes ses facettes, un lieu multiculturel, inclusif et accessible à tous. Ce lieu, que j’imagine comme un musée interactif, serait bien plus qu’un simple lieu d’exposition. Il deviendrait un centre vivant de notre identité, un véritable carrefour de créativité et de réflexion, où chaque visiteur pourrait plonger dans la richesse de notre histoire, de notre culture et de notre patrimoine. Ce lieu deviendrait un lieu de rencontre et de partage, une porte ouverte sur notre diversité culturelle permettant à chacun de mieux comprendre les racines qui façonnent notre identité commune.
Ce centre abriterait une bibliothèque consacrée à la littérature mauricienne, une salle d’exposition pour nos artistes, des espaces de spectacles pour nos musiciens et comédiens, ainsi qu’un auditorium pour les conférences et séminaires. L’objectif de cet espace serait de renforcer le sentiment d’unité nationale, d’offrir une plateforme d’expression pour nos artistes contemporains et de rendre hommage à cette diversité qui constitue à la fois notre héritage et notre avenir. En rendant hommage à nos figures emblématiques – que ce soit dans les arts, la politique ou la société civile – nous transmettrions aux générations futures une vision claire de ce que signifie être Mauricien, au-delà des frontières religieuses et ethniques. Ce lieu serait un hommage à notre capacité à vivre ensemble dans la différence, à partager et à célébrer notre histoire.
Enfin, l’éducation à la culture serait essentielle. Il ne s’agirait pas seulement de proposer des événements culturels, mais aussi d’accompagner les jeunes dans la découverte et l’appropriation de leur patrimoine. Des ateliers, des résidences d’artistes, des concours de création… tout un écosystème serait mis en place pour encourager la créativité, la réflexion et l’épanouissement personnel à travers l’art et la culture. De plus, en intégrant des modules culturels dans les programmes scolaires, en formant les jeunes à l’histoire de leur pays et à l’art local, nous leur donnerions les clés pour comprendre et apprécier ce qui fait notre identité. L’école doit être un lieu où la culture se vit et se transmet, à travers des ateliers créatifs, des rencontres avec des artistes, des visites de musées ou des festivals.
Un autre aspect que l’on ne peut ignorer est l’impact des nouvelles technologies sur notre manière de consommer et de diffuser la culture. Les plateformes numériques offrent aujourd’hui une visibilité sans précédent aux artistes mauriciens. Des musiciens, des écrivains, des peintres peuvent désormais partager leurs œuvres avec le monde entier en un simple clic sans dépendre des circuits traditionnels de diffusion. Cela ouvre de nouvelles perspectives pour l’art local, mais aussi de nouvelles opportunités pour les créateurs de la diaspora. La culture mauricienne se mondialise, et ce phénomène, loin d’être une menace, peut être une chance si nous l’accompagnons. À l’instar des artistes d’autres régions du monde, les créateurs mauriciens doivent pouvoir s’inscrire dans cette dynamique numérique, tout en préservant leur identité et leurs racines.
Cependant, pour que Maurice profite pleinement de cette mutation, il est impératif d’accompagner nos créateurs dans cette transition numérique. Cela passe par la formation aux outils digitaux, la mise en place de plateformes locales dédiées à la culture et la création de partenariats avec des acteurs internationaux. Nous devons encourager la production de contenus culturels mauriciens en ligne, qu’il s’agisse de podcasts, de web-séries, de galeries d’art virtuelles ou d’archives numériques du patrimoine littéraire. L’État, les institutions et les entreprises privées doivent jouer un rôle actif dans cette démarche, en soutenant financièrement et techniquement les projets innovants qui permettront à la culture mauricienne de prospérer à l’ère numérique.
Il est aussi primordial que la culture soit accessible à tous. Chaque Mauricien, peu importe son origine ou sa situation sociale, doit pouvoir accéder à la richesse de notre patrimoine. Et si l’ère numérique permet de dépasser notre barrière de corail, les initiatives locales devraient également permettre de dépasser nos propres frontières géographiques. Aussi, l’accessibilité à la culture devrait passer par la décentralisation des initiatives culturelles. Trop souvent, les grands événements artistiques se concentrent dans les centres urbains, laissant de côté les régions plus reculées. Il est crucial de repenser la diffusion culturelle pour toucher un public plus large : organiser des expositions itinérantes, proposer des spectacles en plein air dans les villages, installer des bibliothèques mobiles ou encore mettre en place des résidences d’artistes en milieu rural. L’objectif est clair : faire de la culture un vecteur d’inclusion sociale et un outil de cohésion nationale.
Maurice est un pays où la diversité ne doit pas être perçue comme une source de division, mais comme une richesse inestimable. Notre culture n’est pas un produit religieux ou ethnique, mais un bien commun à préserver. Nous avons la chance d’appartenir à une nation qui a su se forger à partir des influences multiples qui l’ont traversée. C’est cette identité, et seulement cette identité, qu’il convient de célébrer. Et pour cela, un véritable engagement en faveur de la culture, un espace dédié à l’histoire et à l’art, est indispensable.
Enfin pour la préserver et la faire rayonner, il est impératif de s’adapter aux évolutions de notre époque et d’en faire un véritable levier d’éducation et de développement. Il ne s’agit pas seulement de conserver le passé, mais aussi d’inventer l’avenir, en s’appuyant sur les nouvelles technologies et en garantissant à chaque Mauricien, quel que soit son parcours, l’accès à l’art et à l’histoire de son pays.