Rebecca D’ Souza (auteure) : « Favoriser la créativité des enfants par la poésie »

Âgée de 27 ans, Rebecca D’Souza est née au Koweït d’une mère mauricienne et d’un père indien. En 2023, son projet littéraire se concrétise quand elle reçoit une subvention du President’s Fund for Creative Writing et du ministère des Arts et du Patrimoine culturel. La parution de son livre, 89 Questions to the moon, est un succès.

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Actuellement, Rebecca propose des cours de poésie aux enfants de 5 à 9 ans et de 10 à 15 ans, au Caudan Arts Centre. Sa forte envie de favoriser la créativité des enfants par la poésie est enracinée dans la conviction que la poésie offre une voie accessible pour l’expression de soi, l’imagination et l’exploration émotionnelle. En s’engageant dans le processus poétique, les enfants améliorent non seulement leurs compétences linguistiques, mais cultivent également un lien avec leur propre créativité.

Vous avez une licence en histoire de l’art de l’université Maharaja Sayajirao de Baroda, Gujarat, Inde. Pourquoi n’avez-vous pas choisi d’être historienne ou archéologue ? Cela vous aurait ouvert des portes vers des perspectives d’avenir plus motivantes, non ?
L’étude de l’histoire de l’art aurait certainement pu me conduire à devenir historienne de l’art, conservateur d’art. Et j’aurais planifié et organisé des expositions dans des musées, des galeries ou d’autres institutions. Malheureusement, comme c’est la norme dans le domaine de l’art, les étudiants qui peuvent être passionnés par ce qu’ils font manquent de conseils appropriés lorsqu’il s’agit de définir un plan de carrière.

Pour être honnête, je ne savais pas ce que je voulais pour moi à ce moment-là, mais depuis, j’ai trouvé ma place dans le monde et je continue à creuser mon sillon. Je crois que nous avons tous un plan préétabli, alors je suis heureuse d’être là où je suis, du chemin que j’ai parcouru jusqu’à présent. Et j’essaie de prendre les meilleures décisions pour mon bien-être et mon avenir.

Enseignante et aujourd’hui chef de projet chez The Talent Factory, il y a eu un déclic chez vous pour l’écriture avec la parution de 89 Questions to the Moon. Ce questionnement face à la lune, un peu à l’image de Saint-Exupery, a-t-il reçu un accueil favorable du public ?
Je me suis découvert une passion pour l’écriture pendant mes études universitaires, ce qui m’a amenée à entrer dans le domaine de la communication, et plus précisément les relations presse. Les jeunes adultes trouvent dans ce livre un sentiment d’enracinement, il les ramène à l’essentiel dont nous avons tendance à nous éloigner en grandissant, comme notre lien avec la nature et le fait de trouver de l’émerveillement dans l’ordinaire.
Quant aux lecteurs plus mûrs, ils trouvent un certain réconfort entre les lignes des courtes histoires, tandis que d’autres auraient aimé que le livre soit plus long. Les enfants, quant à eux, trouvent 89 Questions to the Moon amusant et s’amusent à feuilleter les questions que le jeune protagoniste pose à la lune. La perception du livre en fonction de l’âge du lecteur est corrélée aux expériences de vie de l’individu qui sont définies par son âge, son éducation et sa vision du monde.

En valorisant le potentiel de l’imagination que l’on trouve chez les enfants, vous avez eu l’idée d’animer des cours de poèmes au Caudan Art Centre. Pourquoi ce choix de créer des ateliers pour les 5-9 ans et les 10-15 ans séparément ?

J’ai créé ces ateliers pour les 5-9 ans et les 10-15 ans avec la nécessité de les séparer, car il s’agit de deux tranches d’âge très différentes. Les enfants perçoivent le monde d’une manière très différente de celle des adolescents qui veulent vivre de nouvelles expériences. Les deux doivent être abordés différemment dans la manière d’expliquer l’écriture de la poésie, et leurs expériences jusqu’à présent sont très différentes. Cela ne veut pas dire qu’ils peuvent être mélangés, non, mais il est plus facile d’avoir le même groupe d’âge qui s’identifie l’un à l’autre, ensemble, comme il y a des classes à l’école.

Comment a été la prise de conscience lors de ces ateliers de poèmes pour les petits et les ados ?
L’atelier des 5-9 ans est axé sur les thèmes “Se faire entendre” et “À quoi ressemble la couleur ?” Tandis que l’atelier des 10-15 ans est axé sur “La confiance en soi” et “De quelle couleur est mon histoire ?”
Pour les enfants, il s’agit d’une prise de conscience qui leur permet de se faire entendre et de mieux comprendre comment les émotions sont associées aux couleurs, et comment ils peuvent traiter cette question, tandis que pour les adolescents, il s’agit de trouver leur confiance en soi en s’exprimant à travers la poésie. En outre, ils doivent être capables d’identifier les émotions contenues dans leur propre histoire, leur propre poème, afin de mieux réguler la manière dont ils s’expriment sur le papier.
La poésie, qui est une excellente forme de narration, est à mon avis l’un des meilleurs moyens de traiter et d’extérioriser nos émotions, c’est comme tenir un journal. Ce que nous remarquons, c’est que les plus calmes, les introvertis, sont ceux qui participent à ces ateliers, ce sont eux qui écrivent. Mais en fait, la poésie s’adresse à tout le monde, elle est universelle et touche tout le spectre de la personnalité humaine. Nous avons besoin de tous les types de personnes pour composer le monde, et il en va de même pour la poésie, nous avons besoin de tous les types de personnalités pour écrire, créer et exprimer.

Les enfants parviennent-ils à cerner l’anglais facilement vu que l’atelier porte sur le thème “Exploring creativity through poetry for kids” ?
Pour faire simple, les enfants qui maîtrisent déjà la langue anglaise, ou ceux dont l’anglais est la langue maternelle, participent à l’atelier car il est plus facile et naturel pour eux d’écouter et de répondre. Cela dit, quelques enfants francophones ont participé aux ateliers jusqu’à présent et je leur ai assisté en français. À cet âge, les enfants sont beaucoup plus réceptifs à une autre langue et essaient de s’adapter et de comprendre ce qui est dit, avec autant d’aide que possible de ma part en tant qu’enseignante, bien sûr.
Comment la poésie que vous enseignez a-t-elle pu transcender les barrières linguistiques, permettant aux enfants de communiquer leurs pensées et leurs sentiments d’une manière à la fois libératrice et responsabilisante ?
Je ne dirais pas que la poésie transcende les barrières linguistiques simplement à cause de la langue dans laquelle elle est écrite, qui peut ne pas être comprise par tous. Cependant, l’intention de transmettre un message demeure universelle, et aujourd’hui, grâce à des outils de traduction facilement accessibles, n’importe qui peut traduire un poème et en saisir l’essence même. Il est vrai que les enfants et les adolescents trouvent souvent plus facile de s’exprimer sur le papier plutôt que verbalement, car la poésie peut sembler plus personnelle et intime, quelque chose qu’on peut garder pour soi et pratiquer en silence.
Le vers libre, en tant que forme de poésie, est libérateur par nature, offrant un véritable sentiment de soulagement et de repos, ce qui nous redonne pouvoir et autorité sur nous-mêmes. À travers la poésie, j’aspire à ce que les jeunes comprennent qu’ils doivent revendiquer leur propre vie, bien que cela demande du temps et soit un long processus. C’est essentiel et fait partie intégrante de mon but personnel.

Il y a aussi le rythme des vers où l’enfant découvre la joie de jouer avec les mots, de peindre des images vivantes avec leurs pensées, tout en exprimant leurs émotions. Écrire en vers libre, est-ce un exercice facile pour les enfants ?
En tant que forme de poésie, le vers libre est très conversationnel et ne se conforme pas aux règles ou structures traditionnelles. C’est pourquoi je l’apprécie tant, et c’est une raison importante pour laquelle je souhaite le partager avec d’autres, notamment avec les enfants. Les enfants informés et éduqués deviennent généralement des adultes responsables, et en tant qu’adulte, je considère cela comme une responsabilité. Écrire en vers libres, c’est comme laisser ses émotions couler sur le papier, et bien que cela puisse être difficile au début, cela devient plus facile avec la pratique et le temps. Mes ateliers visent à sensibiliser à l’importance d’exprimer nos sentiments.
L’imagerie est un excellent moyen de décrire comment un enfant ressent une émotion, un son ou une couleur. Qu’il s’agisse de l’innocence des enfants qui décrivent l’amitié comme « sucrée comme de la glace », ou des adolescents qui sont proches de l’âge adulte et commencent à découvrir les réalités du monde, à extérioriser des expériences négatives ou à explorer des émotions qu’ils n’ont pas encore vécues, mes ateliers, comme je m’y attendais, sont des expériences d’apprentissage.

La poésie encourage la curiosité, l’introspection et le sentiment d’émerveillement, des qualités fondamentales pour le développement d’un enfant. Êtes-vous satisfaite du fait que dans ce processus poétique, les enfants améliorent non seulement leurs compétences linguistiques, mais cultivent également un lien avec leur propre créativité ?
L’expérience humaine repose sur un sentiment d’émerveillement pour le monde. Récemment, j’ai été surprise par l’immensité de la nouvelle lune dans le ciel, et je crois que la poésie ramène les gens au moment présent. Elle nous incite à remarquer les petites choses, les brefs moments et la beauté du monde naturel. Avec l’avènement de la technologie, le lien entre l’homme et la terre s’est considérablement rompu en ce qui concerne nos horloges biologiques qui, du point de vue de l’évolution, correspondent à la lumière du jour, désormais contraintes à répondre aux exigences du 21e siècle.
En termes de développement de l’enfant, la poésie est une incitation douce à s’éloigner des écrans et à se plonger dans les mots, l’écriture et un processus de réflexion qui l’encourage à utiliser sa créativité afin d’être plus réactif. Des activités sont organisées telles que l’exploration des émotions, où l’enfant choisit une émotion et doit écrire un poème à son sujet. Ou encore, des sons sont diffusés, en particulier des extraits de musique classique, et les enfants doivent donner des mots à ce qu’ils entendent et en faire un poème. L’objectif final est d’attirer leur attention sur le plaisir d’écrire, de structurer des phrases, de donner de la cohérence à leurs idées et à leurs sentiments, ainsi que poser des questions, écouter leurs pairs et partager verbalement leurs idées en récitant leur poème, s’ils se sentent à l’aise pour le faire.
Lorsque les enfants font appel à leur créativité innée, ils sont non seulement en mesure de mieux se connaître eux-mêmes, mais ils sont également plus susceptibles de devenir des apprenants permanents, car ils ont envie de continuer à apprendre sur les gens et les lieux qui les entourent.
À quand un atelier pour les adultes ? Y a-t-il une demande en ce sens ?
Avant même de proposer des ateliers de poésie pour enfants et adolescents, un atelier pour adultes était déjà un projet que je souhaitais concrétiser. La poésie s’adresse à tous et je crois fermement qu’il faut la démocratiser. En tant qu’art, l’écriture de poèmes est une forme d’expression accessible qui ne nécessite pas beaucoup d’investissement en termes de matériel ; tout ce dont vous avez besoin, c’est d’un papier, d’un stylo ou d’un crayon, ou d’un téléphone pour taper. De laisser libre cours à vos idées, et d’avoir l’envie de découvrir ce que vous avez à dire sur le papier. Le papier accepte ce que les autres ne veulent pas entendre, c’est extrêmement thérapeutique.
Quelques adultes, des amis, m’ont demandé s’il serait possible d’organiser des ateliers de poésie pour adultes à l’avenir, et ma réponse est un oui définitif. Ce n’est qu’une question de temps, de préparation et d’apprentissage avant que je ne propose des ateliers adaptés aux adultes.

Comment explorer son plein potentiel ?
Je dis toujours aux gens qu’ils doivent se donner l’espace nécessaire pour fleurir. Ce que j’entends par fleurir, ici, c’est l’espace mental qui vous donne la permission d’explorer votre plein potentiel, de grandir en tant que personne et, surtout, de travailler activement à la réalisation de votre objectif. En devenant le meilleur de nous-mêmes et en servant les autres, en nous découvrant, nous créons peu à peu une vision plus claire de ce que nous voulons accomplir dans notre vie.
Pour moi, « fleurir » c’est vivre avec passion, et même si cela devient difficile la plupart du temps, cela en vaut la peine. Vos valeurs, vos principes et vos idéologies s’enracineront plus profondément dans le béton et vous apprendrez à vous connaître mieux que quiconque ne le fera jamais. Et c’est en fin de compte le plus beau cadeau que nous puissions nous faire : vivre avec passion et gâter notre esprit, notre corps et notre âme avec l’amour de soi.

 

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