Dans une interview accordée au Mauricien cette semaine, Rajesh Bhagwan revient sur ses 40 ans de carrière comme parlementaire. Pour lui, la période de 2019 à 2024 aura été la pire mandature de l’histoire parlementaire de Maurice. Il dénonce par ailleurs les méthodes pratiquées par le gouvernement de Pravind Jugnauth et rappelle à ce dernier que « ses jours, comme Premier ministre, sont comptés ».
Rajesh Bhagwan, nous pouvons sans nous tromper dire que vous êtes parmi les parlementaires ayant servi le plus grand nombre de mandats…
Je peux dire que Paul Bérenger a participé au plus grand nombre d’élections. Je me suis pour ma part présenté aux élections générales après la grande cassure de 1983. Les élections d’août 1983 se sont déroulées dans un contexte marqué par le communalisme. Anerood Jugnauth avait mené une campagne raciste anti-Bérenger.
En fait, j’ai adhéré le MMM dans les années 1980. J’ai été élu pour la première fois aux élections municipales organisées après la victoire de 60-0 de 1982. Par la suite, il y a eu une cassure dans le MMM. J’ai été élu dans la circonscription No 20 en 1983 et j’ai été réélu dans toutes les élections qui ont suivi. Je me présente à nouveau aux élections dans la même circonscription cette année.
Qu’est-ce qui vous pousse à participer une nouvelle fois à ces élections ? Je suis principalement motivé par la volonté d’apporter ma contribution ainsi que toute mon expérience et mon énergie, que ce soit au sein du MMM ou de l’Alliance du Changement, pour faire partir le régime de Pravind Jugnauth, dans l’intérêt de ce pays. Je veux continuer à apporter ma contribution au sein de la circonscription, qui a été pénalisée en termes de développement durant ces dix dernières années avec le MSM à la municipalité de Beau-Bassin/Rose-Hill.
Je dois avouer que je suis un produit de l’administration régionale. C’est une bonne pépinière pour les politiciens au niveau du MMM. Il y a eu de grands maires, comme Jean-Claude de l’Estrac, Cassam Uteem, Deven Nagalingum, Franco Quirin, etc. Aujourd’hui, les citadins des différentes villes regrettent l’absence du MMM. Notre retour est pour bientôt. Une des premières décisions du nouveau gouvernement sera l’organisation des élections municipales. En alliance avec nos autres partenaires, nous reprendrons les municipalités.
Vous avez connu un dernier mandat très dur entre 2019 et 2024. Comment avez-vous vécu cette période ?
Le mandat entre 2019 et 2024 a été la pire mandature dans l’histoire parlementaire de Maurice, et à laquelle j’ai participé. Pire parce qu’un Premier ministre a mis un Speaker en la personne de Phokeer pour tuer les règles élémentaires du Westminster System. Il y a eu mainmise totale du Premier ministre et du MSM sur la démocratie parlementaire. Les parlementaires de l’opposition – dont Paul Bérenger, Shakeel Mohamed et les autres – ont été suspendus pour un oui ou pour un non. Durant 41 ans de service au Parlement, j’ai connu beaucoup de Speakers – comme Ajay Daby, Ramnah, Ramesh Jeewoolall, Iswardeo Seetaram, Kailash Purryag, Razack Peeroo, Maya Hanoomanjee… Malgré leur appartenance politique, ils ont joué le jeu et respecté les Standing Orders. Notre objectif est de redonner au Parlement ses lettres de noblesse.
Quelle a été votre plus grande satisfaction comme député ?
J’ai été la voix des habitants de la circonscription de Beau-Bassin/Petite-Rivière pour poser des interpellations parlementaires dans leurs intérêts. J’ai également occupé des fonctions de PPS, où j’ai apporté des développements. J’ai été ministre de l’Environnement et des Administrations régionales. J’ai mis en œuvre beaucoup de projets avec mon équipe. Les plus grands moments de ma carrière ont été entre 2000 et 2005 comme ministre de l’Environnement. Je peux dire que les gens se souviennent de mon passage comme maire de Beau-Bassin/Rose-Hill, comme PPS, comme ministre, et comme député de l’opposition, parce que ce que je fais est palpable.
J’ai donné un nouvel élan au ministère de l’Environnement. C’est à cette époque que la police de l’Environnement a été créée, une nouvelle législation a été adoptée en 2002. Des études ont été lancées sur les érosions de la zone côtière. Nous avons travaillé avec la participation de la population. Il y a eu également la création de plusieurs parcours-santé à travers le pays ainsi que la réhabilitation des lagons. Je suis un Doer et j’ai laissé mes traces sur mon passage. Tout le monde sait que je pratique une politique de proximité et que je ne suis pas communaliste. Depuis 2010, j’ai Franco Quirin en ma compagnie, et Karen Foo Yune nous a rejoints en 2019. C’est la seule circonscription où il y a trois candidats du MMM. Aujourd’hui, la circonscription No 20 concerne aussi bien les régions urbaines que les régions rurales. Vous figurez parmi les rares politiciens qui n’ont jamais quitté le MMM depuis l’adhésion à ce parti.
Qu’est-ce qui vous a motivé ?
J’ai été formé à l’école des militants. Je me souviens de la formation acquise depuis 1982. Je me souviens des discussions qu’on a eues sur les grands thèmes locaux et internationaux. J’épouse les grands idéaux du MMM. Depuis 1982, j’ai été partie prenante dans toutes les grandes activités du MMM : les congrès, les élections, les grands anniversaires. Au cœur du MMM, il y a Paul Bérenger, dont la contribution est indéniable. Je suis très allergique à la trahison. Je suis violent vis-à-vis de ceux qui ont trahi le parti et la confiance de Paul Bérenger. Beaucoup ont occupé de grandes responsabilités. Aussi longtemps qu’ils sont au MMM, ils font les éloges de Paul Bérenger, mais dès qu’ils s’en vont, nous les entendons s’attaquer à Bérenger et utiliser un langage communal.
Je suis un croyant, et puis je n’aime pas cracher dans mon assiette. Si Rajesh Bhagwan existe politiquement, c’est grâce à la famille militante. C’est le leader qui donne l’investiture. Comment pourrais-je critiquer un parti qui m’a donné l’occasion de m’épanouir. Je me souviens que je travaillais au CEB lorsque j’ai été élu pour la première fois. Parce que j’avais posé deux interpellations sur l’inspectrice des écoles, Sarojini Jugnauth, le board du CEB m’a mis devant un choix : soit rester au CEB, soit abandonner la politique. J’ai choisi de faire de la politique. Une personne qui m’avait beaucoup aidé à l’époque avec ses conseils est Jack Bizlall, pour qui j’ai toujours une grande estime, même si parfois, nous ne partageons pas les mêmes idées. Je me souviens avoir eu ma première promotion au CEB grâce à Jack Bizlall, qui était négociateur. Dans votre action politique, vous êtes des fois très agressif.
Au point qu’on vous a donné le sobriquet de bulldozer. Comment assumez-vous ce qualificatif ? Kan mo zwe football, mo pa met tiptop, me soulie football. Lors de ma première participation aux élections générales, en 1983, j’ai eu à me confronter à Gaëtan Duval. C’était des élections dures. C’est Navin Ramgoolam qui m’a donné ce surnom de Bulldozer. Lors des élections partielles à Rose-Hill, de l’Estrac-Aumeeruddy Cziffra contre Bérenger-David, nous avions remporté une grande victoire en janvier 1995. J’étais responsable de la campagne et, lors de son discours, à cette occasion Ramgoolam, a dit que Bhagwan koumadir enn bulldozer. Depuis cette appellation est restée. Je suis tough et discipliné, mais je n’aime que l’on me marche sur les pieds. Je fais beaucoup d’efforts, j’aime la perfection. Il faut reconnaître que j’ai appris l’organisation avec des grands comme Jean Claude de l’Estrac ou Rama Poonoosamy. Une autre personne qui m’a aidé notamment à la municipalité de Beau-Bassin/Rose-Hill a été Finley Salesse. Ils savaient communiquer. À leur départ, je leur ai succédé comme organisateur des campagnes électorales. J’ai participé à l’organisation de toutes les élections au sein du MMM. Aujourd’hui, Ajay Guness et moi sommes responsables de l’organisation pour le parti. Je suis content que la relève soit là.
Quelle est l’élection qui vous a le plus marquée ? Chaque élection a sa spécificité. Celle de 1983 était communale à l’extrême. J’ai fait beaucoup d’élections par la suite. Je me souviens de l’élection où j’avais pour adversaire Gaëtan Duval. Il respectait ses adversaires. Même en pleine campagne, nous nous parlions afin de régler des problèmes. Je garde de bons souvenirs de lui. Nous abordons la dernière semaine de campagne…
Comment se présente la situation ?
Nous sommes très satisfaits du Mood dans lequel se déroule la campagne. Une tendance rare se dessine. La tendance aujourd’hui est un dégoût pour les autorités en place. Je parle notamment du jour où l’église catholique a invité la population à une messe de réparation dans toutes les églises après les propos irrespectueux tenus le commissaire de police concernant la Vierge Marie, et qui ont été rendus publics lors des Leaks. Xavier-Luc Duval a été obligé de manifester son embarras. Même avec un peu de retard. De son côté, Pravind Jugnauth a lui-même révélé que la mafia a infiltré les institutions. Aujourd’hui, la population, à travers les révélations de ces derniers jours, découvre où se trouve la mafia et qui sont les vrais chefs de la mafia.
Le Premier ministre parle de l’IA. Tout ce monde aura à rendre des comptes. Un dicton affirme qu’il y a 100 ans pour le voleur et un jour pour les maîtres. Pravind Jugnauth a dirigé ce pays comme s’il était sa propriété privée. Il a fait dominer au Parlement et a contrôlé toutes les institutions. Aujourd’hui, nous sommes en mesure de connaître les salaires du Premier ministre et des ministres, du chef juge et des responsables des institutions constitutionnelles et publiques, mais nous ne connaissons pas les salaires de Navin Beekarry à la tête de la Financial Crimes Commission. Le dossier MedPoint n’est pas non plus fermé. Il faut savoir comment ce même Beekarry a changé de position devant le Privy Council. Ce monsieur est l’homme de Pravind Jugnauth. Xavier-Luc Duval, Alan Ganoo et Steven Obeegadoo sont également devenus les hommes de Pravind Jugnauth. Ils seront balayés lors des prochaines élections. Nous nous acheminons vers une grande victoire durant cette dernière semaine.
Peut-on dire que ce sont les dernières élections auxquelles vous participez ?
Bien sûr qu’il nous faudra passer le flambeau à un certain moment. Navin Ramgoolam et Paul Bérenger connaissent les responsabilités qu’ils ont devant la jeunesse. Moi-même j’aide à préparer la jeunesse au sein du MMM. Ce sont les Franco Quirin, Karen Foo Yune, Adil Ameer Meea, Joanna Bérenger, Fawsi Allymun… Ils représentent l’avenir du MMM. Dans le cadre de ces prochaines élections, nous préparons le MMM de demain. Le MMM ne continuera pas avec Rajesh Bhagwan ou Paul Bérenger. Nous serons peut-être des mentors. Nous referons les bases du parti.
Le problème de la drogue vous tient à coeur…
Oui. Malgré tout ce que dit Pravind Jugnauth, il a failli à sa tâche en ce qui concerne la lutte contre la drogue. La drogue synthétique est en train de finir la jeunesse. Lorsque je vois ce qui se passe dans ma circonscription, j’ai envie de pleurer. Ils sont mis des millions dans du béton, alors comment expliquer qu’ils n’ont pas créé de centres de réhabilitation ? Je ne reviendrai pas sur le programme électoral, le manifeste a déjà été publié, mais l’attente est grande au niveau de la population. J’attends ces élections avec impatience afin de permettre à Maurice de respirer. À travers les Missie Moustass Leaks, nous pouvons mesurer à quel point Maurice est asphyxiée.
La mafia de l’hôtel du gouvernement a infiltré le bâtiment du trésor. Je ne crois pas que Jugnauth réalise qu’il est un Premier ministre en partance. Il ne lui reste pas beaucoup de jours avant de partir. Il fera du communalisme, utilisera la MBC, de l’argent sera distribué… Mais les oriflammes ne feront pas les élections. Le changement arrive. Il lui faudra bientôt rendre des comptes.
Une de mes priorités, en tant qu’un enfant de Port-Louis, sera aussi de refaire le Champ-de-Mars, qui est devenu un dépotoir, avec le protégé de Jugnauth, Lee Shim. Comment expliqué que ce patrimoine historique, où a été levé le drapeau de l’indépendance, soit devenu un dépotoir. Aujourd’hui, Pravind Jugnauth me rappelle l’époque de Pinochet, que la jeune génération ne connaît pas, et qui a été repris dans le film Z, qui avait fait sensation à l’époque.
Il semble que Roshi Bhadain vous mène la vie dure dans votre circonscription…
Bhadain s’est autodétruit. Il pense tout connaître et a un complexe de supériorité.
Si le MMM n’a pas pu remporter les élections seul, pensez-vous qu’il pourra le faire ?
En s’attaquant à Karen Foo Yune, il a mis le dernier clou dans son cercueil. He has never been in the race.
En vous entendant parler, on se rend compte qu’un député peut travailler pour la population même dans l’opposition… Why not ? Je peux vous dire que tous les jours, les trois députés de notre circonscription reçoivent les appels des mandants pour régler leurs problèmes concernant la distribution d’eau, des rues endommagées… Les gens nous téléphonent pour des problèmes de sécurité sociale ou des problèmes à l’hôpital. Il faut dire que nous arrivons à régler leurs problèmes. Je rends hommage à beaucoup d’officiers du CEB, de la CWA de la municipalité, à l’hôpital… Ils nous répondent lorsqu’on téléphone en tant que député parce que nous avons une crédibilité. Le fait que j’ai été ministre peut aussi aider.
Comment s’annonce le dernier meeting national de demain ?
Ce sera un raz-de-marée du changement, qui est dans la bouche de tout le monde. Nous n’aurons pas seulement les partisans du PTr, du MMM, des ND et de ReA. Ce sera une foule qui comprendra beaucoup de jeunes et de personnes issues de la classe des travailleurs. Ce sera une foule qui nous encouragera à entreprendre le changement une fois au pouvoir. Ramgoolam a coutume de parler de rupture; Paul Bérenger parle lui aussi de changement. Et effectivement, la population ne veut pas voir la même chose au Parlement, pas la même chose dans la manière de gérer le pays et la manière dont la police est dirigée. Les Mauriciens étouffent et ont envie de respirer. Nous savons la responsabilité d’apporter cet oxygène.
Comme un vétéran, j’apporte toute ma contribution dans cet élan du changement, et je suis très fier de participer ces 10 élections générales en ce qui me concerne. Je suis d’autant plus fier que j’ai fait dix élections dans la même circonscription et dans le même parti, sans jamais perdre. Je suis heureux de l’accueil reçu dans ma circonscription et de la façon à laquelle Franco Quirin et Karen Foo Yune sont reçus.
Je félicite aussi les activistes du Ptr pour leurs activités dans toutes les circonscriptions, et en particulier dans la circonscription No 20. Je voudrais avoir un mot spécial pour Norbert Marcel, qui travaille avec la même vigueur qu’un quatrième candidat. À travers lui, les activistes travaillistes travaillent corps et âme.