Le ministre délégué aux Affaires étrangères, Rajen Narsinghen, se dit confiant que les négociations concernant les Chagos sont entre de bonnes mains à Maurice et que les discussions connaîtront un dénouement positif. Dans une interview accordée à Le-Mauricien, il explique son rôle au ministère des Affaires étrangères en tant que ministre délégué et affirme que les relations entre le ministre des Affaires étrangères, Ritesh Ramful, et lui sont basées sur le respect. Il évoque également ses missions en Inde où, dit-il, la visite du Premier ministre, Navin Ramgoolam, est attendue avec impatience. Il ajoute que le traité de non-double imposition entre Maurice et l’Inde pourrait être revu afin de le rendre plus équitable.
Rajen Narsinghen, vous occupez le poste de Junior Minister au ministère des Affaires étrangères dans le nouveau gouvernement. Pouvez-vous nous parler de vos responsabilités ?
La fonction de Junior Minister est prévue dans la Constitution. Ce qui fait que le poste de PPS constituait une anomalie. Le Junior Minister opère sous la responsabilité du ministre en titre. Le ministère des Affaires étrangères est divisé en trois parties, à savoir les Affaires étrangères, l’Intégration régionale et le Commerce international.
Au sein des Affaires étrangères, il y a les relations bilatérales et les relations multilatérales qui traitent avec tous les pays d’une part et les organisations internationales d’autre part. Maurice a un rôle important à jouer et dans certains cas, ce sont les ambassades qui s’occupent de ces dossiers mais les décisions sont prises au niveau du ministère.
Le ministre Ritesh Ramful et moi entretenons des relations très cordiales. Nous nous connaissons depuis longtemps. Ce qui fait que nous travaillons en harmonie et dans le respect mutuel. La décision finale est prise par le ministre et il est assisté du Junior Minister.
Au ministère, je m’occupe davantage des dossiers concernant les relations multilatérales, et surtout du commerce international. Comme vous le savez, j’étais professeur à l’université de Maurice et suis spécialisé dans la Constitution et les droits humains. Je suis également familier avec le commerce international et j’ai déjà occupé un poste de consultant auprès de l’OMC dans le domaine de la formation.
Le ministre et moi avons des consultations quotidiennement et nous sommes épaulés par le secrétaire aux Affaires étrangères pour la partie technique qui a sous sa responsabilité plusieurs divisions, et par le secrétaire permanent pour la partie administrative. Nous reconnaissons que les fonctionnaires attachés au ministère sont de grands professionnels qui ont besoin d’être motivés. C’est ce que nous faisons en tant que ministre et ministre délégué. Nous sommes guidés par le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et par le Premier ministre adjoint, Paul Bérenger, qui s’intéressent aux relations internationales au plus haut niveau. Nous travaillons également en collaboration avec différents ministères avec qui nous sommes en contact régulier.
Une de vos premières missions à l’étranger a eu lieu en Inde en début d’année. Pouvez-vous nous en parler ?
En fait, j’ai effectué deux missions en Côte-d’Ivoire et en Inde qui ont été entièrement financées par des instances internationales. La première mission a été effectuée en Côte-d’Ivoire, à l’invitation du gouvernement du Japon, afin que je participe au troisième Forum économique public-privé Japon Afrique. La deuxième mission a eu lieu en Inde à l’invitation du gouvernement indien afin de participer au Pravasi Bharatiya Divas. Une forte délégation mauricienne composée de quelque 300 personnes, dirigée par le ministre de la Culture Mahendra Gondeea, était présente à cette occasion en Inde.
J’y ai présenté un papier sur le développement durable et le sujet de Greening the Economy. Mahendra Gondeea et moi avons eu une rencontre avec le ministre indien des Affaires extérieures, S. Jaishankar, un ministre puissant qui connaît ses dossiers. À cette occasion, j’ai attiré son attention sur le traité de non double imposition et souhaité que cet accord soit plus équitable vis-à-vis des pays comme Singapour et les Pays-Bas. Nous espérons que lors de la prochaine visite du Premier ministre Navin Ramgoolam en Inde, des amendements et des ajustements seront apportés aux lois concernées.
D’ailleurs, le ministre Jaishankar a renouvelé l’invitation faite par le Premier ministre Narendra Modi au Premier ministre. Je lui ai fait comprendre que le gouvernement veut relancer avec plus de vigueur les relations entre Maurice et l’Inde d’une façon équitable. Le ministre Mahendra Gondeea et moi l’avons aussi rencontré en aparté. Et nous avons rencontré d’autres ministres dont ceux de l’Éducation et de l’Informatique.
De plus, j’ai participé à un Business Forum organisé par la Chambre de Commerce du Sud de l’Inde. Nous avons eu l’occasion de rencontrer le Chief Minister du Tamil Nadu, M. Staline, qui est un personnage très charismatique. Il est disposé à collaborer. Je l’ai invité à venir à Maurice. Il m’a recommandé certaines personnes dans le monde de l’enseignement supérieur. Ils sont disposés à accorder à Maurice une dizaine de bourses en Marine Engineering. D’autres possibilités de formation dans le domaine de l’IT, de l’IA et le commerce international ont été explorées. Ces discussions devront être approfondies et faire d’objet de protocoles d’accord.
Et la Côte-d’Ivoire ?
En Côte-d’Ivoire, plusieurs pays francophones d’Afrique ont participé au Forum économique public-privé/Japon-Afrique. Beaucoup d’entrepreneurs japonais étaient présents à cette occasion. J’ai eu l’occasion de rencontrer plusieurs d’entre eux afin d’évoquer les possibilités de partenariat avec Maurice. Ils sont très intéressés à collaborer avec Maurice dans le domaine de l’économie bleue et de la pêche dans lesquelles ils ont beaucoup d’expertise. Je leur ai parlé des possibilités qui existent dans le port franc. Ils sont déjà présents au Sud de l’Inde et au Brésil. Je les ai invités à étudier les possibilités existantes à Maurice. Ils ont accepté de collaborer. Je remercie l’ambassadeur du Japon qui a facilité ma visite.
Plus intéressant, j’ai eu l’occasion de rencontrer les représentants de la Chambre de Commerce de Côte-d’Ivoire. Ils n’ont pas tardé à venir à Maurice. C’est ainsi qu’une vingtaine de représentants de la Côte-d’Ivoire sont en ce moment à Maurice. Ils ont eu des séances de travail organisées par l’Economic Development Board (EDB) et le service de Commerce international du ministère des Affaires étrangères. Les banques et les compagnies offshore et d’autres opérateurs mauriciens y ont participé.
Dans mon discours, j’ai eu l’occasion de faire une présentation des facilités qu’offre Maurice aux investisseurs étrangers et des possibilités d’accès aux marchés hors taxes de la SADC et de la COMESA. Je leur ai fait comprendre que le gouvernement mauricien multiplie actuellement les efforts pour positionner Maurice comme un des plus grands centres logistiques et compétitifs de l’océan Indien. Cela permettra de fournir aux opérateurs du port franc des solutions pour intégrer les chaînes d’approvisionnement conformes aux normes internationales.
Maurice a aussi des accords de libre-échange avec la Chine, l’Inde. Et un centre de services financiers fiable et performant dans la région. De plus, le pays se positionne comme un fournisseur de services régionaux de premier plan dans le domaine du tourisme, des TIC et des services professionnels et financiers. Le fait que Maurice soit bilingue lui permet de se positionner comme un pont entre les marchés francophones et anglophones. Ma démarche consiste à encourager la concrétisation des accords. Sur la vingtaine d’entrepreneurs ivoiriens présents, si six ou sept accords de partenariat sont conclus, ce sera déjà beaucoup. Le ministre Ramful et moi sommes beaucoup plus orientés vers la mise en œuvre.
Vous vous occupez également du dossier des Droits de l’homme au niveau du ministère des Affaires étrangères. Quelle est la position à ce sujet ?
Ce service a été malheureusement assez inactif. Comme vous le savez, il y a eu une régression au niveau des droits de l’homme. Nous l’avons vu à travers des rapports de V-Dem, des rapports publiés par le département d’État américain, et d’autres rapports sur les droits de l’homme. Nous voulons revigorer ce département et nous assurer que Maurice se conforme aux critères définis par la Commission des droits de l’homme des Nations unies. Il faut modifier cette approche et revoir toutes les institutions des droits de l’homme sous le leadership du Premier ministre.
Est-ce le ministère est associé aux négociations concernant la souveraineté de Maurice sur les Chagos avec la Grande-Bretagne ?
Oui, le ministère est engagé dans une certaine manière mais c’est le Bureau du Premier ministre, dont Navin Ramgoolam essentiellement, qui s’occupe de ce dossier. Il est soutenu par le Premier ministre adjoint Paul Bérenger, l’Attorney General et ses conseillers.
Certaines personnes pensent que l’avènement de Trump va changer les choses. Dans la diplomatie et les relations internationales, nous faisons la différence entre l’État et le gouvernement. Le gouvernement change, mais l’État continue. Il faut faire une différence entre la rhétorique politique et la permanence de l’État. Je suis plutôt optimiste que tôt ou tard, nous trouverons une solution entre les trois parties concernées, à savoir la Grande-Bretagne, Maurice et les États-Unis. Nous devons toutefois ménager notre langage. Le Premier ministre le fait avec beaucoup de tact. Il adopte le ton approprié dans le respect des règles de la diplomatie.
Puisque vous suivez de près les relations commerciales au niveau du ministère, quel regard jetez-vous sur l’AGOA ?
Maurice est très active dans la défense de l’African Growth and Opportunity Act (AGOA) qui concerne les relations commerciales entre les États-Unis et l’Afrique. Toutefois, dans la réalité, Maurice n’obtient pas grand-chose.
Dans le cadre des négociations, nous devons nous assurer que Maurice bénéficie davantage de cet accord dans le concret. Pour le moment, ce sont surtout le textile que nous exportons sur le marché américain. Il faudra nous assurer que la promotion de Maurice du niveau des pays à revenus moyens à revenus élevés joue en notre faveur. Il ne faut pas oublier que Maurice est non seulement un Petit État insulaire en développement et que nous sommes extrêmement vulnérables, au regard du changement climatique, de la montée des eaux et de l’éloignement de nos principaux marchés traditionnels. Tout cela devrait être pris en compte par les États-Unis.
Le nouveau président américain a été élu avec une grande majorité et veut travailler pour son pays. C’est son droit. Son idéologie et sa politique ne nous concernent pas. Sous la direction du Premier ministre et du Premier ministre adjoint et les Affaires étrangères, nous entretenons de bonnes relations avec les États-Unis dans le respect mutuel. L’ambassadeur américain à Maurice est une personne ouverte aux discussions comme c’est le cas pour la haute commissaire britannique. Je suis donc optimiste et suis confiant que les discussions concernant les Chagos connaîtront un heureux dénouement.
« J’ai attiré l’attention du ministre indien des Affaires étrangères sur le traité de non-double imposition, et j’ai souhaité que cet accord soit plus équitable pour Maurice par rapport à des pays comme Singapour ou les Pays-Bas »
« Une vingtaine de représentants de Côte d’Ivoire sont en ce moment à Maurice. Ils ont eu des séances de travail organisées par l’EDB et le service de commerce international du ministère des Affaires étrangères. Les banques, les compagnies offshore et d’autres opérateurs mauriciens y ont participé »
« Je suis plutôt optimiste concernant les Chagos à l’effet que, tôt ou tard, nous trouverons une solution entre les trois parties concernées, à savoir la Grande-Bretagne, Maurice et les États-Unis »