Le directeur exécutif de Transparency Mauritius, Rajen Bablee commente l’indice de perception de la corruption 2018 publié par Transparency International hier, Maurice ayant gagné un point en 2018, en obtenant un score de 51, mais perd deux places en passant du 54e rang mondial au 56e rang. Analysant la situation qui prévaut dans le pays, il est d’avis que « des institutions sont perçues comme des vaches à lait pour les proches du pouvoir ».
Maurice a reculé de deux places tout en améliorant son score ?
Maurice est donc descendu de deux niveaux au niveau mondial, passant du 54e rang mondial au 56e. Elle est maintenant 6e sur le plan africain, derrière les Seychelles – qui caracole en 28e position avec un indice de 66. Cela fait sans doute mal car en 2017, le gouvernement mauricien avait émis le souhait, dans son plan stratégique pour les trente prochaines années, d’atteindre justement l’indice de 66 dans le cadre des Objectifs de Développement durable des Nations unies. On peut toujours se consoler que Maurice a progressé d’un point mais je suis sûr que les Mauriciens auraient préféré que notre pays soit en tête en Afrique. Nous avons donc un indice de 51 contre 50 pour l’année précédente. L’indice de Perception de la Corruption (IPC) de Transparency International concerne quelque 180 pays à travers le monde. Il est pris en compte parmi les acteurs internationaux et s’appuie sur des données de treize institutions internationales réputées. Il faut savoir qu’il concerne surtout la corruption dans le secteur public. Il est vrai que la corruption est une activité cachée et qu’il est quasiment impossible d’obtenir un instantané de l’ampleur de la corruption dans un pays. C’est pour cette raison qu’on évoque la perception et non un chiffre empirique. L’IPC est l’indicateur de corruption le plus largement utilisé dans le monde.
Comment interprétez-vous cette note ?
Pour être franc ou transparent, j’avais une certaine appréhension à l’effet que les nombreux scandales de l’année dernière allaient plomber le pays. Il ne faut pas oublier les révélations du rapport Lam Shang Leen, celles qui ont provoqué le départ de l’ancienne Présidente de la République, le fait que le Premier ministre actuel et son prédécesseur font tous les deux faces à des affaires au pénal, la démission des membres du gouvernement, les nominations qui prêtent à une perception de népotisme, pour ne citer que ceux-là. Mais il est aussi vrai que la démocratie a fonctionné : les institutions, notamment le judiciaire, semble fonctionner sans interférence. Le bureau du Directeur des Poursuites publiques a pu contester la décision de la Cour Suprême par rapport au Premier ministre au conseil privé de la Reine. Malgré les scandales, l’internet n’a pas été interrompu même si un amendement de l’Information and Communication Technologies Act a fait craindre le pire à nombre d’internautes. La législation sur la déclaration des avoirs a été revue en mieux. Il y a quand même une ébauche de loi sur le financement des partis politiques qui circule. Mais on peut encore, et il le faut, faire mieux.
Qu’en est-il de l’image du pays quand notre Premier ministre se retrouve avec une affaire de corruption devant le Privy Council ?
Le Premier ministre répond d’une accusation de délit de corruption. Il a été trouvé coupable par la Cour intermédiaire, et la Cour suprême a renversé le jugement. Le DPP a fait appel. Ce mois-ci, les Law Lords ont écouté les arguments du représentant du DPP et de celle du Premier ministre. En attendant la décision du Conseil Privé qui sera finale, il est mal avisé d’émettre des commentaires. Mais, en même temps, il est intéressant de noter que le DPP a pu loger son appel, ce qui, dans certains pays, n’aurait pas été possible.
N’empêche que le népotisme semble constamment revenir au-devant de la scène ?
Le népotisme ou la perception de népotisme est un élément auquel le gouvernement devra faire attention. Le népotisme ne sert pas celui ou celle qui nomme un incompétent, et il ne sert ni l’institution qu’il parasite ni le pays. Dans son manifeste électoral, le gouvernement actuel avait fait de la méritocratie un de ses objectifs majeurs mais nombre de ses membres surfent sur le fait que des lois obsolètes leur octroient le pouvoir discrétionnaire de procéder à des nominations sans aucune consultation. Notre système permet une pratique mercantiliste avec les agents ou autres parasites qui tournent autour des politiques avant les élections pour ensuite demander à être récompensés par des nominations, décorations, contrats ou promotions. C’est une culture de roder-bout qu’il faudrait, à tout prix, éliminer.
En cette année de campagne électorale ne craignez-vous pas que des bribes électoraux seront de la partie?
C’est malheureusement une réalité à Maurice où il existe, comme souligné plus tôt, une culture de roder-bout. D’un côté, des politiciens qui n’hésitent pas à faire des promesses de circonstance, de s’entourer de tapeurs et à offrir du « briani » ou « makaroni ». On a aussi parlé de « tempo » dans le passé ou encore de payer des factures d’électricité. Certains électeurs n’hésitent pas à vendre leurs votes contre la promesse d’un emploi, d’une promotion ou d’un contrat. Il est important qu’une loi efficiente sur la réforme électorale et le financement des partis politiques soit votée avant les prochaines élections. Cette nouvelle loi donnerait plus de pouvoirs à l’Electoral Supervisory Commission et lui permettrait d’effectuer des enquêtes ou des constats en toute indépendance. De plus, il y a toute une éducation à faire auprès du public afin qu’il comprenne les enjeux réels et participe à assainir la démocratie. N’oublions pas que Transparency Mauritius a demandé aussi une loi pour la protection des lanceurs d’alerte et sur le ‘Freedom of Information’.
Quelle est votre opinion sur la loi annoncée sur le financement des partis politiques ?
Une ébauche par rapport à cette loi circule en ce moment et le gouvernement a invité des commentaires ou des propositions dessus. Transparency Mauritius a étudié l’ébauche et compte soulever quelques points et faire des propositions. Je peux vous dire que certaines de ces propositions concernent le statut juridique d’un parti politique, les pouvoirs de l’Electoral Supervisory Commission et les dons en espèces, entre autres. On insiste aussi sur le fait que les registres contenant les noms de tous les donateurs soient rendus publics. Cela irait dans le sens de la bonne gouvernance et enrichirait la démocratie.
Et comment voyez-vous le rôle de l’ICAC ?
La proposition faite dans le manifeste électoral du présent gouvernement au sujet d’un Financial Crime Commission était séduisante. Le fait que les nominations à la tête de l’ICAC soient faites, sans réelle consultation avec les autres acteurs politiques, par le gouvernement, porte un coup à son indépendance et cette institution demeure porteuse d’une perception d’outil politique pour le gouvernement du jour. Cela est vrai pour nombre d’institutions qui sont perçues comme des vaches à lait pour les proches du pouvoir. Transparency Mauritius maintient toujours qu’il serait mieux, et dans l’intérêt du pays, à avoir un comité parlementaire pour faire des interviews publiques des candidats à la tête des institutions. La société civile pourrait aussi faire partie de ce comité.
Qu’est-ce qui figure à l’agenda de Transparency Mauritius pour 2019 ?
Cette année, Transparency Mauritius s’appuie sur une nouvelle stratégie : celle de travailler au plus près de la population, dans les villages pour une sensibilisation accrue sur les méfaits de la corruption, sur la bonne gouvernance et l’éthique. Nous continuons aussi de travailler avec les jeunes, le secteur privé et avec d’autres organisations de la société civile. Nous continuerons à mettre à la disposition des institutions publiques, des outils pour encourager les meilleures pratiques à travers le monde. Et dans la conjoncture d’une campagne électorale, nous comptons aussi veiller à ce que les Mauriciens soient avertis et informés par rapport aux bonnes pratiques de la gouvernance. Il faut aussi savoir que notre équipe est aussi sollicitée sur le plan régional pour des formations.
Propos recueillis par YAASIN POHRUN