Raj Prayag : « Le métier d’ingénieur mérite d’être mieux connu et apprécié des Mauriciens »

Alors que l’Institution of Engineers Mauritius (EIM) célèbre ses 75 ans, Le-Mauricien a rencontré son président, Raj Prayag, pour faire le point sur cette profession. Il se dit d’emblée d’avis que ce métier est « méconnu à Maurice et mérite d’être mieux connu et apprécié du public mauricien. La contribution de l’IEM est indélébile à la construction d’une île Maurice meilleure pour tous tout au long de l’histoire de notre pays », affirme-t-il. Raj Prayag est membre de l’IEM depuis 1976. En 2017, sous sa présidence, l’IEM avait décidé de modifier ses statuts et de mettre en place l’Engineering Acceditation Board, tout en demandant le statut de signataire de l’accord de Washington.

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L’Association des ingénieurs de Maurice fête ses 75 ans. Dans quelles circonstances cette association a-t-elle été créée ?
L’association a été créée par 12 visionnaires le 26 février 1948, à savoir Raymond Bérenger (président), Alfred Leclézio (vice-président), André Rey (secrétaire), Roland Desmarais (trésorier), et J. L. Nairac, Georges Pitot, George Taylor, Xavier Koenig, Maurice Paturau, Raymond Rey, Marcel de Nanclas, et Serge Staub en tant que membres. Ils avaient créé cette association pour offrir un meilleur service aux Mauriciens.

Je suis très honoré de faire partie de cette association lorsqu’on vient de célébrer la Journée nationale des ingénieurs. Non seulement ils ont créé l’IEM mais, en 1965, ils ont aussi fait campagne pour la promulgation de la loi Council of Registered Professional Engineers (CRPE) en vue de protéger la société en veillant que seuls des ingénieurs compétents et qualifiés puissent entreprendre et signer des conceptions, superviser, faire des rapports, etc.

À l’époque, un Engineer en anglais était également chauffeur de train. Pour faire la différence entre ce dernier et ceux qui construisent les ponts et chaussées, la loi sur les CRPE a été élaborée. Cette législation stipulait qu’un ingénieur doit faire des études universitaires de quatre ans et travailler pendant deux ans sous la direction d’un ingénieur avant de devenir professionnel.

Comment peut-on définir le métier d’ingénieur ?
Le métier de l’ingénuité veut dire le génie. Ce qui signifie utiliser son intelligence et savoir utiliser tout ce qui existe autour de vous dans la nature pour inventer et construire quelque chose. Ainsi, auparavant, tous les murs étaient construits en utilisant de la terre et de la chaux.

À l’époque, il n’y avait pas de matériaux importés. Pourtant, des usines et des cheminées ont été construites. Ce sont des travaux d’art que tout le monde continue d’admirer. Les ingénieurs ont mis la nature au service de l’homme. Ils construisaient des briques à partir de la chaux et les pierres, entre autres. Par la suite, nous sommes devenus plus malins et nous avons commencé à utiliser les fers de construction et le ciment.

Donc, les ingénieurs sont surtout connus pour la construction de maisons ainsi que de ponts et chaussées…
Pas du tout. Aujourd’hui, lorsque vous faites une chirurgie cardiaque, cet appareil qui vous permet de respirer sous anesthésie a été conçu par un ingénieur. C’est le cas aussi pour le chariot qui vous transporte. Tous les équipements mécaniques, électroniques et électriques sont les fruits des ingénieurs. Les architectes réalisent des plans, mais ce sont les ingénieurs qui exécutent leurs plans. Aujourd’hui, l’Internet, les câbles sous-marins, etc., sont l’œuvre des ingénieurs.

Quel rôle ces ingénieurs ont-ils joué dans le développement de Maurice ?
En regardant en arrière la contribution des ingénieurs dans les domaines du développement de Maurice depuis le jour 1, où les Hollandais ont débarqué pour la première fois, en passant par les périodes de colonisation par les Français et les Britanniques, les ingénieurs ont toujours été là.

Les premiers ingénieurs à s’installer à Maurice étaient les Hollandais et ils ont construit le premier port, à Grand-Port, mais aussi construit la première forteresse dans la région et les premières routes connues pour transporter le bois d’ébène jusqu’au rivage pour la construction navale. Ils avaient également construit la première usine de canne à sucre, car ayant introduit la canne dans l’île, et avaient produit de l’électricité à l’aide de moulins à vent.

Les ingénieurs français ont construit le port de Port-Louis, un réseau de routes, des usines sucrières, jeté les bases de l’urbanisation de l’île, construit un canal d’eau et un aqueduc pour fournir de l’eau aux citoyens de Port-Louis. Plus de 235 moulins à sucre ont été construits avec de magnifiques cheminées.

Par la suite, les ingénieurs ont fourni un réseau électrique national à chaque coin de l’île. Aujourd’hui, on rend hommage aux frères Atchia. En 1900, ils avaient endigué une rivière près de Réduit et construit la première centrale hydroélectrique et produit de l’électricité, introduisant ainsi l’énergie hydroélectrique pour les habitants de Maurice.
Le premier pont en béton armé, le pont Cavendish, à la Rivière des Créoles… Tout cela a été construit à une époque où les professeurs de génie discutaient encore du bien-fondé d’une telle construction.

Dans les années 80’ et dans le cadre de la diversification économique, des zones industrielles ont été construites à travers l’île principalement pour les industries textiles et de teinture, et elles ont reçu tous les services nécessaires, tels que des routes, l’alimentation électrique, le téléphone, le traitement d’eau et des eaux usées, et les installations sanitaires. Un modèle de développement que la Banque mondiale a promu ailleurs dans le monde.

Notre Plan d’action national pour l’environnement, préparé en 1989/1990, a été le modèle utilisé par la Banque mondiale et le PNUE pour promouvoir et encourager d’autres pays à faire de même pour tracer des feuilles de route pour la gestion durable de leurs pays en tenant compte de l’environnement. C’est ainsi que le ministère de l’Environnement et le Département de l’environnement ont été créés en 1990.

Donc, les ingénieurs contribuent au développement économique du pays ?
La contribution de la construction au GDP en 2014 était de 10,3%. Aujourd’hui, elle est de 12,3%. C’est le développement des infrastructures qui apporte la richesse à l’économie. Avec le développement structurel, le développement économique suit. C’est une tendance mondiale.

Aujourd’hui, plus de 99,5 % de la population est raccordée au réseau d’adduction d’eau potable courante. L’irrigation des plaines du Nord ainsi que l’irrigation de la zone Ouest n’ont été possibles que parce que des ingénieurs ont apporté de l’eau à travers le pays ingénieusement, pour donner vie à ces régions. Ont ensuite suivi les plans directeurs de gestion des déchets solides et des eaux usées dans le cadre du PIE au début des années 90’. Puis la fourniture de la collecte des déchets et l’évacuation des eaux usées à toutes les zones urbaines à la majorité de la population.

Nous voyons les standards de nos autoroutes, autoroutes, ponts aériens et, récemment, le pont A1/M1… Ils apportent l’excellence du développement routier et de l’innovation. Tous les services que j’ai mentionnés ont été fournis grâce à l’ingéniosité des ingénieurs.

Nous avons aussi la cybercité, le port et l’aéroport les plus modernes de l’océan Indien. L’île se réinvente avec des énergies renouvelables plus sûres et plus vertes. La réduction de la pauvreté, qui est l’Objectif de développement durable (ODD) No 1 des Nations unies, est abordée par l’amélioration des conditions de vie, comme l’approvisionnement en eau potable et l’assainissement, la construction de meilleurs logements, des bureaux et des usines, ainsi que des équipements dans chaque coin du pays. Il est significatif que 13 des 17 ODD nécessitent l’intervention d’ingénieurs.

Mais nous avons aussi recours à des ingénieurs étrangers…
Un ingénieur est un ingénieur, un médecin, un médecin. Nous encourageons nos ingénieurs à aller travailler à l’étranger, ce qui nous permettra de maîtriser de nouvelles technologies pratiquées ailleurs. Il ne faut pas oublier qu’après l’indépendance, il y avait seulement la canne à Maurice. Par la suite, nous avons encouragé les Taïwanais à venir à Maurice pour investir dans le textile. Nous avons beaucoup appris d’eux.

Avec l’introduction de la taxe, ils sont partis. Mais nous avons utilisé la compétence acquise pour poursuivre le développement dans le domaine textile. C’est le cas aussi pour le développement hôtelier. Les Mauriciens apprennent vite. Nous avons un don. Je dois aussi préciser que tous les grands travaux d’infrastructure que vous voyez, même si la technologie vient de l’étranger, ce sont les ingénieurs mauriciens qui, en dernier lieu, supervisent les travaux.

Quels sont les défis qui se présentent à vous aujourd’hui ?
Le monde change rapidement en raison d’impacts irréversibles du changement climatique. Le défi s’est amplifié par le rythme exponentiel des changements technologiques, qui rendent l’adaptation doublement difficile. Cela signifie que le modèle d’ingénierie de l’éducation d’hier devra également changer pour s’adapter.

Dans ce contexte, l’IEM travaille très dur depuis 2017 en collaboration avec les trois universités publiques pour comparer l’éducation de nos diplômés à une norme mondiale dans le cadre de l’Accord de Washington de l’Alliance internationale d’ingénierie. L’IEM a mis en place son Engineering Accreditation Board, en totale conformité avec les exigences de l’Accord de Washington.

Aujourd’hui, nous avons un système de formation autonome et totalement indépendant. Je saisis cette occasion pour féliciter et remercier l’Université des Mascareignes d’avoir soutenu ce projet national visant à faire entrer notre pays dans le groupe de l’élite des pays au niveau mondial ayant adopté ces normes internationales d’ingénierie.

L’analyse comparative de nos diplômes d’ingénieur à la norme de l’Accord de Washington aura de nombreux avantages : produire une nouvelle génération d’ingénieurs; apporter une reconnaissance internationale à nos ingénieurs formés à domicile; et donner la mobilité à nos ingénieurs pour travailler dans le monde entier.

Je tiens à remercier Jagadish Soobarah et Andre Chan Chin Yuk pour leur dévouement total à ce projet. Pour aller de l’avant avec les défis imminents posés par le changement climatique, l’ingénierie et la technologie seront une fois de plus à l’avant-garde, et ce, pour faire face à des conséquences énormes et difficiles.

Toutes les mesures d’atténuation qui seront nécessaires pour protéger les biens et les vies humaines proviendront des ingénieurs. La profession d’ingénieur reconnaît qu’une grande partie de la technologie qu’elle produit provient des travaux de recherche de la communauté scientifique, et l’IEM remercie tous ceux qui se sont ainsi engagés.

L’IEM, conscient des défis futurs, reconnaît le besoin d’une autre race d’ingénieurs ayant la capacité de résoudre des problèmes tout aussi difficiles et de trouver des solutions adaptatives et atténuantes. Aussi nous nous sommes lancés dans un projet visant à améliorer la formation en ingénierie pour ceux éduqués à Maurice à un niveau international, comparé à la norme de l’Accord de Washington.

La production d’ingénieurs de plus haut calibre donnera à nos ingénieurs l’avantage de la mobilité et offrira à nos consultants et entrepreneurs la possibilité de fournir leurs services en Afrique, où la Banque mondiale estime un investissement dans le développement des infrastructures de plus de USD 15 milliards.

Le travail des ingénieurs est-il reconnu par tous ?
Malgré le fait que l’ingénieur fournit des services de maintien de la vie, cette profession n’est pas reconnue comme il se doit. Pourquoi ? Est-ce parce qu’ils ne portent ni toge ni perruque, ni de manteau blanc ?

Pourtant, un ingénieur suit des études universitaires à temps plein pour une durée totale de six à sept ans. C’est une condition préalable à l’exercice de la profession d’ingénieur agréé. Les ingénieurs qui prennent soin de la santé de millions de personnes en fournissant des services essentiels estiment qu’ils méritent une meilleure reconnaissance.

Les directeurs devraient prendre compte de l’éducation et de la formation de l’ingénieur, et du fait qu’ils font de meilleurs gestionnaires avec leur éducation en sciences, mathématiques, économie et finances, mais aussi en matière de santé et de sécurité, ainsi qu’avec leurs compétences en communication et relations publiques, pour envisager sérieusement leur utilisation dans l’éducation et d’autres domaines.

Pourquoi les ingénieurs n’occupent-ils pas de postes au niveau politique ou en termes de prises de décision ? L’IEM reste cependant très optimiste sur le fait que les ingénieurs atteindront des sommets en raison de leur éducation spéciale et de leurs compétences lors que les choses deviendront difficiles, avec le défi du changement climatique. C’est une profession très engagée et qui est fière de servir la nation.

Le mot de la fin…
Je voudrais rendre hommage à sir Anerood Jugnauth, Premier ministre en 1992 et qui avait décrété le 13 septembre Journée nationale des ingénieurs, à l’occasion de la réunion du Commonwealth Engineers Council et de la soirée de gala organisée par l’IEM dans la salle Harilal Vaghjee, au cœur de la Maison du gouvernement. En conclusion, je voudrais vous laisser avec une chose à retenir, à savoir qu’il n’y a qu’une seule planète et qu’il n’y a pas de plan B. Si cette planète devient invivable, ce sera la fin de l’humanité. Nous devons tous comprendre cela. Chacun d’entre nous doit être conscient de sa responsabilité de conserver au moins la planète pour nos enfants et petits-enfants. Cela devrait être notre héritage.

« À l’époque, un “Engineer” en Anglais était également chauffeur de train. Pour faire la différence entre ce dernier et ceux qui construisent les ponts et chaussées, la loi sur les CRPE a été élaborée. Cette législation stipulait qu’un ingénieur doit faire quatre ans d’études universitaires et travailler pendant deux ans sous la direction d’un ingénieur avant d’être reconnu comme professionnel »

« Malgré le fait que l’ingénieur fournisse des services de maintien de la vie, cette procession n’est pas reconnue comme il se doit »

« Nous avons besoin d’une autre race d’ingénieurs ayant la capacité de résoudre des problèmes difficiles et trouver des solutions adaptatives et atténuantes. Raison pour laquelle l’IEM s’est lancé dans un projet visant à améliorer la formation en ingénierie »

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