Qu’est-ce que l’Indo-Pacifique ?

Les plaques tectoniques de la diplomatie mondiale sont en mouvement, ouvrant de nouvelles lignes de faille, faisant émerger de nouveaux corridors d’échange et de nouveaux espaces de confrontations. Le centre de gravité mondial atlantiste – qui a animé la majeure partie du XXème siècle – s’est déplacé depuis le début des années 2000 vers l’Est. Ce shift est tout autant économique, avec l’ascension fulgurante de la Chine, que politique avec le regain de fierté nationale – que ce soit en Chine ou en Inde – et la mise en avant d’un modèle de développement à tendance autoritaire et souverainiste se présentant comme une alternative au modèle libéral à l’occidental.

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Depuis cinquante ans, sous l’impulsion de Nixon et de Kissinger en 1972, les États-Unis ont fait le choix de la croissance chinoise contre la puissance russe, ce qui a produit – peu à peu – un désintérêt, un désinvestissement et un abandon symbolique de l’espace transatlantique devenu stratégiquement secondaire à partir de 1989. L’arrivée de Barack Obama à la présidence américaine, en 2008, inaugure une nouvelle phase pour la diplomatie américaine. Celle-ci se tourne résolument vers le pivot de l’Indo-Pacifique, les États-Unis devenant de plus en plus soucieux de contenir la puissance chinoise. Cette phase de réajustement de la stratégie mondialiste trouve d’ailleurs son point de rupture historique avec le retrait des forces américaines d’Afghanistan le 30 août 2021.

Il en ressort, de manière claire et lucide, que le XXIème sera animé par les trajectoires de collision entre les puissances américaine et chinoise, et l’espace Indo-Pacifique constitue la principale zone de contact des deux puissances. Depuis 2017, par exemple, les États-Unis placent la Chine en tête de ses inquiétudes nationales, devant le terrorisme djihadiste.

Il faudrait préciser ici que cette confrontation s’inscrit dans la droite lignée des conflits passés, et obéit à un enchaînement quasi mécanique de l’Histoire : celle de la rencontre d’une puissance ascendante et d’une puissance déclinante. Le politiste Graham Allison n’hésite d’ailleurs pas à parler ici du « piège de Thucydide », faisant référence à l’affrontement fondateur de Spartes et Athènes au Vème siècle avant notre ère.

Cette confrontation s’opère, dans notre région, dans tout un ensemble de domaines allant tout autant de l’économique, à l’infrastructure, au social et au culturel, en passant par des enjeux technologiques. La Chine se positionne comme une alternative crédible au modèle de développement proposé par les États-Unis aux pays émergents – et notamment aux pays de l’est du continent africain. Ainsi, le Belt and Road Initiative se présente comme l’alternative actuelle à la mainmise états-unienne sur les institutions financières globales, comme la Banque mondiale et le FMI. À travers ses grands projets et ses grands chantiers – notamment les chantiers portuaires, ferroviaires et routiers au Sri Lanka, au Pakistan, au Myanmar, au Kenya, en Ethiopie et au Mozambique pour ne citer que ces pays – la Chine se présente comme le partenaire stratégique au développement de ces pays, et à leur inscription dans un réseau de circulation des marchandises, des hommes et des capitaux, avec Pékin comme centre névralgique.

Parallèlement à cela, les vieilles alliances états-uniennes se consolident, à travers notamment une course relancée à l’armement et à l’accumulation des technologies. La récente volte-face de l’Australie par rapport à sa commande de douze sous-marins Barracuda à la France en 2016, au profit de sous-marins américains et britanniques à capacité nucléaire démontrent l’urgence avec laquelle certains acteurs de la région Indo-Pacifique veulent réaligner leurs capacités sécuritaires.

Paradoxalement, les interdépendances économiques et technologiques entre les États-Unis et la Chine sont tellement fortes – représentant près de USD 600 milliards échangés chaque année – que nous sommes vraiment dans un scénario sans précédent en réalité. Jamais dans l’Histoire du monde on avait connu une telle opposition, avec de tels potentiels de disruptions, mais entre deux puissances aussi interconnectées et dépendantes l’une de l’autre. Ceci suggère que des équilibres seront trouvés, même si le fossé grandira jusqu’à mettre le reste du monde face au choix entre deux visions différentes de la globalisation.

Le duel sino-américain a donc déjà lieu, mais il ne sera pas l’unique défi stratégique de notre région du monde. En effet, la cristallisation des deux blocs antagonistes coïncide avec une nouvelle multipolarité des relations internationales, avec l’ascension de l’Inde – plus lente et plus énigmatique que celle de la Chine – représentant un bouleversement presque aussi important de la géographie de notre région du monde.

L’affirmation de l’Inde est triple. Elle cherche à s’imposer au Cachemire, ce conflit restant la clef de voûte de ses intérêts par rapport au corridor Chine-Pakistan. Ensuite, l’Inde souhaite établir un équilibre de puissance dans la région, et notamment avec les pays qui sont tout autant limitrophes à la Chine qu’à elle-même. Enfin, l’Inde de Narendra Modi a parfaitement conscience de devoir se façonner un espace régional d’influence à sa mesure et entend devenir l’hegemon de l’océan indien.

Dès lors, la place de l’Inde dans le jeu des puissances de notre région est essentielle. D’elle dépend la capacité de plusieurs pays de conserver les équilibres dans leurs relations aux États-Unis et à l’Europe d’un côté, et un lien stable avec la Chine de l’autre. Nous prenons pour témoin de cette volonté et de ce rôle la multiplication des sommets sino-indiens depuis quelques années.

Qu’en est-il donc de Maurice ? Il est clair que nous sommes pris au milieu de ces immenses enjeux, avec un espace océanique de près de 2 millions de km2 situé au cœur de l’océan indien. Nous avons fait le choix de ne pas faire entrer notre pays dans le Belt and Road Initiative chinois, au profit d’accords commerciaux avec la Chine et l’Inde. Cette décision fut juste au regard des enjeux actuels, car elle nous permet l’indépendance dont nous avons besoin pour naviguer nos intérêts souverains dans ce nouveau monde qui se dessine. Il est également clair que nous devons user de nos relations spéciales avec des puissances considérées aujourd’hui comme descendantes pour nous – notamment la France et le Royaume-Uni – afin de pouvoir déployer une stratégie diplomatique solide et équilibrée à notre intention.

Si l’Indo-Pacifique est le terme servant à désigner un nouveau monde et de nouveaux espaces géopolitiques qui émergent, alors Maurice doit savoir avancer ses pions avec – pour objectif final – une vision régionale, diplomatique, économique, technologique, institutionnelle, sociale et culturelle renouvelée et résolument ancrée dans notre XXIème siècle déjà bien entamé.

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