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Quelques traits de la construction identitaire dans les sociétés des ‘îles sœurs’

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ZIBYA ISSACK

La Réunion et Maurice ont connu pendant près d’un siècle d’Histoire un développement d’importance similaire sur le plan économique pour la Compagnie des Indes dans une position stratégique sur la route des Épices. La civilisation de La Réunion se met en place cinquante ans avant Maurice. Dès le début du XVIIIe siècle, le métissage assure les premières lignées du peuplement. Selon Sudel Fuma, historien français et chercheur, il s’agit d’un métissage franco-indiano-malgache :

Qui aurait d’ailleurs eu le courage, à la fin du XIXème siècle et même au XXème jusqu’à la période de Michel Debré dans les années 1960, d’affirmer que la société réunionnaise avait à ses débuts une origine métissée franco-indiano-malgache et qu’elle était née de la rencontre d’aventuriers flibustiers, de pauvres Européens blancs « engagés » de la Compagnie des Indes, de femmes malgaches et indiennes devenues épouses légitimes des premiers colons et des esclaves issus des pays de l’océan Indien (Fuma 2013) ?

Si selon l’Histoire, les premiers métissages à La Réunion se sont faits assez facilement, tel n’a pas été le cas à Maurice. Suite à ce qui a été perçu comme des mélanges, selon l’administration de la Compagnie des Indes, le 1er décembre 1674, Jacob de La Haye signe une ordonnance qui clarifie le positionnement de l’État concernant les relations entre Noirs et Blancs. Si durant quinze ans, le métissage fut toléré à La Réunion, ne serait-il pas vite interdit par la flotte de colons de la Compagnie des Indes plus tard à Maurice ?

Contrairement à l’île de La Réunion, l’île Maurice aura donc connu deux administrations ; française et anglaise. Selon Chane-Kune, « l’occupation anglaise, dont l’issue ne sera pas la même pour les deux îles et qui est à l’origine de la séparation de leur destin, ne s’est pas accompagnée de réformes. L’organisation administrative intérieure et judiciaire mise en place par Decaen est quasiment maintenue en état. L’administration de Bourbon se fait toujours à partir de l’île Maurice. D’un point de vue commercial, c’est le régime du monopole de la Compagnie des Indes qui est appliqué ».


« Cousins, cousines, ôté la Réunion » !

On dit toujours que Maurice et La Réunion sont des ‘îles sœurs’ mais on surnomme les Réunionnais ‘cousins/cousines’. Des Réunionnais, je les ai croisés pour la première fois lorsque j’étais encore adolescente. Avec leur accent particulier, les Réunionnais vous impressionnent au premier abord. Ils vous font sourire la deuxième fois et vous arrachent des fous rires la troisième fois.

Mais ce qui m’a le plus marqué chez nos voisins/cousins/frères réunionnais, c’est leur capacité à se mélanger facilement. C’est un peu comme à Maurice, sauf que là-bas, toute peau semble incolore. Le repère identitaire des Réunionnais se rattache à leur île toute chaude, toute ensoleillée. Il ne s’agit pas d’un ‘bal masqué’ mais plutôt d’un pays qui démasque et qui dépasse les frontières épidermiques. Pour beaucoup de Réunionnais, il y a des idéaux à défendre. La population de La Réunion reste ouverte à l’hybridité. Les Réunionnais se côtoient facilement et sans aucune réserve. Ce qui les distingue donc c’est la réussite professionnelle et la situation financière et non la couleur de peau.

Le regard du Réunionnais…

DANYAL PATEL

La Réunion est surnommée « l’île intense ». Ce surnom est certainement le reflet de l’identité réunionnaise, caractérisée par un fonctionnement social atypique unique au monde. La Réunion marque n’importe quel esprit éveillé. Le métissage est omniprésent. Le vivre-ensemble est un patrimoine intergénérationnel en même temps qu’il est la fierté de la population. Sur L’île intense, quelles que soient la couleur de peau, l’origine ethnique, la religion de la femme et de l’homme réunionnais, toutes les communautés se côtoient et vivent en harmonie, sans que cela ne dérange et sans que cela ne soit étrange. Dès lors, l’éducation et la socialisation des enfants réunionnais sont inévitablement teintées de la culture de l’île. Cependant, il ne faudrait pas oublier que ce climat est le fruit de son histoire et que la situation actuelle est à pérenniser, car rien n’est définitivement acquis.

Après l’abolition de l’esclavage le 20 décembre 1848, la France a besoin de main-d’œuvre bon marché pour remplacer les esclaves, notamment dans les champs de canne à sucre. C’est là qu’arrivent principalement les hindous, les musulmans et les chinois avec un contrat d’engagisme. Les travailleurs débarquent avec un statut d’hommes libres. Or, la plupart du temps, les engagistes ne vont pas respecter les conditions de vie et de travail pour lesquelles les engagés ont signé au départ de leurs pays d’origine. Les engagés sont quasiment réduits à l’esclavage. Beaucoup ne pourront pas retourner sur leur terre natale et vont finalement compléter la population locale déjà existante, composée d’anciens esclaves, d’anciens engagés et de Blancs. Dans ce contexte d’éloignement à la patrie et à la famille, chacun se soutient et devient le frère de l’autre. Le vivre ensemble devient une nécessité, un moyen de survie et un ciment permettant de colmater la dislocation. Or, aujourd’hui ces raisons primaires ont disparu et personne ne peut garantir la pérennité de ce vivre-ensemble si des efforts conscients ne sont pas menés.

Dans ce monde moderne et l’apparition de la culture de masse (dont l’internet est le support), la diffusion des valeurs et des canons de conduites est hétérogène. Par exemple, la diffusion des idées racistes est bien présente sur internet. Alors, afin de prévenir une éruption intense de racisme, il est impératif que chaque parent et éducateur, expliquent aux enfants la nécessité d’entretenir de bons rapports avec toutes les communautés car rien n’est définitivement acquis. Une prise de conscience de ces réalités par tous les éducateurs et leur engagement pour transmettre l’histoire et les valeurs réunionnaises, apparaissent comme nécessaires pour sauvegarder l’identité de L’île intense.

Bibliographie

  • BOURQUIN, A. (2005), Histoire des Petits-Blancs de la Réunion – XIXe – début du XXe siècle, Paris  : Karthala.
  • CHANE-KUNE, S. (1993), Aux origines de l’identité réunionnaise, Paris  : L’Harmattan.

Entretien privé

Feu Sudel Fuma, historien et ancien conférencier à l’Université de la Réunion, entretien du 24 juin 2013 à Saint-Denis, île de la Réunion.

Article

FUMA, S. (2013), « Une relecture de l’Histoire de l’esclavage au cours du premier peuplement de l’île Bourbon à travers le mémoire d’Antoine Boucher 1663-1709 », Saint-Denis  : Université de la Réunion, p.8-17.

Ressource électronique

FUMA, S. (sudel.fuma@univ-reunion.fr), 24 juin 2013. RE  : Une relecture de l’histoire de l’esclavage au cours du premier peuplement de l’île Bourbon à travers le mémoire d’Antoine Boucher 1663-1709. E-Mail à Z.ISSACK.

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