Née de parents mauriciens en France, Prisca Thévenot, porte-parole et élue de la région île-de-France, est à Maurice actuellement. D’ailleurs, elle visite le pays aussi souvent qu’elle le peut. Jeune politicienne et ayant la responsabilité de parler au nom du gouvernement français, elle est sous les feux des projecteurs en France sur la gestion du Covid-19. En tant que jeune politicienne, elle dit faire face à des difficultés, notamment lorsqu’il s’agit de faire entendre sa voix. Mais pour elle, ces difficultés ne doivent pas être un frein. D’ailleurs, pour aider les jeunes Mauriciens qui souhaitent intégrer la politique, elle ouvrira bientôt une antenne de son association, Civil Impact, à Maurice.
Quel est le but de votre visite à Maurice ? Vous venez souvent à Maurice ?
J’essaie de venir le plus souvent possible, tous les deux ou trois ans. Je viens pour voir ma famille et me ressourcer. Cette année, plus particulièrement je suis en visite pour voir ma maman, Franco-Mauricienne, qui est à Maurice depuis le début de la crise sanitaire.
Plus qu’une destination touristique, Maurice est, pour moi, une destination de cœur. J’y ai vécu des moments importants : mon mariage, les baptêmes républicains de mes deux garçons et j’y ai aussi accompagné mon papa dans sa dernière demeure. Maurice sera à jamais une partie de moi. J’aime ce pays profondément.
Quels sont les changements que vous notez à chaque fois que vous venez ici ?
Il m’est très difficile d’être catégorique sur ce sujet car je ne viens pas assez longtemps à chaque fois et ce, même si je suis l’actualité à distance via ma famille et via les news en ligne. Maurice, comme beaucoup de pays dans le monde, fait face à la mondialisation, à ses bienfaits comme ses dérives. Malgré son jeune âge, je trouve que Maurice est un pays qui peut servir d’exemple dans beaucoup de domaines. Maurice peut, en effet, beaucoup apporter à nos démocraties plus âgées et dès que je peux, je la cite en exemple, notamment sur le vivre-ensemble et la capacité que les Mauriciens ont de voir le « différent — l’altérité » comme une force et non une menace.
Vous êtes porte-parole de LREM. Pensez-vous que les Mauriciens vous connaissent assez ? Que pourriez-vous dire sur vous et le travail que vous faites en France ?
Je suis, en effet, porte-parole de LREM (La République en marche) et élue de la région île-de-France. En tant que porte-parole du mouvement LREM, j’ai la charge de porter dans le débat public la voix de notre mouvement politique LREM, de défendre et d’expliquer l’action du gouvernement : je suis donc amenée à m’exprimer régulièrement dans les médias (presse écrite, TV et radio).
Je participe aussi à des travaux de réflexion au sein du mouvement LREM sur des sujets que nous porterons auprès de nos élus (parlementaires, élus locaux) et du gouvernement. Par exemple, au moment de la préparation du texte sur la loi renforçant les principes républicains, j’ai participé activement aux travaux au sein du mouvement. J’ai ensuite eu l’honneur de présenter les propositions du mouvement à certains des ministres chargés de la préparation de ce projet de texte de loi dont Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, Marlène Schiappa, ministre en charge de la Citoyenneté et Jean-Michel Blanquer, ministre de l’Éducation nationale.
Et il me faut être à l’écoute et à la disposition de toutes celles et ceux qui ont des interrogations/remarques à faire sur l’action du gouvernement ou la position de LREM. J’essaie d’y apporter des réponses et/ou d’interpeller nos députés ou ministres le cas échéant. Je ne sais pas si les Mauriciens me connaissent assez mais je tiens ici, si vous me le permettez, à remercier du fond du cœur celles et ceux qui me contactent via les réseaux sociaux pour me dire qu’ils sont fiers et heureux de voir quelqu’un de la communauté mauricienne dans le champ politique. Je prends grand soin de répondre à tout le monde et j’espère que suivant les quelques conseils que je peux donner, certaines et certains se sentiront l’âme de s’engager également.
Notre petite île est durement frappée par le Covid-19. Nos secteurs économiques sont secoués. Avez-vous suivi la gestion de la situation sanitaire à Maurice ? Si oui, pensez-vous que nous avons bien fait ?
Tout comme le reste du monde, la pandémie a durement touché l’île Maurice qui a dû fermer ses frontières aux touristes. Or, avant l’épidémie, le tourisme et l’hôtellerie représentaient à eux seuls plus de 20 % du PIB et près d’un quart des emplois, je crois. Ainsi, de nombreux secteurs de l’île attendent avec impatience le retour plein et complet des touristes.
Je les comprends comme je comprends aussi la position du gouvernement. Aucune réouverture ne pourra être pérenne si le pays connaît une flambée épidémique. Je salue donc la démarche du gouvernement qui consiste à rouvrir progressivement en s’adaptant à l’imprévisibilité constante de ce virus. La progressivité est la démarche que nous adoptons également en France.
Y a-t-il des leçons que nous pouvons apprendre de la France dans la gestion de la pandémie ?
Je suis le porte-parole du mouvement politique LREM, mais permettez-moi de répondre à cette question à titre personnel. La meilleure leçon, je pense, est de partir du principe que rien n’est acquis et qu’il ne faut surtout s’engager sur aucun calendrier précis de fin de crise tout en gardant en ligne d’horizon un double objectif : tout faire pour éviter les malades et les décès tout en préservant l’unité de la nation. Nous devons faire en sorte qu’au drame humain ne s’ajoute pas un drame démocratique.
En France, nous avons réussi, grâce à cette crise, à nous remettre en cause sur un certain nombre de sujets, notamment le besoin de réinvestir massivement dans notre système de soins. Si cette crise nous a bouleversés, apprenons à écouter les leçons qui en découlent. Notre humilité doit être absolue et notre détermination pour en venir à bout n’en sera que plus grande.
Les politiciens ont aussi été très critiqués sur la gestion de cette maladie. Quelle a été votre expérience ?
Le Covid-19 a bouleversé nos vies, nos sociétés en profondeur. Le monde entier a dû apprendre à vivre avec et à faire face à cette crise que personne n’aurait pu imaginer. Il est toujours facile de réécrire l’histoire une fois qu’on a lu le livre et de se laisser bercer par les sirènes du « nous aurions mieux fait, nous n’aurions pas fait cela ainsi, etc. ». Gérer une crise de cette ampleur, c’est prendre des décisions importantes, pas faciles, mais dans l’intérêt de tous. La force de nos responsables politiques est justement de savoir prendre ce genre de décisions et ce, en dépit du fait que cela peut être mal perçu dans un premier temps dans l’opinion publique. Nous attendons de nos politiques qu’ils soient responsables et je pense qu’en France comme à Maurice, ils l’ont été.
En tant que politicienne, suivez-vous les élections à Maurice ?
Oui, tout à fait. J’ai notamment suivi le sujet de la mise en place du vote électronique pour la diaspora et la volonté de moderniser le système de participation. L’île Maurice est une jeune démocratie qui n’a pas à rougir sur les sujets de notre temps : démocratie participative, abstention, etc.
En tant que jeune politicienne, est-ce facile de faire entendre sa voix ?
Soyons honnêtes, la réponse est dans la question : non, cela n’a pas été facile et je continue à me battre par moments pour continuer à faire entendre ma voix. Est-ce que les difficultés doivent être un frein ? Je ne crois pas. En tant que femme, jeune, mère de famille, enfant d’immigrés, sans aucun réseau en politique… je cumule pas mal de freins, mais difficile ne doit jamais rimer avec impossible.
Quels sont les conseils que vous pourriez donner aux jeunes Mauriciens qui souhaitent intégrer la politique ?
Mon premier message sera de leur dire la vérité : ce ne sera pas facile. Une fois que cela est dit, je pense qu’il s’agit de leur dire que le plus important est de savoir pourquoi ils souhaitent s’engager : pour une cause en particulier, pour porter un projet précis, une association, etc. Une fois qu’ils auront déterminé cela, il s’agit de savoir s’entourer. Je suis profondément convaincue qu’il n’est jamais très sain, très efficace de considérer qu’on peut tout faire tout seul. Le collectif est important : pour s’entourer de compétences que l’on n’a pas forcément soi-même et aussi pour affronter les turbulences éventuelles.
Bref… vous l’aurez compris, je pourrais parler de cela pendant des heures tellement ce sujet me passionne, me tient à cœur. Il me tient tellement à cœur que j’ai cofondé il y a maintenant cinq ans une association, Civil impact, dont le but est de former gratuitement les leaders politiques de demain (lien : https://www.civil-impact.com (https://www.civil-impact.com/).
En bientôt cinq ans, nous avons formé plus de 400 personnes, nous avons une dizaine d’élus et 20 projets associatifs ont vu le jour et opèrent sur toute la France et sur des sujets divers (droits des femmes, environnement, démocratie participative, etc.). Ces chiffres sont à considérer uniquement à l’échelle de l’île-de-France.
Nombreux sont ceux qui sont un peu « dégoûtés » de la politique à Maurice. Comment faire la politique autrement pour que les jeunes ne perdent pas espoir ?
Au-delà de ce que je viens de dire sous la question précédente, j’invite tous ceux qui le souhaitent à me contacter via les réseaux sociaux (Instagram ou Twitter). Je vais, en effet, essayer d’ouvrir une antenne de mon association pour Maurice : tout sera fait via Internet et par visioconférences dans un premier temps et tout sera bien évidemment gratuit.
Il n’est, en effet, pas facile de s’engager en politique : il y a des codes tacites à connaître, des réseaux à avoir… et à l’heure où la politique désintéresse, nous devons permettre à toutes et tous de retrouver le chemin de l’engagement. Trop souvent la politique a été un cercle fermé. Je suis convaincue qu’il faut à tout prix l’ouvrir au plus grand nombre, autrement nos démocraties finiront par mourir sous le poids de l’abstention grandissante. La voix de chacun compte, et il faut « simplement » apprendre à la rendre audible.
Pensez-vous que critiquer ses adversaires politiques est toujours un moyen efficace de se faire élire ?
Merci pour cette question qui permet, en effet, de poser simplement les choses et de prendre de la hauteur. Vous soulevez, en effet, la raison pour laquelle, selon moi, les liens entre les politiques et les citoyens se tendent de plus en plus. Les politiques se parlent entre eux, se querellent… oubliant que le principe même de leur mission est de représenter, de porter des projets de société, et donc de parler avant tout aux citoyens.
Bien évidemment, les débats politiques doivent exister et sont nécessaires, mais nous ne devons pas nous contenter de résumer le discours politique à cela. D’ailleurs, lors de cette crise sanitaire, je n’ai eu de cesse de rappeler en France que nous devions aborder cela ensemble, de façon non partisane. Certains contextes nécessitent l’union absolue et la survie de nos modèles démocratiques en fait partie.
Que pensez-vous de la revendication de la souveraineté de Maurice sur Diego Garcia ? Pourquoi la France s’est-elle abstenue la dernière fois lors du vote aux Nations unies pour la décolonisation complète de Maurice ? Que pensez-vous sur le litige opposant Maurice et la France sur Tromelin ?
Sur ces deux sujets, en tant que porte-parole d’un mouvement politique, il est difficile de me prononcer car je ne connais pas les détails précis de ces dossiers.
Notre compagnie d’aviation nationale se trouve dans une situation très difficile. La France, en tant que premier partenaire économique de Maurice, peut-elle aider à redresser la compagnie ?
Les relations franco-mauriciennes sont fortes, solides et fraternelles. Nos histoires sont liées, nos peuples aussi. Je ne peux pas me prononcer en tant que porte-parole d’un mouvement politique sur l’avenir de la compagnie Air Mauritius, mais je peux vous dire à titre personnel que j’espère que cette dernière continuera de nous transporter encore longtemps : aussi bien pour les emplois directs et indirects concernés mais aussi pour l’image que la compagnie reflète et que je tiens à saluer ici. J’ai cru comprendre, en lisant la presse, que le gouvernement mauricien suivait ce dossier avec attention en tant qu’actionnaire majoritaire. Je suis certaine que les décisions les plus justes seront prises.
Nous ouvrons nos frontières progressivement. Quelle est la politique de la France par rapport aux voyages des Français ?
Du fait de la circulation du virus et de ses variants, toute entrée et toute sortie du territoire français est encadrée : une classification des pays/territoires est définie et régulièrement actualisée par le gouvernement en fonction de la situation sanitaire.
À ce jour, la classification est la suivante : pays/territoires « verts » : pays/territoires dans lesquels aucune circulation active du virus n’est observée et aucun variant préoccupant n’est recensé ; pays/territoires « orange » : pays/territoires dans lesquels on observe une circulation active du virus dans des proportions maîtrisées. Il s’agit de tous les pays/territoires n’étant pas inclus dans les listes des pays/territoires « verts » et « rouges » ; pays/territoires « rouges » : pays/territoires dans lesquels une circulation active du virus est observée avec une présence de variants préoccupants. Les modalités des déplacements en provenance ou à destination du territoire français dépendent de cette classification et de la vaccination des voyageurs.
La France soutient Maurice sur la cause environnementale. Que pensez-vous des dégâts causés par le naufrage du Wakashio l’année dernière ?
Quand j’ai appris pour ce naufrage, ma première réaction a été la stupeur, puis la panique à l’idée que notre beau lagon puisse souffrir des conséquences de ce désastre. Très vite, j’ai pu voir (via les réseaux sociaux et les chaînes d’information), la mobilisation impressionnante des Mauriciens. Je tiens ici à saluer leurs actions. Les chaînes humaines que nous avons encore tous en tête ont fait le tour du monde et ont montré à nouveau que quand Maurice est touchée en son cœur, la nation répond unie et soudée.
Ensuite, il convient de rappeler que Maurice est un Etat indépendant et souverain, et que le gouvernement français ne pouvait intervenir que sur demande du gouvernement mauricien. Pendant la crise du Wakashio, la France a soutenu des options alternatives à l’océanisation de la proue du navire. Elle a toutefois exprimé des recommandations dans le cas où la République de Maurice déciderait finalement de couler la partie avant du navire qui, dans tous les cas, ne contenait plus qu’une quantité très négligeable de produits polluants.
Deux conditions devaient être réunies pour définir cette zone : pas d’impact sur la biodiversité de l’océan et pas d’impact sur les routes commerciales. Dans ces conditions, la zone finalement choisie par les autorités mauriciennes, conforme aux recommandations françaises, préserve le trafic maritime et limite considérablement les risques potentiels d’atteinte à la biodiversité.
Depuis le naufrage du Wakashio, et tout particulièrement suite à l’océanisation de sa partie avant, la surveillance de la zone des Mascareignes a été renforcée. La zone fait ainsi l’objet de clichés satellitaires quotidiens, à différentes échelles géographiques, afin de détecter tout signe de pollution. Plusieurs dizaines de clichés ont ainsi été pris depuis l’océanisation. À ce stade, aucune pollution n’a été détectée.
Selon vous, quels pourraient être les nouvelles avenues de coopération entre Maurice et la France ?
Les relations entre la France et Maurice sont très riches et fortes. D’abord, économiquement, la France est le troisième partenaire commercial de l’île, son premier client en termes d’exportations, son premier investisseur étranger (avec 170 entreprises françaises, dont une quarantaine originaire de La Réunion), son premier pourvoyeur de touristes en 2019, etc.
En termes d’aides publiques, l’Agence française de développement est le premier créancier de Maurice et le deuxième bailleur à prêter directement aux entreprises publiques. Cette relation s’étend aussi au secteur de la formation, de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la recherche, avec des coopérations interuniversitaires et des programmes de bourses. La coopération universitaire et de recherche est soutenue, avec la mise en œuvre en 2020 du réseau des études françaises à Maurice, fédérant l’offre supérieure française et assurant sa promotion en Afrique et dans l’océan Indien, et la formalisation en 2019 du partenariat Hubert Curien (mobilité des chercheurs).
La France soutient aussi à Maurice, à travers l’Agence pour l’enseignement du français à l’étranger, un réseau d’écoles françaises d’excellente réputation (cinq établissements, 5 000 élèves, aux deux tiers ayant la nationalité mauricienne). Je pense que nous devons poursuivre sur ces voies, en les intensifiant notamment sur le volet de l’éducation et des relations entre nos jeunes, en permettant des ponts toujours plus fluides pour l’aide aux jeunes étudiants venant en France depuis Maurice pour suivre leurs études universitaires.
À ce titre, et dans la lignée des ambitions du président Emmanuel Macron, je suis en train de lancer tout un programme de mentoring à destination des DOM TOM dans un premier temps — programme que je souhaite étendre en dehors des territoires français pour que chaque jeune qui le souhaite puisse en bénéficier.
Sur les sujets environnementaux, Maurice a très vite compris que ceux-ci ne pouvaient être pris à la légère. Et je suis convaincue que nos relations doivent s’intensifier pour le partage des meilleures pratiques/recommandations/expérimentations conjointes.