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Pour la première fois à Maurice : des laitues produites grâce à… l’intelligence artificielle

Un groupe d’entrepreneurs – comprenant Georges Chung, Beas Cheekooree, Harold Lai, Christna Hosanee, Mario Gébert et Vishal Seeboruth – a lancé pour la première fois à Maurice un projet de Container Farm, qui consiste à utiliser l’intelligence artificielle dans un conteneur « intelligent » spécialement conçu pour les activités agricoles. « C’est non seulement une première à Maurice, mais une première dans la région », souligne  Beas Cheekooree.

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À Gros Cailloux vendredi dernier en compagnie de membres de son équipe, il explique que les conteneurs sont contrôlés par des logiciels capables d’adapter le taux d’humidité, la température, l’irrigation et la lumière sans l’utilisation de pesticides.

« Grâce à ce système, on peut produire des légumes n’importe où. Dans la cour, sur un parking, etc. Et ce, sans gêner personne », ajoute-t-il. La première récolte de laitues a d’ailleurs lieu ces jours-ci. Chaque conteneur, de 40 pieds chacun, est en mesure de produire 4 000 à 5 000 laitues en six semaines.

« Nous avons choisi de produire des laitues haut de gamme, qui ne sont pas produites à Maurice, à savoir la Salanova. Elles seront dans un premier temps distribuées par un grossiste. Nous espérons pouvoir fournir les hôtels après l’ouverture des frontières et les supermarchés d’ici la fin de l’année », explique pour sa part Harold Lai.

Ce projet nécessitera des investissements de l’ordre de Rs 30 millions et comprendra six conteneurs. Trois autres arriveront prochainement. Georges Chung a accepté de donner davantage de détails sur le projet.

Georges Chung, vous procédez à une première récolte de laitues. En quoi sont-elles différentes de celles que l’on trouve sur le marché ?

Je ne fais que réaliser ce que j’ai toujours prêché sur ce que la technologie peut faire pour de petits pays comme Maurice pour innover son appareil productif. À savoir changer de fond en comble la manière de produire un bien, agricole ou pas, et dans le même souffle augmenter la productivité de nos ressources rares.

Les laitues que mes amis et moi récoltons en ce moment sont de qualité inédite. Elles sont produites dans des conditions idéales en termes de température, de quantité d’eau et de nutriments. Mais, surtout, elles sont complètement dépourvues de pesticides. En conséquence, ces laitues ont une durée de vie rallongée dans les rayons.

Le pays ne survivra au Covid-19 que si on innove notre machine économique, que ce soit dans l’agriculture ou dans les autres secteurs. Après avoir écrit mon livre, intitulé Vaccinons notre économie, au lendemain du premier confinement, dans lequel je fais la part belle sur ce que l’Intelligence artificielle peut faire, on en fait aujourd’hui la démonstration sur le plan pratique.

Ces conteneurs ont-ils été fabriqués spécialement pour vos besoins ?

Ce sont des conteneurs tout à fait normaux au regard, autrement dit comme vous en voyez tous les jours sur ces camions mastodonte circulant sur nos routes. Sauf qu’ils sont dotés de puissants ordinateurs et de puces électroniques, ainsi que de tuyaux pour canaliser l’eau et les nutriments réglés par les logiciels mis au point par des scientifiques, notamment dans le domaine agricole.

Ces conteneurs sont préfabriqués par leurs inventeurs, dans le cas présent d’origine américaine, puis ont été testés et expédiés à Maurice, avec tous les aléas du voyage par bateau. Les deux conteneurs sont arrivés il y a deux mois plutôt amochés. Nous les avons remis en bonne condition grâce au dévouement de mes amis.

Comment les avez-vous aménagés ?

Il fallait trouver un endroit sécurisé d’abord. Puis s’assurer que les puces, les tuyaux et les ordinateurs fonctionnent comme il faut. Ensuite se mettre en ligne avec les inventeurs américains avant de mettre en semence les graines de laitues. Deux de mes partenaires très compétents ont parfaitement exécuté tous les protocoles techniques avant d’arriver à cette première récolte après six semaines.

L’IA peut donc créer un environnement propice pour la production agricole ?

Il n’y a rien d’extraordinaire à comprendre ce qu’est l’intelligence artificielle (IA). C’est une science qui consiste d’abord à recueillir toutes les données par rapport à un projet. Ces données sont ensuite traitées et analysées par des machines informatiques. Plus on leur fournit de données, plus ces machines arrivent à apprendre, jusqu’à vous prédire les solutions optimales.

Pour la première fois depuis des années, il y a de nouvelles opportunités qui attireront les investisseurs à Maurice. Si la terre agricole peut donner lieu à disons 50% de rejets lorsqu’il s’agit de planter des laitues par exemple, l’IA peut les réduire à moins de 10%. Avec la qualité en prime. Comme je vous le disais, on n’a plus besoin de pesticides.

Outre les semences de laitues, qu’avez-vous utilisé d’autre comme matières premières ?

On a les mêmes besoins que si on semait les graines dans un champ. Pour les arroser, ce sont les tuyaux réglés par l’informatique qui fait le travail. C’est le cas pour les nutrients. Puis ce sont les ordinateurs qui créent le climat idéal, selon la longueur des pousses. L’intelligence artificielle détermine les conditions idéales en amont, puis le protocole à suivre.

Comment suivez-vous la progression des plantes ?

Il suffit d’une personne ou deux, formées au protocole, pour suivre la progression des feuilles. S’il y a une diversion par rapport au protocole, elle indiquera une erreur quelque part dans la programmation des ordinateurs, qui sera corrigée immédiatement

Cette expérience peut-elle être reproduite sous serre ou ailleurs ?

On peut d’ores et déjà prévoir que l’agriculture du futur, disons vers 2035 ou 2040, sera faite dans les bâtiments comprenant plusieurs étages et que la sécurité alimentaire pour chaque pays pourra être réalisée grâce à l’application tous azimuts des technologies, surtout celles fondées sur les puces intelligentes, et dont les données seront traitées par l’intelligence artificielle pour des productivités jamais atteintes auparavant.

Se dirige-t-on vers une production agricole à grande échelle en utilisant l’intelligence artificielle ?

La prochaine étape de notre équipe consistera à faire la même chose cette fois avec des carottes et des brèdes tompouce. Sur papier, on peut produire n’importe quoi. Il suffit de modifier et d’adapter les protocoles selon les données fournies par les ordinateurs.

Dans une vingtaine, voire une quinzaine d’années, lorsque l’agriculture traditionnelle n’intéressera plus personne, l’agriculture informatisée prendra la relève avec encore plus de dynamisme.

Vous ne vous contentez pas de parler de l’IA, à laquelle vous consacrez une cinquantaine de pages dans votre livre, car vous mettez aussi vos idées en pratique, n’est-ce pas ?

Même si je suis de formation relevant des sciences économiques, l’entrepreneuriat a toujours été mon gagne-pain. Sauf les années passées, où j’ai été enseignant en économie et conseiller économique. Pendant plusieurs décennies, mes entreprises ont survécu et grandi grâce à l’enchaînement de technologies successives dans les domaines de l’imprimerie et de l’édition, ainsi que dans le textile.

Aujourd’hui, c’est au tour de l’intelligence artificielle de déterminer quelles seront les entreprises qui survivront et celles qui disparaitront. Mon livre, Vaccinons notre économie, a pour vocation de stimuler la pensée de nos décideurs politiques et de toutes les entreprises de notre pays afin de mettre en pratique l’avènement de l’IA. Je l’ai imprimé et distribué. Il est toujours disponible gratuitement sur le net en téléchargement.

Etes-vous disposé à commercialiser vos idées à Maurice ?

Pour moi, l’esprit d’entreprise a pris une formule différente pour mieux cibler l’intérêt de mon pays, surtout pour nous refaire une santé sur le plan de l’économie. Ce projet de laitues se veut un message puissant pour nos décideurs, à savoir que le Covid-19 est un point de départ inouï pour porter notre société plus haut et plus loin. Mes associés décideront s’ils veulent commercialiser ce projet et comment.

Lors du précédent budget, le ministre des Finances avait annoncé la création d’un Deep Artificial Intelligence Centre, qui fournirait le soutien nécessaire aux ֧Start-up, aux opérateurs économiques et aux services gouvernementaux pour opérer une « transformation numérique majeure ». Mais le budget de cette année n’en fait aucune mention. Où en sommes-nous ?

Je ne sais vraiment pas. Cela fait trois ans que j’ai quitté mon rôle de conseiller. J’avais travaillé avec l’EDB et des experts en informatique sur un document portant sur l’IA avant mon départ pour en faire une véritable stratégie de croissance et de développement économique.

Je pense que, suite à l’annonce budgétaire, il y aura un conseil sur les technologies émergentes. Mais le temps presse et tous les grands pays, et même certains pays d’Afrique, ont déjà une stratégie axée sur l’IA et que le Covid n’a pu ralentir. C’est pour vous dire les enjeux…

Avant l’apparition du coronavirus, vous aviez essayé d’introduire l’IA au niveau de l’industrie sucrière. Quel intérêt cela avait-il suscité ?

Il y a deux ans, avec l’aide d’un expert indien, j’avais proposé dans un plan d’action bien ficelé la mise en œuvre d’un projet pilote dans le Sud du pays afin de démontrer les gains de productivité possibles dans l’application de l’IA en ce qui concerne la culture de la canne.

Mais mon projet s’est heurté aux exigences de la procédure par rapport aux lois du pays. Du coup, tout en restant dans le domaine de l’agriculture, je me suis lancé dans la production de légumes !

Dans quels domaines l’IA peut-elle aussi être appliquée ?

Mon livre fait état de long en large de tout ce qui peut être réalisé, même dans le court terme. Je n’invente rien, tout en faisant la démonstration que pour sortir de la présente crise sanitaire, de nouvelles activités économiques sont possibles, à condition que nous sachions moderniser les secteurs traditionnels, a savoir le tourisme, l’agriculture, l’industrie et les services financiers, mais aussi innover pour de nouveaux piliers économiques, comme l’énergie verte du solaire et de l’éolien, les nouvelles technologies en soutien à l’éducation et à la médecine, en valorisant le tourisme et l’exploitation raisonnée d’un domaine maritime considérable. Autant de pistes de progrès qui ont en commun l’utilisation des données rendue possible par l’IA. On est dans l’obligation de prendre ces virages.

L’IA peut-elle devenir à terme un pilier économique ? Comment créer l’environnement approprié, notamment en matière de formation ?

Je pense qu’il faut d’abord être sensibilisé. J’ai toujours cru que des Rs 60 milliards mises à la disposition des entreprises dans le cadre du Covid, il aurait fallu consacrer une bonne part à l’obligation de l’innovation par les technologies nouvelles. Puis je pense que les universités tertiaires doivent faire preuve d’audace dans la matière pour secouer l’imagination.

Peut-on attirer les investisseurs étrangers dans ce secteur ?

Comme toujours, l’apport des étrangers, les vrais connaisseurs en la matière, est primordial. Je vous avoue que beaucoup sont en attente d’un signal fort.

Comment la prochaine arrivée de la 5G peut-elle contribuer à vulgariser l’IA à Maurice ?

La 5e génération des bandes passantes va grossir de manière exponentielle les flux des données. Savez-vous par exemple que les voitures intelligentes, sans chauffeur, en dépendent beaucoup ? C’est pour vous permettre de vous faire une idée des enjeux économiques de la 5G…

Propos recueillis par

Jean Marc Poché

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