Postures et impostures

En ces temps obscurs, où l’avenir apparaît toujours plus incertain, l’une des rares convictions qu’il nous reste – et c’en est réellement affligeant –, c’est que rien ne sera jamais plus comme avant. En atteste le thermomètre, qui ne cesse de s’affoler aux quatre coins du globe. Ainsi, dans l’hémisphère nord, l’été 2024 aura battu de nouveaux records de chaleur, entraînant dans son sillage des canicules meurtrières et des périodes allongées de sécheresse. Sans compter les autres désormais habituelles calamités que sont les inondations et les feux de forêt. Le tout résultant d’un réchauffement climatique contre lequel l’humanité semble de plus en plus impuissante. « Semble », tant il est tout aussi évident que le dossier n’aura jamais reçu la considération qu’il mérite, nos dirigeants y préférant des objectifs plus court-termistes.
Sapiens en est en effet persuadé : son génie légendaire et son extraordinaire faculté à s’adapter aux situations les plus extrêmes finiront tôt ou tard par payer. Aussi, pas question de transiger, que ce soit avec les experts ou, plus généralement, avec le climat, de qui on a depuis fait « l’ennemi à abattre ». Ce faisant, l’humanité s’est donc engagée dans une dangereuse partie de poker dont elle risque de bientôt faire les frais. Autant dire que la croissance, l’exploitation des ressources naturelles et la surproduction ont encore de beaux jours à couler. Après tout, « on ne change pas une équipe qui gagne », n’est-ce pas ?
La posture semble évidente, même si l’on tentera malgré tout, le temps de quelques réunions au sommet et d’épisodiques discours grandiloquents, de la diluer dans un océan d’intentions bienveillantes. Combien par exemple de pays ayant ratifié l’accord de Paris en 2015 ont-ils ne serait-ce qu’élaboré un plan d’action en ce sens depuis ? Ne cherchez pas trop loin, ils se comptent sur les doigts d’une main. Pourtant, jamais un accord climatique n’aura été aussi plébiscité. Preuve donc d’un manque certain de volonté à vouloir changer les règles d’un système si magnifiquement bien huilé. Et tant que le « vert » que nous promettons d’insuffler dans nos activités ne sera pas du même éclat que celui de nos billets, rien ne changera cette triste réalité.
Et que l’on ne s’y trompe pas : si les pays les plus énergivores sont par essence les plus à blâmer, les nations les moins polluantes ne sont pas pour autant moins responsables de l’actuel statu quo. C’est notamment le cas des Petits états insulaires en développement, dont fait partie Maurice. Ainsi, pour prendre notre seul cas, le fait que notre participation au dérèglement climatique soit aussi insignifiante ne devrait aucunement nous dédouaner des effets délétères de nos actions. En d’autres termes, ces choix que nous faisons en matière de développement sont faits en pleine conscience, et nous ne pouvons donc feindre d’en ignorer les conséquences.
Pourtant, Maurice, pour rappel, aura été l’un des premiers pays signataires de l’accord de Paris à la sortie de la COP21. De facto, nous acceptions de collaborer au mouvement global visant à contenir le réchauffement climatique sous la barre des +1,5 °C par rapport à l’ère préindustrielle. Or, près de dix ans plus tard, que constatons-nous ? Non seulement nous n’aurons pu déployer un taux convenable (et soutenable) de sources d’énergie propre, pas plus d’ailleurs qu’élaborer une stratégie soutenant l’autosuffisance alimentaire – y préférant notamment un « métro » et des développements infrastructurels tous azimuts –, mais nous sommes aujourd’hui en passe de nous lancer, avec nos frères seychellois, dans la prospection pétrolière. Cette démarche à elle seule prouve, s’il le fallait encore, que l’intérêt immédiat prime encore et toujours sur notre survie future.
Ce seul exemple est une fois encore d’autant plus parlant que Maurice ne représente que peu de chose en matière d’émissions de gaz à effets de serre. Sauf que, à imaginer que notre zone économique exclusive de 1,9 million de km2 (l’une des plus vastes du monde) recèle un véritable potentiel pétrolier, et que nous puissions à termes fournir le monde entier en or noir, nous serions dans le même temps en contradiction flagrante avec nos engagements environnementaux. Avec pour résultat de réduire à néant le peu d’efforts consentis pour une structure sociétale « écolocentrique ».
Cette instrumentalisation politique est d’autant préjudiciable qu’elle n’est finalement que le reflet de la volonté d’une poignée de nantis et d’affairistes. Tant que l’intérêt des quelque huit milliards d’autres individus sera ignoré, et que sera détournée l’idéologie environnementale au profit de la quête de bénéfices immédiats, leur posture écologique continuera de se révéler n’être en finalité qu’une des plus grandes impostures du monde moderne.

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Michel Jourdan

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