Elle a connu plusieurs carrières en France avant de poser ses valises à Maurice il y a 11 ans. Engagée dans l’enseignement d’arts plastiques au Lycée des Mascareignes, Julia Carosin est en première ligne des projets visant à mettre en valeur Tamarin, son village d’adoption.
Qui est Julia Carosin ?
Je suis artiste-peintre, muraliste et professeur d’arts plastiques au Lycée des Mascareignes à Moka. Je suis franco-mauricienne par mon papa. La famille était toujours en vacances pour rendre visite aux proches et elle habite Tamarin pendant deux ans. Je pense que ce sont les années que j’ai passées ici qui ont marqué mon coeur et ma vie. Je me suis sentie mauricienne.
Quand je suis venue il y a 11 ans pour des vacances, je ne m’imaginais pas ailleurs qu’à Tamarin. Je ne suis jamais repartie. J’ai enchaîné les boulots dans le domaine du visuel merchandising et de la décoration, puis j’ai eu cette opportunité au lycée. Cela fait six ans maintenant que je suis prof et j’adore ce métier de professeur d’arts plastiques au lycée. Cela me permet de transmettre ma passion, de la partager et de voir l’évolution des élèves.
C’est très gratifiant et stimulant. Donc, je suis à Tamarin depuis 11 ans. C’est un endroit que j’aime et où je me sens comme chez moi. Aujourd’hui, j’ai une fille de cinq ans. Je suis fière et reconnaissante de la voir grandir et évoluer dans cet environnement au pied de La-Tourelle et du Rempart.
Votre père est mauricien et votre mère est née en France de parents d’origine italienne ayant vécu en Tunisie. Vous considérez-vous comme citoyenne du monde ?
Effectivement, je me considère comme une citoyenne du monde. Chez nous, pour le repas dominical, c’était curry de poulet, couscous ou pizzas géantes. J’ai trois frères et avec ses origines italiennes, ma maman faisait toujours les choses en grand ! (blague). Donc j’ai toujours eu cette envie d’ailleurs.
Lorsque j’étais petite, nous avons pas mal déménagé. Déjà de pays, France à Maurice, mais aussi de villes en France et de maison en maison dans le même village où nous habitions. Je me suis toujours dit que je pouvais me sentir bien car partout il y a des gens bien partout. C’est à moi de créer mon cocon.
Où avez-vous fait vos études ?
À 18 ans, en 2000, je suis allée à Montpellier, dans le Sud de la France. Ce n’était pas très loin de chez moi, mais j’étais quand même en cité universitaire. J’ai fait l’école d’architecture pendant un an et demi. Malheureusement, je suis tombée sur un directeur très strict et sévère. Mon bac littéraire et les arts plastiques n’ont pas suffi. Mes compétences dans les matières scientifiques n’étaient pas assez solides. J’étais bonne en concept, mais les cours de structure et de physique des matériaux étaient trop durs pour moi. J’ai ensuite continué avec une mise à niveau en arts appliqués en 2002 où je me suis vraiment éclatée. Il y avait énormément de travail, mais j’aimais tout ce que je faisais là-bas. Je me sentais à ma place et dans mon univers.
J’ai continué avec un BTS en communication visuelle que j’ai arrêté pour des raisons personnelles et familiales. Mes parents ont divorcé. Cela a été très compliqué à gérer avec mes frères qui étaient petits. Je me suis retrouvée dans une position délicate. Ce n’était pas si simple à vivre. Cette même année, j’avais commencé à travailler dans une pizzeria au nom très connu. J’avais emménagé avec mon petit copain dans un appartement et nous devions participer aux frais et aux dépenses bien sûr. Mais cela faisait beaucoup pour une jeune femme. J’ai bossé quelques années dans cette pizzeria. D’hôtesse d’accueil, je suis passée à la confection de pizzas, puis suis devenue assistante manager.
Puis, j’en ai eu marre. Ce n’était pas ma vie ! Je me suis inscrite à une formation diplômante de visuel merchandiser (concepteur d’espaces commerciaux et d’événementiels), à laquelle j’ai eu une petite mention. Avec deux autres amis de la formation, nous avons créé une compagnie. Pendant un an, nous avons opéré ensemble, puis j’ai continué seule pendant deux ou trois ans. Nous avions des contrats avec des chaînes d’opticiens. J’avais 16 magasins pour lesquels je changeais la décoration tous les mois à un mois et demi. J’habitais toujours Montpellier, mais les magasins se trouvaient dans d’autres régions. Donc, je faisais énormément de route ! J’avais jusqu’à quatre à cinq heures de route pour me rendre sur place. C’était toute une organisation. Je dormais dans un hôtel et dans une ville différente chaque soir pendant plusieurs jours. J’étais jeune, c’était une belle expérience. Mais j’ai eu un souci de santé qui m’a fait réfléchir et je ne voulais plus de cette vie.
En parallèle, j’avais rencontré un artiste et je commençais à faire du graffiti. Surtout dans des endroits tolérés. C’est une époque de ma vie que j’ai adorée. J’ai rencontré beaucoup de monde. J’étais une des rares femmes à peindre à cette époque. J’ai vraiment eu la chance de rencontrer des artistes très talentueux qui ont été hyperaccueillants. On peut dire que j’ai eu une très bonne formation en graffiti qui m’a marquée à vie !
Donc, quelques mois après mon souci de santé, j’ai décidé d’arrêter mon activité professionnelle en fin d’année 2012. J’ai fait des petits boulots pour ne pas perdre trop de temps et d’argent. Dans la vente, le service, j’ai fait une saison à la montagne, et dans l’animation artistique avec des enfants.
Vous avez beaucoup enchaîné et vous avez un peu perdu, non ?
Pour mon activité de visuel merchandiser, j’aurais dû déménager car sur Montpellier il n’y avait pas beaucoup d’avenir à ce moment-là. J’aurais dû me rapprocher des Head Offices des compagnies, mais je ne me voyais pas habiter Paris. Puis en 2013, je me suis dit que je vais aller en vacances à Maurice, voir la famille, me poser un peu et réfléchir à quoi faire et comment.
Donc, début octobre, j’arrive à Maurice et fais deux entretiens d’embauche. Les vacances s’annoncent bien remplies. Une semaine après, je bossais pour la compagnie Aldrex. Là j’ai enchaîné avec plusieurs jobs, mais toujours dans le domaine de la décoration, du merchandising, de l’événementiel. J’ai fait six mois chez Aldrex. L’expérience était mitigée, mais je ne voulais pas partir et j’ai trouvé très vite un autre boulot chez Strike Viscom. Là aussi, ça ne se termine pas hyperbien avec un licenciement économique au bout de dix mois. Mais pareil, je rebondis. Je trouve des petits boulots avec des anciens clients, puis je suis engagée pour gérer le pop-up store de Yuni à Tamarin. La collaboration fonctionne assez bien et je deviens responsable du magasin que l’on ouvrira à Tamarin en octobre 2015. J’y reste jusqu’à fin 2016.
Puis, en février 2017, j’intègre l’équipe chez In Situ jusqu’en octobre 2018. Mes expériences de travail ont chacune été très enrichissantes et gratifiantes. J’ai eu la chance de rencontrer différentes personnes dans divers corps de métiers. J’ai pu développer mon réseau et mes compétences de travail auprès des entreprises mauriciennes.
Le point faible à chaque fois a été le salaire et je pense que c’est un gros souci ici à Maurice. En parallèle, j’ai commencé à développer une petite marque d’accessoires, Palm Beach ! J’ai fait des porte-clés, des colliers et des boucles d’oreilles en perles de bois et pompons et des sacs bicolores en utilisant des tissus d’ameublement. C’est une petite activité que j’ai portée pendant plusieurs années. À partir de septembre 2018, je suis en contrat d’intervenante en arts plastiques au Lycée des Mascareignes à Moka. Et en 2019, je signe un contrat pour le poste de professeur d’arts plastiques.
Je suis ravie car j’ai toujours eu envie de faire ce métier. Cette opportunité est tombée au bon moment dans ma vie. J’avais besoin d’un emploi qui me donne une certaine sécurité même si le salaire à ce moment-là n’était pas terrible. J’adore mon métier. J’ai eu plusieurs opportunités avec les élèves. Nous avons réalisé une très longue fresque dans le lycée pour les 20 ans de l’établissement. Nous avons participé et gagné à des concours d’art et d’affiche. Nous avons réalisé une belle fresque à l’ambassade de France. Nous réalisons la couverture du magazine depuis quelques années aussi. Donc, j’essaie de les faire toucher à différents projets. C’est très enrichissant pour eux et pour moi.
Ça fait maintenant cinq ans et je ne m’en lasse pas.
En 2018/2019, à côté de cette activité qui me laisse du temps, je continue à travailler sur des projets de visuel merchandising. En juin 2019, j’accouche d’une petite fille. J’attendais que ce moment arrive depuis tellement de temps. J’avais 38 ans. Ce n’est pas tout jeune, mais ma grossesse s’est super-bien passée. J’étais en forme, je travaillais, j’ai “bourlingué” mon ventre dans tous les coins de l’île. Je suis devenue maman.
Ça a changé votre vie ?
Ma fille est devenue ma raison de vivre, de me battre, d’avancer. Mes parents sont venus nous rendre visite pour l’accouchement. C’était bon de les avoir près de moi. Car bien que je sois à Maurice depuis quelques années, je n’avais pas beaucoup d’amis.
Je commence l’année 2020 par la réalisation de projets de fresques murales pour une amie et là, le Covid nous tombe dessus. Comme tout le monde, je me concentre sur ma maison, mon bébé, ma famille. Et cette période a eu raison de mon couple. Je me retrouve seule avec ma fille et l’organisation n’est pas simple. Mais j’ai tellement d’énergie que je suis sur tous les fronts. Mon bébé, mon job de prof, mon activité d’artiste avec les fresques et Palm Beach avec les accessoires.
Et comme j’allaite ma fille depuis sa naissance, je commence à imaginer une marque de tee-shirts d’allaitement qui sort en octobre 2021. En deux ans et demi, j’ai sorti deux collections, mais depuis l’année dernière, le temps, l’énergie et les finances m’ont obligé à mettre en pause ce projet ainsi que celui de Palm Beach.
Mon histoire avec le père de ma fille a été marquée par des hauts et des bas. Un chemin que nous avons parcouru ensemble pendant un certain temps. Après une tentative de réconciliation en 2021, qui a duré encore un an, nous avons pris la décision difficile, mais nécessaire de nous séparer définitivement. C’était une période intense et éprouvante, mais elle m’a aussi appris beaucoup sur moi-même et sur la vie.
Quoi au juste ?
Cette expérience m’a offert le plus grand trésor de ma vie : ma fille. Elle est la lumière qui a émergé de cette période tumultueuse, apportant une joie et un amour indescriptibles dans ma vie. Chaque sourire, chaque éclat de rire de sa part me rappelle que même les chemins les plus difficiles peuvent mener à de magnifiques destinations.
Et aujourd’hui ?
Aujourd’hui, je choisis de regarder cette expérience avec gratitude. Elle m’a non seulement permis de grandir en tant que personne, mais elle m’a aussi enseigné la résilience et la capacité de transformer les difficultés en force. La vie continue de m’offrir des leçons précieuses, et je suis reconnaissante pour chaque instant, bon ou mauvais, qui m’a menée là où je suis aujourd’hui.
J’ai connu une baisse d’activité depuis la fin de l’année dernière, quelques mésaventures personnelles qui m’ont fait faiblir, mais pas tomber. Aujourd’hui, je me lève encore plus forte. Vivre à Maurice est une expérience enrichissante et transformatrice. Au fil des années, j’ai appris la patience et la résilience, des qualités essentielles pour naviguer dans la complexité d’un pays multiracial. J’ai découvert l’impact profond que le poids du passé peut avoir sur la société et sur la façon dont cela influence notre quotidien.
S’adapter à un nouvel environnement vous a également appris à vivre avec de nouvelles règles et des différences…
Cette adaptation continue m’a révélé ma capacité à surmonter les défis et m’a confirmé que je suis une battante. Mon état d’esprit féministe a été une source de force constante, ce qui m’a aidée à affronter tous les obstacles qui se sont présentés sur mon chemin. Cela m’a permis de défendre mes convictions et d’apporter une contribution positive à mon entourage, tout en m’assurant de rester fidèle à moi-même. Une chose est certaine. Être une femme célibataire, artiste, avec une double origine ici à Maurice est un challenge de tous les jours.
En somme, mon expérience à Maurice m’a permis de grandir en tant qu’individu et de renforcer ma détermination à poursuivre mes objectifs, avec la conviction que chaque défi est une opportunité de devenir une meilleure version de moi-même.
Vous donnez toujours l’impression de vouloir vous investir dans des projets sociaux, culturels, éducatifs pour Tamarin…
J’ai participé à The Bridge en 2015, à des événements avec Tamarin Avenir Meilleur, et j’ai fait quelques peintures ici et là. Quand j’étais petite, ma maman organisait des ateliers pour les jeunes à la cure de Saint-Benoît. C’est un moyen de marcher sur ses pas et de continuer l’action.
Quand Mirella Arjoon, la présidente du conseil du village de Tamarin, m’a parlé du projet Lagoon à Tamarin, c’était logique pour moi d’en faire partie. Je ne pouvais pas passer à côté. Je suis très fière de faire partie de cette organisation. On donne vraiment beaucoup d’énergie.
J’ai vraiment à cœur de partager cet événement avec les photos de Tamarin au fil du temps, l’histoire du surf, la tradition de la pêche. Ce sont nos souvenirs, notre histoire, notre héritage. Les stands de sensibilisation à l’environnement avec Odysseo et Zero Waste Mauritius, par exemple, sont hyperimportants car très accessibles pour les enfants. Car ce sont eux notre futur. La présence de Trash to Music est un exemple de réussite locale qui mixe justement tous ces domaines, la connaissance, la transmission, la conscience écologique et l’art. Il y a d’autres initiatives dont je n’ai pas parlé car c’est la surprise ! Il faudra venir pour découvrir !
Qu’est-ce qui vous a poussée à présenter l’événement qui a eu lieu le 27 juillet à Tamarin sur la plage près du kiosque, et sur le terrain de foot ?
C’est une initiative de Mirella Arjoon, Jean-Yves L’Onflé et moi-même avec la participation de Cindy Labonne, Bernardo Nascimento, Shakti Teker et Catherine Li. L’événement tend à raconter l’histoire de Tamarin, son héritage par son lien avec la mer en alliant la sensibilisation écologique et environnementale, qui est un sujet extrêmement important aujourd’hui à transmettre aux générations futures. Étant Franco- Mauricienne, artiste et très attachée à Tamarin, cela me tenait à cœur de m’investir pour des projets sociaux culturels pour le village.
Qu’est-ce qui a été l’élément déclencheur ?
L’élément déclencheur pour nous a été l’événement organisé par Odysseo en juin 2023 pour l’Ocean Day. À la suite de cet événement, nous nous sommes rencontrés pour commencer à mettre en place le projet. Mirella a été le point de ralliement de tout le monde. Nous avons fait plusieurs réunions, nous avons développé beaucoup d’idées. La réalité de nos vies et de nos emplois du temps respectifs a eu raison de nous, mais pas de notre intérêt et de notre désir de partager avec les villageois, petits et grands et le public.
Notre événement est entièrement animé par le volontariat, l’investissement personnel et l’amour du partage pour la communauté. Shakti Teker nous a apporté son aide pour l’écriture du projet. Mirella Arjoon souhaite apporter un air frais et dynamique et une conscience écologique au village. Jean-Yves L’Onflé, artiste-peintre et moi-même, travaillons sur les projets artistiques et les ateliers développés autour de l’événement. Cindy Labonne a participé à la coordination. Bernardo Nascimento, Curator and Head of Education à Odysseo, nous apporte son soutien à la réalisation de différentes activités pour l’événement. Catherine Li, photographe, nous a offert une session photo dans le village.
Chacun amène son savoir-faire, ses connaissances et ses contacts. Nous voulons rassembler tout le monde autour de cette énergie que dégage le village de Tamarin. Cette force transmise par les montagnes qui nous entourent, La-Tourelle et le Rempart. Cette vibe, cette douceur de vivre, cette connexion à la mer et à l’endroit.
Propos recueillis par
Jocelyn Rose