PLAIDOYER L’Adoption Bill toujours aux oubliettes ?

Adopter un enfant à Maurice relève toujours du parcours du combattant, alors qu’une loi a été mise en chantier depuis plus de 10 ans ! Le cri du cœur d’une maman adoptive.

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MARIE-LAURE ZISS-PHOKEER

Mère de trois enfants, dont deux adoptés

En matière de législation protectrice des droits de l’Enfant, il y a le contexte mauricien et donc la nécessité d’adapter les textes internationaux… Mais pas la peine de perdre une décennie encore à réinventer la roue alors que les grands principes de La Convention de La Haye* (signée par Maurice, et encadrant l’adoption internationale d’enfants) ont déjà prévu des Guidelines solides. Dix ans de perdus au détriment des couples et célibataires désireux de s’engager dans la démarche. Mais surtout des enfants, qui grandissent sans famille et n’ont aucun espoir de retourner auprès de leurs proches biologiques…

Si un principe de droit est central pour la protection de l’enfant, dans le cadre d’une adoption internationale, il pourrait très bien s’appliquer de fait pour une adoption locale. Ajouter à cela, quelques procédures de bon sens dans l’intérêt supérieur de l’Enfant; alors pourquoi retarder encore l’Adoption Bill ?

Voici les points essentiels, Ce que nous, parent adoptif ou couple et célibataire motivé pour adopter un enfant, avons attendu pendant plus de 10 ans :

o            Des critères précis définissant clairement l’adoptabilité d’un enfant ;

o            Une procédure efficace pour émettre un premier Birth Certificate aux enfants n’en ayant aucun, en dépit des dites « fast track procedures » existantes. Le droit à une identité, un droit basique, selon la Convention des Droits de l’Enfant**. L’absence de ce document (l’acte de naissance officiel) barrant d’office, logiquement, le droit à bénéficier d’une adoption en bonne et due forme ;

o            Un registre des enfants adoptables, avec une liste des enfants qui nécessitent un apparentement en priorité : enfants en situation de handicap ou avec une condition médicale particulière ;

o            La vérification effective de la primauté de l’adoption locale sur l’adoption internationale. Aujourd’hui, en l’absence d’un fichier des adoptants en attente, un enfant mauricien peut très bien bénéficier d’une adoption internationale alors qu’une famille à Maurice aurait pu l’adopter. Un déracinement (éventuellement source de traumatisme), qui aurait pu être évité.

o            Une procédure, qui interdit la rencontre des parents biologiques et des parents adoptants pour éviter tout trafic, tout en assurant des démarches d’apparentement transparentes :

–            accréditation et formation pré et post adoption des adoptants, accompagnement légal et psychologique gratuit des parents biologiques vers le don de consentement éclairé à l’adoption,

–            matching exercices entre l’adoptant et l’enfant, passé le délai de rétractation des parents biologiques…

o            Accompagnement des familles et des mineurs jusqu’aux 18 ans de l’enfant adopté (formation, suivi psychologique…) ;

o            Procédure encadrée pour l’accès aux données sur sa famille biologique par l’enfant adopté à ses 18 ans (ou à un âge défini en fonction de ses besoins à connaître ses origines, et de sa maturité…) ;

o            Pour les résidents des shelters n’ayant pas pu être adoptés : création d’un statut de « Pupille de la Nation » pour les enfants placés en Alternative Care jusqu’à 18 ans avec des aides sociales associées, leur permettant de vivre une vie décente.

Les conséquences sont dramatiques pour tous les jeunes, qui auraient pu bénéficier d’une adoption depuis plus de 10 ans. Également pour la société en général, puisqu’un jeune insuffisamment encadré, aimé, protégé, peut souffrir d’autres soucis à l’adolescence et à l’âge adulte (problèmes psychologiques, psychiatriques, addictions, délinquance, chômage, grossesse précoce…). Un coût pour le contribuable, en plus du coût important que représentent déjà les shelters, aujourd’hui. Économiquement, retarder encore la loi sur l’adoption a un prix élevé. Je défends en priorité l’intérêt supérieur de l’Enfant mais si j’évoque l’aspect financier, c’est uniquement pour essayer d’attirer l’attention du plus grand monde, les contribuables et ceux qui veillent aux deniers de l’État.

Pourquoi un tel retard ?

Depuis 2012, deux rapports alternatifs de la société civile mauricienne ont été envoyés au Comité des Droits de l’Enfant de l’ONU à Genève, qui a de son côté envoyé des recommandations à l’État… La plupart des mêmes manquements soulignés, entre autres la nécessité de mieux légiférer sur l’adoption locale et internationale d’enfants et pourtant pas d’améliorations de la législation. Pourquoi ? Probablement parce que les enfants ne sont pas des électeurs… et leurs voix rarement entendues.

Merci à ceux et celles qui mettent en valeur la parole des enfants et des activistes. Bravo à la société civile, comme le KDZM (Kolektif Drwa Zanfan Morisien) ou encore Inclusion Mauritius, qui forme des jeunes auto-représentants (pour faire valoir les droits des enfants, des mineurs handicapés…). Bravo aux shelters, qui tentent de travailler selon les standards internationaux***. Ensemble, chacun à notre niveau, faisons avancer le plaidoyer en faveur des droits de l’Enfant. Pourquoi ne pas un jour imaginer qu’un panel d’enfants soit invité à l’Assemblée nationale, pour raconter, décrire leurs réalités sur des thématiques représentatives, sans censure : « Moi, enfant adopté », « Moi, enfant pris en charge en famille d’accueil », «  Moi, enfant vivant avec un handicap », « Moi, enfant détenu au Rehabilitation Youth Centre », « Moi enfant grandissant en shelter », « Moi, jeune sorti d’un shelter à 18 ans, sans logement, sans formation, sans travail »…). Face aux députés, des témoignages vrais, authentiques, touchants, ce ne serait pas ce qui manquerait. Pourquoi pas, non plus, apprendre aux enfants à rédiger des PNQ avec leurs questionnements sur les limites qu’ils rencontrent dans leur vie quotidienne, leurs besoins holistiques et écouter leurs idées pour faire bouger Maurice. Et faire enfin réellement progresser les droits de l’Enfant. À coup sûr, ils seraient force de proposition (sans agenda caché, sans stratégie politicienne) sur les questions qui les concernent au premier chef. À bon entendeur…

*Convention de La Haye – Convention sur la protection des enfants et la coopération en matière internationale conclue le 29 mai 1993.

**Convention internationale des droits de l’Enfant (CIDE), adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989.

***UN guidelines on alternative care.

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