Peter White : l’exit forcément discret d’un Grand de Maurice

La triste nouvelle nous parvient d’Europe. Peter White quitte la scène pas seulement mauricienne. Sur la pointe des pieds pour ne pas changer. Ce n’est pas en mourant qu’il se mettra à déranger son entourage. Il est seul à avoir perçu ce signal du départ. A l’âge, vénérable (mais pour d’autres que lui) de 94 ans. Il s’en va donc à la fleur de l’âge de sa jeunesse constamment renouvelée. Le mot « vieillir » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Au début de l’année encore il était de passage à Maurice, sa terre d’élection. Multipliant les bains de mer et autres plongées sous-marines. Emerveillant les témoins privilégiés de telles prouesses à pareil âge. Aussi à l’aise au volant d’une Rolls Royce qu’en enfourchant une pesante motocyclette de gros calibre. Aussi à l’aise dans un palace que sous la tente d’un bivouac. Aussi à l’aise dans le salon le plus mondain que sous l’arbre à palabres. Il y a quelque chose de Lawrence d’Arabie dans ce Mauricien émérite. Le poème de Rudyard Kipling, il ne le récitait pas. Il le vivait. Intensément. Jour après jour. C’était son code de conduite. Peter White a toujours eu l’âge de sa détermination. Forcément inébranlable. Là où est le vouloir, là est la voie. Et de volonté, il en avait à revendre.

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Nous ne l’avons pas vu s’éclipser discrètement. Tant mieux. Laissons aux esprits chagrins l’infortune de croire en sa disparition. Pour notre part, nous voulons le savoir immortel car toujours vivant dans notre cœur, dans nos meilleurs souvenirs. Ceux d’un être exceptionnel daignant nous honorer de sa franche et généreuse amitié. Là ou pas là importe peu, tant qu’il demeure présent parmi nous, même en esprit. Présence contraire d’absence.

Aussi présent que lorsqu’il débarque pour la première fois à Maurice, en principe pour un simple contrat de trois mois. Pour conseiller le groupe de compagnies Lonrho en matière de culture et de fabrication de …thé. Il y demeure une …quarantaine d’années dont de nombreuses mais exaltantes comme chef suprême et incontesté de cette multinationale, propriétaire de trois établissements sucriers (Britannia, Highlands, Mon-Trésor/Mon Désert), d’un hôtel de luxe, Le Merville à Peyrebère, un portefeuille garni d’actions de maintes entreprises majeures en et hors Maurice dont l’Anglo-Mauritius Insurance, héritière principale de la défunte Anglo-Ceylon d’illustre mémoire, sans oublier ce fonds d’investissements qu’il met sur pied avec l’aide de Georges Leung Shing, la Mauritius Development Investment Trust.

Chef d’entreprises prépondérantes, homme d’affaires pouvant tout se permettre; et il s’est contenté d’être un parmi ses pairs, un avec ses pairs, principalement préoccupés à décider ce qu’il y a de mieux pour la population mauricienne, ordonner en ce sens et veiller à la bonne exécution d’un programme aussi bienfaisant, dans le respect absolu des inévitables délégations de pouvoir déjà accordées puisqu’il n’y a pas de grands patrons sans sous-chefs d’un dévouement irréprochable car bénéficiaires d’un respect hiérarchique mais paternel, sinon miséricordieux, en tout cas indulgent, préférant toujours ceux qui osent essayer quitte à se tromper plutôt que ceux qui ne font rien de peur de commettre une erreur. Profiter de cette situation privilégiée pour obtenir un quelconque avantage pour lui ou pour la Lonrho aurait été déjà déchoir. Quelque chose d’indigne de lui. Autres temps, autres mœurs…

Le simple journaliste que je suis n’a pas eu le privilège de connaître et d’apprécier tous les cadres intermédiaires du groupe Lonrho mais ceux que j’ai eu la chance de côtoyer pour des raisons professionnelles ou sociales m’ont toujours donné l’inaltérable impression d’avoir plus à cœur les intérêts de ce puissant groupe de compagnies que leur chef suprême à Maurice. Comment ne pas penser ici à ces êtres exceptionnels du calibre de Cyril Monty, Somoo Valayden, Yacoob Ghanty, Gaëtan et Helena Langlois, Jacky Julienne, Jacques et Maryse Tursan d’Espaignet, Michel Le Juge de Segrais et tant d’autres.

Un simple journaliste ne peut aucunement prétendre jouer un rôle prépondérant dans le développement harmonieux du pays. Mais il suffisait de rencontrer Peter White à l’improviste au coin d’une rue de la capitale pour qu’il vous interpelle joyeusement, comme s’il souhaitait de longue date cette rencontre pourtant des plus fortuites. Il se mettait alors à discourir vivement avec vous, vous interrogeant avec une attention soutenue sur les aspects les plus inattendus de l’actualité générale et pas seulement politique ou économique, comme si vous étiez dans le secret des dieux et que toute parole émise par vous pouvait être l’apport le plus précieux dans la journée d’un professionnel aussi affairé que lui, déjà au courant des décisions majeures prises à tout moment pour le bien de tous. C’était dans la nature de Peter White de s’entretenir d’égal à égal avec n’importe qui se trouvant à l’improviste sur sa route. Le plaisir qu’il montrait à cette rencontre inopinée avait de quoi surprendre. Il avait le don de vous interroger comme si vous étiez un Premier ministre, son Grand Argentier, le dirigeant d’un groupe économique rival, le représentant local d’une grande puissance, un expert de passage. Et si, trop ébloui par l’inattendue importance que vous accorde un des Grands de Maurice, vous vous laissiez aller à une quelconque démagogie, il n’avait pas son pareil pour vous ramener à des considérations plus pragmatiques, en tout cas plus raisonnables, par un simple questionnement, vous obligeant à rester dans les limites du possible et du faisable.

Tout interlocuteur, fût-il sirdar ou laboureur, pion ou chauffeur, sortait grandi et épanoui de tout entretien, même bref, que pouvait lui accorder à brûle-pourpoint l’unique Peter White. Même quelqu’un de mauvaise foi devait s’avouer vaincu par ce chef charismatique, n’ayant pas son pareil pour déceler la part d’aspiration à une perfection transcendante dans tout être humain, fait autant d’esprit que de chair.

Là réside peut-être le secret qui animait cette Grande Ame. Il savait toujours voir en n’importe qui un frère, une sœur, une mère, un père, un enfant, un ami, et se comportait comme un proche, comme un soutien. Il s’agissait moins d’une question d’argent que de raison de vivre à offrir, d’invitation à se battre pour que les rêves les plus fous deviennent des réalités. Peter devinait cela d’instinct, comprenait, savait donner du courage au découragé, de l’espoir au désespéré, une certitude aux désillusionnés. C’est parce qu’il a toujours su être efficace dans d’humbles tâches qu’il a pu être le grand chef inoubliable, longtemps à la tête de Lonrho-Maurice.

Une histoire détaillée des faits et gestes de ce chef charismatique aurait été édifiante à plus d’un titre aux présentes comme aux futures générations de dirigeants. Pareil projet aurait fait sourire Peter White. Pourquoi tant de bruit au sujet de sa simple règle de vie : « Ne fais à autrui ce que tu n’aurais pas aimé qu’on te fasse ». Ou encore son corollaire plus positif : « Fais à autrui ce que tu aurais aimé qu’on te fasse. » Il avait le cœur grand comme le monde l’entourant car il y avait toujours une place de choix pour tout être humain qu’il plaisait à Dieu de mettre sur sa route, sachant qu’il mettrait toute sa joie à faire un bout de chemin avec ce frère ou cette sœur de rencontre fortuite. Mettre tout son cœur dans ce qu’on fait, si humble que cela puisse être. Et cela suffit pour faire de toute rencontre humaine mais d’une sincérité inaltérable un moment d’éternité.

Peter White n’est plus… La belle blague. Il n’est jamais plus vivant dans le cœur de ceux et celles ayant abondamment bénéficié des encouragements fraternels de cette Grande Ame. Il demeure une bénédiction divine pour le pays Maurice indépendant.

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