Dans son homélie à la messe du 1er février, hier, le Père Alain Romaine a fait un vibrant plaidoyer pour un musée de l’esclavage à l’hôpital militaire, « un lieu fort de réconciliation » selon lui, car « dans la maladie, il n’y a ni blanc, ni noir, ni maître ni esclave ». Un tel lieu de mémoire revêt toute son importance, dit-il, « pour tous ceux qui ont été vendus comme des meubles et comme du bétail ». Le prêtre a mis en relief la nécessité du devoir de mémoire qui permettra de « briser les chaînes de préjugés dans la tête de tous ». Et de souligner que « l’oubli, c’est l’ennemi de la mémoire ».
La messe, présidée par le cardinal Maurice Piat, a été célébrée à Cassis, en l’église du Saint Sacrement, connue également comme la Cathédrale des Pauvres. Elle avait comme thème : Kreol, pa bliye fer memwar pou konstrir to lavenir. Si l’abolition de l’esclavage a eu lieu il y a 183 ans de cela, le cardinal Piat devait rappeler qu’ « abolition ne veut pas dire libération. La libération prend bien plus de temps ». Le comité diocésain 1er février a porté son choix sur l’église de Cassis dans la mesure où, selon le Père Romaine, elle est connue comme la Cathédrale des Pauvres ayant été érigée sur l’instigation du Père Laval, l’apôtre des pauvres. Expliquant ce qu’est l’acte de faire mémoire, le Père Alain Romaine a mis en avant qu’il s’agit d’une expression qui est « utilisée quand il y a eu une tragédie humaine où l’on a écrasé son prochain et fait disparaître ses semblables et où on vient dire ‘Plus jamais ça’. Nous appelons cela faire mémoire. Nous pensons à ce qui s’est passé hier mais surtout, nous regardons le présent en vue d’ouvrir un chemin pour l’avenir. Nous disons oui à l’avenir mais sans les erreurs du passé. Nous nous réconcilions avec notre passé et nous établissons un mémorial pour un avenir où nous mettons derrière nous tout ce qui a blessé nos prochains ». Puisant dans les écrits bibliques, il devait ensuite souligner que « l’oubli, c’est l’ennemi de la mémoire ». Même la foi biblique, ditil, est fondée sur un mémorial. « D’ailleurs, quand nous célébrons la messe, on dit ‘Faisons ici mémoire…’ Nous nous souvenons de la mort et de la résurrection de Jésus et l’avenir, c’est la venue de Jésus ». Pour Alain Romaine, faire mémoire est une nécessité pour « tous les peuples qui ont connu un déracinement forcé afin qu’ils puissent se tourner vers leur avenir ».
Forte symbolique de l’hôpital militaire
Et en tant que peuple mauricien appelé à célébrer cette année le 50e anniversaire de l’indépendance de son pays, date marquant la sortie du joug colonial engagé dans l’esclavagisme et l’engagisme, « nous devons avoir un lieu de mémoire pour tous ceux qui ont été vendus comme des meubles et du bétail ». Un temps, poursuit-il, où « ou lekor, ou lafors napa ti apartenir a ou. Ounn vinn enn obze de trafik ». L’église de Cassis, érigée entre 1851 et 1879 est ellemême un lieu de mémoire, selon Alain Romaine. « Un tel monument en pierre a été taillé avec l’intelligence des artisans noirs. Lorsque nous rentrons dans un tel monument et que nous levons la tête, nous sommes pris par des frissons. Encore plus quand nous savons que feu Roger Cerveaux, ancien curé ici, a déclenché la conscience créole par son cri 25 ans de cela ». Depuis une dizaine d’années, souligne-t-il encore, plusieurs organisations militent pour que l’hôpital militaire devienne un lieu de mémoire sous forme de musée. « Plusieurs conférences nationales et internationales ont demandé que les autorités érigent un musée intercontinental ». Ajoutant : « Nous sommes bien conscients qu’il y a des forces contraires qui font obstacle à ce projet. Mais, aujourd’hui, il est plus que temps que nous érigions un mémorial en ce lieu ». Selon Alain Romaine, un musée ne se tourne pas vers le passé mais puise dans le passé pour avoir la force de vivre dans le présent et pour se tourner vers l’avenir. Il plaide pour que les Mauriciens fassent mémoire de ce qui les rassemble, « pour nous donner cette force, cette âme mauricienne ». Le prêtre est d’avis que l’hôpital militaire revêt une forte symbolique étant donné que « devant la maladie, il n’y a ni blanc, ni noir, ni maître ni esclave. C’est un lieu de réconciliation » grâce auquel, est-il convaincu, « les chaînes de préjugés sur les descendants d’esclaves seront brisées dans l’esprit de tous ». La messe a été célébrée en présence de divers représentants des autorités dont la présidente de la République, Ameenah Gurib- Fakim, le vice-président de la République, Barlen Vyapoory, le DPM, Ivan Collendavelloo et la VPM Fazila Daureeawoo.