S’il y a des portes ouvertes que l’on n’hésite pas à défoncer, histoire probablement de se rappeler qu’elles l’étaient réellement, d’autres, elles, suscitent davantage la frayeur de s’en approcher. C’est ce qu’on appelle le déni. Car voir ce qui se trouve par-delà la porte pourrait alors nous obliger à revoir certaines attitudes qui, pour l’heure, nous conviennent parfaitement. C’est ce qui se passe avec le changement climatique. On sait qu’il existe, on sait que l’on en est la cause, on connaît ses effets présents et devine les futurs, et, pire que tout, nous savons comment nous devrions agir pour peu que l’on veuille vraiment nous assurer un avenir. C’est vrai, l’on sait tout cela. Et pourtant, quelque part, toutes ces évidences sont balayées comme l’on le ferait de nos poussières. En d’autres mots, on les laisse derrière la porte.
C’est que la question climatique est étroitement liée à nos besoins immédiats, ou plutôt à ceux conférés par notre société consumériste. Ou plus exactement à l’énergie, vu que c’est elle qui permet justement que nous puissions jouir sans scrupule de tout ce qui constitue aujourd’hui notre niveau de confort. Là est en effet la source du problème : l’énergie ! Sans énergie, pas de production à grande échelle, et pas plus de moyens non plus d’acheminer les fruits de notre système de marché aux quatre coins du monde. D’où l’importance, du moins croyons-nous, d’assurer notre sécurité énergétique. Aussi comprenons-nous pourquoi le monde reste si frileux à respecter ses engagements climatiques, puisque, ce faisant, nous devrions ralentir fortement notre machine industrielle. Et donc par ricochet la croissance.
Rappelons en effet que, de tous les secteurs conditionnant le développement de nos sociétés modernes, celui de l’énergie est le plus émetteur de gaz à effet de serre, et que ces mêmes gaz sont à l’origine du réchauffement climatique anthropique. Avec une conséquence à l’allure de problème cornélien, car s’il est clair que nos dépenses énergétiques mettent en péril le réchauffement planétaire, ce dernier, si nous faisions l’effort nécessaire de le limiter, mettrait à son tour en péril le secteur énergétique. Autrement dit, c’est le syndrome du serpent qui se mord la queue. Un cercle vicieux dont l’on n’imagine pas sortir rapidement, et qui plus est indemne.
Pour y arriver, l’on dispose cependant de plusieurs alternatives, la majeure partie d’entre elles étant relatives au développement et à l’installation tous azimuts de sources d’énergie « propre », sous-entendu non fossiles. Mais le travail s’avère titanesque. Et ce, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que les énergies fossiles (pétrole, charbon et gaz) constituent encore plus de 80% de nos sources énergétiques mondiales. Ensuite, parce qu’en termes de rendement de nos ressources, l’une ne peut être substituée à l’autre (une éolienne ne pourra jamais remplacer un puits de pétrole, sauf si ce dernier est épuisé). Et enfin, parce que tout cela coûte cher, très cher. Trop cher !
Pour autant, les bases de la solution sont posées. Du moins en partie. Ainsi sait-on que pour atteindre nos objectifs climatiques, notre approvisionnement en électricité via des sources d’énergie « propres » devrait théoriquement doubler d’ici 2030… et tripler d’ici 2050. Telle est en tout cas la conclusion de nombreux experts. Lesquels semblent toutefois avoir omis un détail dans leurs calculs, à savoir que la production nécessaire à l’élaboration d’une telle politique (parcs solaires, parcs éoliens, générateurs, batteries, etc.), encore une fois à l’échelle mondiale, nécessiterait à son tour une somme colossale d’énergie, et donc pour l’heure toujours principalement carbone. Retour au syndrome du serpent.
Comme nous l’avons déjà dit plusieurs fois dans ces mêmes colonnes, la résolution du problème climatique ne tient pas à adopter une solution unique, mais bien dans un véritable plan de sortie de crise, lequel devrait prendre en compte plusieurs aspects. L’énergie verte, si elle demande à être davantage déployée, ne pourra à elle seule nous sauver du changement climatique, pas plus que quelconque technologie (captage de CO2, etc.). En revanche, si l’on adopte une approche mixte, et que l’on consent en plus à revoir l’ensemble de notre système productif, en rationalisant nos dépenses énergétiques, alors peut-être verrons-nous enfin briller une faible lumière au fond du tunnel. Mais encore faut-il pour cela accepter de voir ce qui se passe derrière la porte !