Tout récemment, nos cadres et chefs d’entreprise auront eu droit à une conférence sur « le pouvoir de l’optimisme », le but étant de leur apprendre à avoir confiance en eux et en leurs idées, et surtout de fuir la négativité. Un discours que l’on peut louer, tant il semble évident que la positivité permet d’avancer, et ce, dans toutes les sphères de la vie. Sauf qu’ici, il était principalement question de business, et donc de croissance… d’argent. Avec pour finalité d’expliquer à nos dirigeants d’entreprises, grandes comme petites, comment faire face « aux aléas de la vie », pour reprendre les propres mots du conférencier, et dont les hauts et les bas, selon lui, sont constitués « de succès commerciaux et de pertes de contrats ».
L’homme étant invité à élaborer devant un parterre d’hommes et de femmes d’affaires, nous ne pouvons bien sûr pas lui tenir rigueur de généraliser ses propos optimistes aux seules questions d’affaires. Si ce n’est que tout cela ne constitue aucunement les aléas « de la vie », mais plutôt de notre système de marché. Rien à voir donc avec la vie elle-même. Reste maintenant le fondement même du discours, axé sur « le pouvoir de l’optimisme ». Car c’est là que se situe le réel problème.
Ainsi, l’optimisme, croit encore l’orateur, est seul capable de nous sortir des pires situations, ajoutant que chaque problème comporte sa ou ses solution(s). Ce qui est vrai, du moins pour la seconde partie de l’affirmation. Car un tropplein d’optimisme a, de par nature, aussi tendance à avoir l’effet contraire à celui recherché. Non seulement croire que d’adopter une posture positive à tout instant résoudra nos problèmes équivaut à nous mettre dans une position attentiste, mais user de cette approche optimiste engendre aussi le risque de nous plonger dans un déni total. En résumé : tenir un discours optimiste et rassurant, c’est en quelque sorte tromper les gens.
Pour s’en convaincre, prenons le cas du changement climatique. Depuis de nombreuses années, scientifi ques et experts, en sus bien sûr des collapsologues, nous promettent le pire si nous ne réduisons pas notre empreinte carbone, soit des conséquences allant de catastrophes climatiques à un effondrement pur et simple de notre civilisation. Des propos que la plupart d’entre nous connaissent, mais dont peu veulent réellement entendre parler. Pour eux, la question se résume ainsi à : « Oui, il y a un problème. Mais on s’en sortira. Comme on l’a toujours fait. Nos experts (scientifi ques, politiques, etc.) trouveront bien une solution. » Dans ce cas, il est évident qu’il ne s’agit plus d’optimisme, mais de déni. D’un désengagement de la réalité au profit de l’immobilisme.
On ne peut en effet reprocher aux scientifiques et aux collapsologues de nous faire peur en nous rapportant des faits qui, assurément, ne sont en rien optimistes, mais qui traduisent une possible réalité. Ce qui équivaudrait à reprocher au médecin de nous annoncer une maladie. C’est un fait : savoir permet souvent d’éviter le pire. Ce qui ne veut aucunement dire qu’il faille, au contraire, s’enfermer dans le pessimisme qui, lui, est de facto tellement décourageant qu’il nous pousse à baisser les bras. Aussi, entre optimisme aveugle et pessimisme autodestructeur, la bonne attitude se trouve donc dans un juste milieu. Un équilibre entre, d’une part, nos actions et notre croyance en un monde débarrassé des fléaux qui le rongent, et d’autre part l’acceptation que notre civilisation, telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, n’est plus résiliente.
Et ce n’est pas tout, car il convient de ramener aussi dans les affi rmations scientifi ques le même équilibre, tant les propos peuvent être parfois trop aseptisés. À commencer par ceux du GIEC, dont l’optimisme dicté par d’autres aura été plus d’une fois décrié, leurs rapports étant à chaque fois passés à la loupe lors des relectures diplomatiques. Aussi devrait-on préférer la vision des experts engagés dans l’étude des scénarios à +3°C, et qui entraîneraient potentiellement la disparition de l’humanité.
Certes, cette lecture du changement climatique n’est pas des plus réjouissantes, mais elle a le mérite de nous ramener à la réalité de l’urgence. Condition sine qua non pour s’engager, à la force cette fois de notre optimisme, sur un autre chemin. Conscients alors que « la fi n de l’abondance » n’est que le début du sevrage, et que plus le sevrage sera tardif, et plus il sera brutal. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que d’entrer en « état de résilience » ne pourra se faire si, mus par un optimisme aveugle, nous continuons de pousser les poussières sous le tapis.