Nous sommes tous palestiniens*

UMAR TIMOL

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est-ce que vous savez, alors que vous vous enlisez dans les brisées apaisées de la nuit, que le sommeil vous engourdit, et qu’il vous autorise la doctrine de l’oubli, quel bonheur, n’est-ce pas, est-ce que vous savez que là-bas en Palestine, il pleut des bombes par millions, on froisse, tord, ravage toute chair, on mue la matière en cendres, on immole notre sang sur l’autel du temps, est-ce que vous savez la mémoire enchevêtrée de nos défaites, de nos absences, corps mélangés, corps détruits, corps brisés, corps violés, corps démembrés dans des sacs, des sacs en plastique, ces corps sont les nôtres car

nous sommes tous palestiniens

est-ce que vous savez le sens du mot interdit, génocide, que de gesticulations avant de l’énoncer, guerre, conflit et je ne sais quoi encore, il s’agit de l’extermination d’un peuple, dites-le, l’extermination d’un peuple, jusqu’au dernier, dites-le, ils tuent parce qu’ils ont le pouvoir de le faire, livestreamed 24 sur 24 sur nos écrans, ils tuent parce qu’ils sont des monstres mais ce mot leur fait un grand honneur, que sont-ils, nul ne le sait encore, nul ne le saura jamais, inscrivez donc le mot génocide dans les lanières de votre mémoire, inscrivez le mot génocide dans vos rêves gorgés d’espoir et dans vos lassitudes, proches et lointaines, qu’importe, souvenez-vous-en, qu’il accompagne votre moindre souffle car

nous sommes tous palestiniens

savez-vous la nudité des âmes, savez-vous qu’il n’y a désormais nul lieu où se cacher, qu’on ne peut masquer ce qu’on est et qu’ils sont obscènes tous ces vendus qui profèrent le silence dans les espaces confinés de leur servitude, ne parlons pas de ceux qui font la propagande du génocide, vous vous retrouverez non pas dans les poubelles mais dans les enfers de l’histoire, c’est une promesse, savez-vous donc la nudité des âmes et les âmes des palestiniens sont nues, leurs entrailles étalées sur le parterre de nos indifférences, et oui les âmes des palestiniens sont nues, la nudité du bien absolu, ce bien affranchi de toutes les stigmates de l’ombre et des faux semblants, la radicalité du bien et

nous sommes tous palestiniens

savez-vous ce qu’est Gaza véritablement, Gaza est l’incarnation et le prélude, le prélude et l’incarnation, l’incarnation de la pestilence coloniale, on n’invente rien, les mêmes procédés, les mêmes logiques, Gaza-Amérique, Gaza-Algérie, Gaza-Chagos, piller, voler, bêcher les terres, génocider les corps, génocider les âmes, cinq siècles que cela dure mais cela n’empêchera pas les néo-colonisés ici-bas, de se prosterner devant leurs maîtres, peaux noires, masques blancs, nous ne sommes pas encore sortis de l’auberge, et Gaza est le prélude, Gaza est le visage de ces violences qui nous engloutiront, bientôt car que sommes-nous pour ces maîtres du monde sinon des déchets, corps déchets, corps qu’on peut disposer à volonté, vous et moi, les damnés de cette terre, de toute terre, souvenez-vous-en gaza est l’incarnation et le prélude et

nous sommes tous palestiniens

savez-vous que nous sommes peut-être morts alors qu’ils sont vivants, morts car empêtrés dans les velléités de nos vies absurdes, de nos quêtes de l’insensé, assassinées par les frénésies de l’écran et de la consommation, notre cœur est mort, savez-vous que ceux qui sont morts sont vivants, ils sont la lumière qui énonce l’aube et la lumière qui dérobe les crépuscules, ils sont dans l’air qu’on respire, flammes dans nos imaginaires absents, ils sont l’élan de la résistance et le socle d’un autre monde, ils sont les cavalcades de l’utopie, son serment, ceux morts parce qu’ils sont trop beaux, ceux morts parce qu’ils sont trop purs, ceux morts pour qu’on puisse ressusciter et

nous sommes tous palestiniens

et puisons dans le règne de leur foi, de leur amour, la force d’être et de résister, puisons dans le sourire de Khaled, le grand-père de Reem, la parole incantatoire, oui, la parole incantatoire, la parole qui excave, la parole qui déterre, mais ce ne seront plus des mots mais des tempêtes mais ce ne seront plus des mots mais des fulgurances, ce ne seront plus des mots mais le déploiement de ces marées faites des laves de leur sang, ce ne seront plus des mots mais la genèse de la lumière, de la lumière de ceux qui n’ont rien mais qui ont tout, de ceux qui se nourrissent de la substance de l’essentiel, de ceux qui nous enseignent le sens de notre être et le sens de notre cœur, de ceux qui nous libèrent pour qu’on puisse libérer le monde

et nous sommes tous palestiniens

souvenez-vous-en, nous sommes tous palestiniens

 

*Poème lu lors de la Zourne artistik, Liber Palestin, organisé par la SOMALP

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