Nous, le peuple mauricien

DANIELLE PALMYRE

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Nos mains n’ont pas tremblé lorsqu’il a fallu placer trois croix sur notre bulletin de vote. Notre choix était fait et rien n’aurait pu nous arrêter. Ces trois croix représentaient notre libération de longues années d’oppression et de mépris des règles de la démocratie et de la bonne gouvernance. Nos mains étaient déterminées à ne pas trembler, parce qu’il y allait de notre survie et de la survie des valeurs de notre république. C’était aussi la convergence de toutes les frustrations, les brimades, les injustices et les atteintes à nos libertés. Chacun/e de nous avait ses raisons pour ne pas hésiter à placer ces trois croix au bon endroit. C’était un devoir de loyauté envers notre patrie et notre peuple, attachés que nous sommes à notre Indépendance et à nos valeurs démocratiques.

Ces dernières années, nous étions déjà descendus dans la rue pour exprimer notre mécontentement sur la façon dont notre pays était gouverné. Nous avions déjà fait entendre notre voix sur les lois liberticides, les restrictions à la liberté d’expression, les injustices, les passe-droits, le népotisme et tant d’autres «ismes» dont nous avons été affligés. Le Covid a été un calvaire tant sur le plan de la santé que sur celui de la gestion de la pandémie. Nous avons tremblé pour nos proches. Nous en avons perdu beaucoup. Notre argent a été dilapidé. Notre peuple a vécu un véritable trauma, dont nous ne nous sommes pas encore relevés.

Alors notre main n’a pas tremblé dans l’isoloir.

L’attente a laissé place à une bienheureuse stupeur. Les résultats nous ont surpris nous-mêmes. Quoi ! nous avions produit ce miracle ? Nos cœurs ont frissonné de joie, avec ce sentiment d’une immense libération. Le poids de l’oppression est parti. Cela a fait trembler nos corps. Nous avons senti tous ensemble cette vibration qui nous a traversés au lendemain des élections, lorsque les premières tendances se sont confirmées. Et lorsque le résultat final a été proclamé, nous avons été soulagés. Les vannes longtemps retenues ont lâché et une déferlante d’émotions, de joie, d’espoir, de fierté nous a emportés, dans un sentiment d’unité nationale. Oui, nous sommes un seul peuple et une seule nation, comme le proclame notre hymne national. AS ONE PEOPLE, AS ONE NATION.

Cependant, avec l’espoir qui habite nos cœurs et nos esprits pour une Ile Maurice meilleure, quelque chose d’autre tremble maintenant en nous. Nous savons maintenant dans notre chair ce que cela signifie de perdre nos libertés. Nous savons qu’il est toujours possible pour certains d’accaparer le pouvoir avec arrogance, de s’enrichir éhontément sur le dos de notre peuple, quitte à mettre en péril notre avenir, de dilapider les fonds publics (notre argent), de dégrader notre économie et d’afficher du mépris pour nos valeurs les plus chères. Il est facile de vaciller du côté obscur de la force. Parce que notre cœur tremble devant la perspective d’un régime autoritaire, nous regardons maintenant ceux que nous venons d’élire avec des yeux qui ont pleuré. Nos attentes sont grandes, nos exigences sans concession.

60-0 est l’opportunité historique que nous avons donnée à ces femmes et à ces hommes de permettre à notre pays de renaître de ses cendres. Parmi eux, il y a les anciens qui ont de l’expérience mais qui ont pris de mauvaises décisions dans le passé. Ils ont leur part de responsabilité dans ce qu’il est advenu de notre pays ces dernières décennies. Parmi nos élus, il y a des jeunes et des néophytes, qui devront apprendre l’humilité et la compétence pour se mettre au service de notre pays, sans être grisés par ce soudain accès au pouvoir. Cette belle combinaison intergénérationnelle de l’expérience et de la jeunesse devrait permettre une approche innovante de l’exercice de la politique, ainsi qu’une sensibilité accrue aux défis immenses que doivent relever notre pays et notre planète. Nous tremblons à l’idée que l’on revienne aux vieux réflexes, aux vieilles habitudes, à ces méthodes clientélistes et désuètes de faire de la politique.

Nous voulons et nous espérons qu’ils saisissent cette chance historique de travailler pour le bien commun et non leur propre enrichissement. Nous voulons et nous espérons qu’ils rendent à nos institutions leur indépendance et leur efficacité. Nous voulons et nous espérons qu’ils utilisent toutes les formidables compétences dont l’Ile Maurice a besoin pour avancer et progresser. La politique partisane nuit à notre pays. Nos jeunes et moins jeunes doivent, sans discrimination, pouvoir contribuer au développement de notre société. La justice pour tous, le rejet des préjugés et des ti-lespri, la transparence dans la gestion des affaires publiques, le soutien aux plus pauvres doivent être les valeurs qui guident nos nouveaux élus.

Quelles sont les priorités que ce nouveau gouvernement devrait avoir à cœur ?

l En tout premier lieu, nous, le peuple mauricien, lui demandons de poser le cadre de la bonne gouvernance, de se doter de systèmes de représentation, d’institutions, de procédures, de moyens de mesure, de processus d’évaluation qui assurent le bon fonctionnement de notre démocratie. Nous, le peuple mauricien, serons particulièrement attentifs à la manière dont les institutions publiques conduisent les affaires publiques, gèrent les ressources publiques et respectent nos droits sans abus ni corruption. Pour que le pouvoir de ce gouvernement demeure légitime, il faut que la population ait le sentiment qu’il est exercé par les « bonnes » personnes, selon de « bonnes pratiques » et dans l’intérêt commun.

Une de ses priorités devra être la lutte contre la corruption qui gangrène régulièrement le fonctionnement de notre démocratie. Quels sont les garde-fous que ce gouvernement mettra en place, pour s’assurer qu’on ne pratique pas la politique des petits copains, qu’on n’achète pas des privilèges, qu’on respecte les règles de méritocratie, etc. ? Que fera-t-il pour que les fonctionnaires restent au service du peuple et non de certains, avec une politique de Get-figir ?

Dans quelle mesure, ce gouvernement va-t-il garantir que les cadres juridiques, les institutions, ainsi que les processus politiques, administratifs et de gestion répondent aux besoins de la population mauricienne et respectent nos droits ? Quelles sont les valeurs qui vont orienter son travail et les mesures à mettre en place pour veiller à ce que nos élus puissent être tenus responsables de leurs décisions ? Le rôle des administrations locales ? Le droit à l’égalité et à la non-discrimination, la protection des personnes vulnérables et marginalisées ? L’amendement de la Constitution pour consolider notre mauricianité et nos libertés et faire en sorte qu’il ne soit plus possible de bafouer sans vergogne les droits du peuple mauricien ?

lNous, le peuple mauricien, voulons que ce nouveau gouvernement implique les communautés locales dans des décisions les concernant directement dans leur vie quotidienne. Comment se fait-il qu’il y ait encore des régions qui n’ont pas un accès régulier à l’eau et où les coupures d’électricité sont monnaie courante ? Comment se fait-il que l’on abatte des arbres, qu’on bétonne sauvagement notre pays sans tenir compte de l’impact sur l’environnement et sur l’habitat ? Ces aménagements faits sans planification ni consultation — comme le métro qui passe en plein centre-ville de Quatre-Bornes — ont rendu cauchemardesque la vie des commerçants et des résidents.

l Un des grands enjeux pour l’avenir de notre pays est la façon dont les besoins économiques vont s’inscrire dans une vision de développement durable. Comment pondérer les aspects économiques d’une activité par ses dimensions sociales et environnementales, avec un souci du long terme et de la préservation des ressources naturelles ? La tragédie environnementale de Mare-Chicose devrait éveiller notre conscience sur le risque de plus en plus élevé que notre pays devienne une bombe prête à exploser, avec des conséquences terribles pour la santé de tous et la survie de notre île.

l J’ai une pensée spéciale pour les jeunes et leur formation. Que va faire ce gouvernement pour promouvoir une éducation ambitieuse à la hauteur des défis du monde actuel ? Une éducation qui offre à nos jeunes les moyens de réfléchir aux enjeux planétaires, d’acquérir des connaissances et des compétences indispensables à leur avenir et d’avoir le désir de contribuer à l’avancement de notre pays qui a tant besoin de ses ressources humaines ? Saura-t-il faire renaître suffisamment d’espoir et d’opportunités pour que nos jeunes aient le désir de rester dans leur pays au lieu de le fuir?

Bref, que ce nouveau gouvernement mette en place les piliers de la bonne gouvernance

– la transparence ;

– la responsabilité ;

– l’obligation de rendre compte de ses actes ;

– la participation ;

– la capacité de répondre aux besoins de la population.

Notre cœur tremble devant la tâche que nous leur avons confiée et nous espérons ne pas avoir à les sanctionner par les urnes dans quelques années, parce qu’ils auraient oublié qu’ils nous représentent et qu’ils auraient pris des décisions à l’encontre du bien de tous. Nous, le peuple mauricien, avons grandi, avons mûri, sommes devenus plus sages, plus avertis. Il faut cesser de croire que la majorité silencieuse qui encaisse pendant longtemps n’est pas capable de se lever un jour et de dire NON aux despotes et autres roitelets en tous genres. Nous pourrons encore, sans trembler, mettre trois croix quand il le faudra, où il le faudra. Et nous chanterons notre hymne national haut et fort.

56 ans après l’Indépendance, l’histoire de notre pays n’est toujours pas enseignée officiellement, mais cette victoire du peuple mauricien et de la démocratie démontre que, malgré toutes les tentatives de division, une grande majorité d’entre nous est déterminée à faire l’histoire ensemble, à l’écrire avec notre sang, notre sueur et toutes les couleurs de nos diversités. AS ONE PEOPLE, AS ONE NATION.

Que ce nouveau gouvernement ne fasse trembler nos cœurs qu’en bien! Sinon, nous, le peuple mauricien, exercerons de nouveau le pouvoir de nos trois croix au moment voulu.

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