Le 15 avril 2019, les yeux embués de larmes, nombre de parisiens avaient vu la flèche de Notre-Dame s’effondrer dans les flammes. C’est la même émotion qui s’est emparée d’eux lorsqu’ils ont entendu le bourdon de la cathédrale sonner à nouveau. C’est à ce moment que l’archevêque frappa trois fois trois coups de sa crosse sur les lourdes portes et que les chœurs et le grand orgue lui répondirent dans une mise en scène qu’on n’avait jamais vue depuis l’invention du cinéma. De même la consécration du nouvel autel par l’encens et le saint-chrême faisait remonter ce genre de cérémonie à Abraham ou à Melchisédech, c’est-à-dire peu ou prou à quatre mille ans de nous. Ces rites hérités de la lointaine Mésopotamie nous parlaient de lieux et d’histoires bibliques au moment même où tombait à Damas un de ces tyrans sanguinaires dénoncés par les tragédies raciniennes d’Esther et d’Athalie…
Étrange clin d’œil de l’Histoire.
Mais dans Notre-Dame illuminée et dont les voutes n’avaient jamais été aussi claires depuis que Maurice de Sully les avait fait bâtir au douzième siècle, une quarantaine de chefs d’Etats ou de gouvernements avaient été conviés en remerciement comme représentants des pays donateurs. Dehors, une foule silencieuse faisait crépiter ses portables. Elle pouvait voir les pinceaux lumineux des projecteurs qui éclairaient par instants le sommet de la flèche reconstituée à l’identique.
Dans cette foule et dans l’église, quelques absents de marque : le promoteur initial de l’opération Maurice de Sully (1120-1196), Louis IX dit Saint-Louis, mais aussi Louis XIV qui a donné la piéta de marbre blanc épargnée par l’incendie, Maximilien de Robespierre qui inaugura là son temple de la déesse Raison, sa majesté l’empereur Napoléon, Victor Hugo, Eugène Viollet-le-Duc, Charles de Gaulle pour finir en beauté… Quel mélange mais quelle continuité.
Ceux qui ont occupé la plus grande place sur la scène du monde ne sont pas ceux à qui je vais rendre hommage. Le premier, c’est évidemment Victor Hugo dont le roman Notre-Dame de Paris, traduit en je ne sais combien de langues a ressuscité l’intérêt pour la vieille cathédrale mise à mal par les révolutionnaires et, bien entendu, le jeune Viollet-le-Duc qui sut faire de « la carcasse branlante » – ce sont ses mots – dont il avait hérité un monument gothique plus vrai que le vrai… Je ne saurais oublier les pompiers qui ont sauvé le bâtiment et les 2000 artisans qui, pendant cinq ans, ont rendu sa splendeur à la cathédrale et ont honoré de leur travail la promesse imprudente faite par le président de la République.
Les voutes réparées, la flèche remontée, les vitraux nettoyés, les boiseries réparées, les peintures restaurées, les murs rafraichis, le grand orgue dépoussiéré, il y eut encore de quoi se réjouir. Car les fouilles du transept ont mis au jour un grand nombre de sépultures inconnues et, surtout, des fragments importants du jubé du treizième siècle, trouvaille archéologique aussi importante que la redécouverte en 1977 des 28 têtes des rois de Juda qui avaient été décapités en 1793 et furent mis au jour dans le 9e arrondissement de Paris.
Si j’ai une prière à faire en un si grand jour, ce serait que ces fragments puissent être rassemblés et remontés pour ce qu’il en reste, au musée de Cluny ou au musée des monuments français par exemple. Quant à Victor Hugo qui s’ennuie au Panthéon d’où l’on ne voit pas Notre-Dame et Viollet-le-Duc dont l’effigie de cuivre figure au pied de sa flèche mais qui est allé mourir à Lausanne en 1879, ne mériteraient-ils pas, ces deux-là, que leur mémoire soit célébrée par une belle inscription dans une des chapelles de la cathédrale ?
À un moment où la planète est en grand désarroi du fait des guerres et de l’incertitude de l’avenir, la réouverture de Notre-Dame a été un signe de renouveau et d’espoir qui peut se prolonger pour tous les humains de bonne volonté. On voudrait le croire.
Hubert JOLY,
Président du Conseil international de la langue française, Paris