« La nuit ne serait jamais que nuit si le cri d’un tout-petit ne l’avait désarçonnée » – Francine Carrillo (pasteure protestante)
REYNOLDS MICHEL
Les évangiles (Marc, Matthieu, Luc, Jean) sont très sobres sur la naissance de Jésus. Tout juste une phrase dans l’évangile de Luc : « Le temps où elle devait enfanter fut accompli. Marie mit au monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune » (Luc II, 7). Par cette expression simple mais claire, Luc nous conduit au cœur de cette nuit sainte : Marie mit un monde son fils premier-né. Le cri d’un tout-petit a désarçonné la nuit. Désormais, la lumière brille dans les ténèbres.
Retournons un instant en arrière de quelques versets pour suivre Marie et Joseph et tous ceux et celles qui se cachent dans leurs pas. Par décret de l’empereur, Marie et Joseph se sont vus obligés de partir, comme aujourd’hui des centaines de milliers de migrants contraints de fuir la violence, la persécution ou la faim. Ils ont dû, tout comme eux, quitter leurs proches, leur maison, leur terre et se mettre en route.
Marie et Joseph pour être recensés, les migrants pour un monde plus accueillant.
Un trajet pas du tout commode ni facile pour un jeune couple qui était sur le point d’avoir un enfant. Un trajet périlleux de plusieurs mois pour ces centaines de milliers de réfugiés accompagnés d’enfants qui empruntent des routes illégales et dangereuses en quête de plus de sécurité et d’une terre plus hospitalière.
Dans leur cœur, Marie et Joseph étaient pleins d’espérance et d’avenir, comme nos réfugiés d’aujourd’hui : Marie et Joseph à cause de l’enfant qui était sur le point de naître, eux, nos réfugiés, dans l’espérance de trouver refuge et protection dans un pays hôte, même si leurs pas, comme Marie et Joseph, étaient chargés d’incertitude et des dangers propres à qui doit quitter sa maison, sa terre, dans l’espérance d’un ailleurs meilleur.
Arrivés à Bethléem, Marie et Joseph font l’expérience que c’était une terre qui ne les attendait pas, une terre où il n’y avait pas de place pour eux. Arrivés à Calais, la dernière étape de leur route migratoire, du moins pour un certain nombre de migrants, avant de rejoindre l’Angleterre, le pays hôte choisi, ils/elles sont harcelé-e-s. et traqué-e-s, confronté-e-s à une politique des « non-points de fixation » et les destructions quotidiennes – les lacérations de leurs tentes… – de leurs lieux de vie. Comme faire face à une telle situation ? Comment garder l’espoir… ?
Noël, une lumière source de joie et d’espoir
Et justement là, dans cette situation qui était un défi, Marie nous a offert un nouveau-né : joie après les rudes épreuves de la route, lumière dans l’obscurité d’une ville qui n’a ni espace, ni place pour l’étranger qui vient de loin et gage d’espérance dans un monde sans cœur pour les petits, les migrants et autres laissés-pour-compte. Pour les chrétiens, ce nouveau-né est celui en qui Dieu se révèle, se communique aux hommes. C’est la lumière qui brise l’obscurité. Alors que les bergers veillaient sur leurs terres, « Un ange du Seigneur se présenta devant eux, la gloire du Seigneur les enveloppa de sa lumière » (Luc 2,9). Et l’ange leur dit : « Il vous est né aujourd’hui, dans la ville de David, un sauveur, et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » (Luc 2, 11).
Toujours dans la perspective chrétienne, cette nuit-là, l’amour de Dieu s’est montré à nous : c’est l’enfant Jésus. En Jésus, Dieu est venu habiter parmi nous en se faisant un des nôtres et proche de nous. En cette première nuit de la Nativité, à Bethléem, « cette Bonne Nouvelle » est « annoncée à ceux qui n’avaient pas de place dans les rues de la ville comme nos migrants à Calais, Lesbos ou ailleurs ». Par leur travail, les bergers devaient vivre en marge de la société. Leurs conditions de vie, les endroits où ils étaient contraints à se trouver les empêchaient d’observer toutes les prescriptions rituelles de purification religieuse. De ce fait, ils étaient considérés comme impurs, des gens dont il fallait tenir à distance, avoir peur comme nos migrants. Et si vous ajoutez à cela leurs peaux, leurs vêtements, leur odeur, leur façon de parler, vous devenez fou. Bref, tout en eux, suscitait la méfiance, comme chez nos migrants : ces étrangers parmi les Français de souche ou parmi d’autres citoyens.
Un enfant est né au milieu des bergers. « En lui était la vie, et la vie était la lumière du monde » (Jean 1, 4). C’est Noël, joie sur la terre. La vierge Marie, comme toutes les mères, est heureuse et sourit. C’est Noël, joie et espérance dans un monde où les opprimés se libèrent. Voilà la joie qu’en cette nuit nous sommes invités à partager, à célébrer et à annoncer. Fort de cette joie et de cette espérance, des hommes et des femmes n’hésitent pas, malgré toutes les tracasseries policières et restrictions de l’accès à l’aide humanitaire, à venir en aide – distribution de nourriture, de vêtements, aide dans les démarches administratives, hébergement…– aux migrants, réfugiés et demandeurs d’asile. Et ce, à travers de nombreuses associations d’inspiration religieuse ou laïque qui ont pour objectifs : défendre le droit des migrants à vivre dignement sur le territoire où ils se trouvent ; les épauler dans leurs démarches administratives et juridiques et exiger du gouvernement une politique migratoire qui respecte les droits humains et les lois de l’hospitalité. L’aide de ces hommes et femmes d’espérance est pour nos frères migrants source de joie, de force et d’espérance.
C’est la joie et l’espérance lorsque les hommes se reconnaissent et s’aiment comme des frères. Joyeux Noël à toutes et à tous !