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Ni Chaînes ni Maîtres : une appréciation critique

AMENAH JAHANGEER-CHOJOO

Les premiers plans montrent des esclaves travaillant dans un champ de cannes à sucre et pressant la canne dans des rouleaux verticaux. Cela serait historiquement correct pour la période post-1825, lorsque la culture de la canne se répand, suite à l’égalisation des droits de douane par rapport au sucre antillais en Grande-Bretagne. Les presses verticales seraient introduites par Charles Telfair, l’ami de Farquhar. De même, les maisons comme Eureka n’arrivent qu’après. Mais non ! Le film mentionne 1759 comme la date de ces événements, ce qui détruit toute l’historicité du déroulement. La production aurait pu faire un effort dans ce sens car elle ne fait que renforcer les confusions et stéréotypes liés à l’esclavage.

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De plus, je ne tiens pas rigueur au cinéaste, Simon Moutaïrou, de montrer des paysages remplis de plantes exotiques car il ne trouverait nulle part à Maurice la végétation de l’époque française. Cependant, il aurait pu couper les séquences avec les poteaux électriques !

Ces réserves posées, ce film fait ce que seul le cinéma peut réaliser : faire revivre le passé avec des images, des sons, des effets spéciaux, tout en racontant une histoire. Tout cela il le fait puissamment. Nous sommes happés, pétris, émus et choqués, sachant que tout cela se déroulait bien chez nous, comme ça ou presque. Toutes les passions humaines se déchaînaient sous le régime esclavagiste, mais elles s’expriment encore pareil maintenant, même si, au fil du temps on a posé des freins et contrepoids. Ce film nous jette au visage ce que nous sommes et interpelle notre conscience. Car nous sommes tous Massamba mais aussi Madame La Victoire ! Aurions-nous fait les choses différemment ?

L’autre inexactitude qui fait frémir l’universitaire en moi est que Massamba est un esclave d’origine ouest-africaine, et il trouve une communauté de cette origine en 1759, car il peut parler sa langue. Or, bien qu’il y ait, au début de la période française, des esclaves de cette origine il était bien trop coûteux de les amener d’aussi loin. La mortalité serait trop élevée pendant le passage. Aussi, on les achetait sur la côte sud-est d’Afrique et à Madagascar. Massamba aurait dû être Malgache ou Mozambique.

Par ailleurs, il est au crédit du cinéaste de nuancer le caractère des « maîtres ». Si certains avaient la conscience complètement émoussée, s’appropriant des doctrines de l’église ou des idées esclavagistes de l’époque, d’autres étaient bien plus humains. Nous n’oublions pas que dans 30 ans, influencés par les philosophes des lumières et motivés par la faim, le peuple français procèdera à une grande révolution qui va faire avancer les idées humanistes. Par contre, il ne fait pas de telles nuances pour les esclaves. Ils sont tous très serviables, coopératifs, aimants, ce qui n’est pas réaliste. La délation, la trahison et la violence étaient bien présentes parmi les opprimés, comme les divisions ethniques internes.


Par contre, même si Madame La Victoire a bien existé, et fut bien chasseresse de marrons, elle serait décédée de mort naturelle à l’âge, très mûr pour l’époque, de 69 ans. 

En conclusion, « Ni chaînes, ni maîtres » est un film puissant qui évoque une partie de l’histoire mauricienne, mais ne saurait remplacer un ouvrage d’historien.

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