Nous, les musulmans, avons la chance de vivre dans un pays où nos droits sont respectés. Nous avons la possibilité de pratiquer notre religion en toute liberté. Tout n’est certes pas parfait, mais il est légitime d’affirmer que nous sommes une minorité protégée. Cela est tout à fait remarquable quand on considère la situation d’autres minorités à travers le monde. On peut être critique à l’égard des pratiques des autres.
C’est notre droit le plus élémentaire. Mais nous devons aussi respecter les choix des autres car le respect de l’autre est aussi l’appel au respect mutuel. D’autant plus que nous sommes particulièrement bien placés pour comprendre les logiques de la diabolisation, médiatique notamment. Et la force de la société mauricienne, qui a ses défauts, nombreux comme on le sait, tient au fait qu’il y a un pacte de la tolérance. On n’adhère pas aux croyances des autres, mais on les respecte et inversement. Quand certains refusent radicalement l’autre, ils rompent ce pacte et ouvrent la porte à tous les excès. Aujourd’hui, on stigmatise l’autre au nom de nos croyances et demain on nous stigmatisera au nom d’autres croyances. Il faut comprendre que notre vérité absolue n’est pas celle des autres et, à défaut de pouvoir l’accepter, on doit s’en accommoder. Notre situation minoritaire nous autorise un surcroît de lucidité sur les privilèges qui nous sont accordés et sur leur précarité aussi, elle nous invite à une nécessaire tolérance à l’égard des autres car il en va de notre survie et de leur survie.
Ceci dit, le comportement d’une minorité au sein d’une minorité ne doit en aucun cas justifier les amalgames ou les provocations. On a l’impression aujourd’hui que la parole haineuse est libérée. Ainsi, celui qui vit sa foi paisiblement, qui vit dans un rapport de paix avec l’autre est mis sur le banc des accusés. On lui demande, par ailleurs, d’expliquer les agissements des autres. On relègue aux oubliettes la complexité d’une communauté dont les sensibilités sont nombreuses et divergentes. Elle devient le bouc-émissaire, incarne le mal, celle sur qui convergent toutes les angoisses, tous les fantasmes. L’empiètement des droits des autres est dangereux, mais l’amalgame entre ceux, la très grande majorité, il faut le préciser, qui vivent sereinement leur foi et ceux qui ont d’autres logiques est encore plus dangereux. On ne guérira pas des excès par des excès inverses, ainsi en enfermant toute une communauté dans l’étau de la caricature, des stéréotypes sinon même de la haine.
Il est impératif, par ailleurs, de s’éduquer. On est effarés par la médiocrité hallucinante des débats sur Facebook et ailleurs. L’arrogance côtoie les courts-circuits de l’esprit quand ce ne sont pas carrément des appels à la violence. Il faut s’engager à comprendre l’autre dans sa complexité. En d’autres mots, lire, réfléchir, dialoguer, briser les mythes, non parce qu’il s’agit de tout accepter, loin de là, mais parce que l’ignorance sert de combustible au fanatisme, elle nourrit les fantasmes, les peurs et génère la violence.
Il est temps sans doute de retourner à l’essence de nos spiritualités ou de notre humanisme, dont les enseignements se rejoignent à divers degrés. Que nous disent-ils ? Qu’il faut ancrer son existence dans une transcendance, que notre vie doit être celle du dénuement, du partage ou encore de la compassion. On brandit nos différences avec force et ces différences sont réelles, pas lieu de les nier, mais, en ce faisant, on risque de se tromper d’ennemi. L’ennemi, le véritable Pharaon, pour se référer aux textes sacrés, n’est pas cet autre, lui-même minoritaire, qui veut s’affirmer, parfois de façon maladroite, mais ce système économique, le néo-libéralisme, qui broie les vies, un monde au seuil d’une guerre apocalyptique ou encore la corruption des politiques. En se trompant d’ennemi et de combat, on perpétue le règne des Pharaons, grands et petits.