Narendranath Gopee : « Il faut décentraliser la PSC »

Décentraliser la Public Service Commission (PSC) est une nécessité. C’est ce que soutient en tout cas Narendranath Gopee, négociateur de la Federation of Civil Service and Other Unions (FCSOU). En mettant sur pied une branche de la PSC dans chaque district du pays, le gouvernement arriverait ainsi à résoudre le problème de manque de personnel dans les ministères, dit-il.

- Publicité -

Parlant de sa rencontre avec le ministre de la Fonction publique, Raj Pentiah qualifie cette dernière de « trop élargie », ajoutant qu’il n’a pu exprimer le fond de sa pensée en ce qui concerne la réforme du secteur. Dans l’interview qui suit, il aborde également la publication du prochain rapport du Pay Research Bureau (PRB), tout en déplorant le fait que, jusqu’ici, le PRB n’a pas cru bon de rencontrer les dirigeants des fédérations syndicales de la fonction publique en prélude de la publication du prochain rapport. Il dit par ailleurs avoir protesté énergiquement auprès du Secrétaire au Cabinet afin de convoquer une réunion urgente avec la direction du PRB. Valeur du jour, dit-il, les relations industrielles entre les fédérations syndicales et certains hauts fonctionnaires ne sont pas au beau fixe. « Cela envenime la situation », insiste-t-il.

Vous avez participé récemment à une rencontre organisée par le ministre de la Fonction publique, Raj Pentiah, avec les syndicats représentant ce secteur. Quelles en sont les retombées ?

Cette réunion était Workable. Je m’attendais que le nouveau ministre convoque une réunion au moins deux semaines après avoir été installé à son poste pour que nous puissions le mettre au parfum du système de fonctionnement de la fonction publique et des différents problèmes auxquels les fonctionnaires ont à faire face.

Ce que je n’ai pas du tout apprécié lors de cette réunion, c’est que trois fédérations syndicales reconnues et d’autres syndicats qui tombent sous la tutelle de ce ministère ont été convoqués en même temps, et que tout le monde a eu droit à la parole. Cela démontre un peu la naïveté du ministre lorsqu’il est question de gérer les relations industrielles.

Ce n’est pas le Premier ministre de la Fonction publique avec lequel nous avons travaillé. D’ordinaire, dans ce genre de réunion, ce sont les présidents ou les délégués des fédérations syndicales qui prennent la parole. Or, en accordant la parole à une dizaine d’intervenants, nous n’avons pas le temps de dire le fond de notre pensée.

La fonction publique fait face à d’innombrables problèmes. Au cours de cette rencontre, j’ai pu utiliser des mots très forts pour faire comprendre au ministre quelle est la situation exacte dans laquelle nous évoluons. Nous parlons de réforme dans la fonction publique, mais cela ne se fait pas uniquement en écoutant les différentes parties concernées. C’est bien d’écouter, mais trouver des solutions relève d’un travail d’équipe. Les fédérations syndicales du service civil doivent être on board dans toutes discussions afin d’apporter les changements appropriés.

Donc, vous n’avez pas été satisfait de la réunion…

J’ai été un peu déçu, car j’avais beaucoup à dire ce jour-là. Le ministre a pris la parole lors de mon intervention, et donc le temps qui m’a été alloué a été réduit considérablement. Mais j’ai pu quand même m’exprimer en lui disant que the public service sits on the barbarous relics of the colonial mindset. Cela résume exactement le secteur public.

Nous sommes face à un système de gestion qui n’a pas changé depuis 50 ans et nous continuons à nous fier à un document pour gérer la fonction publique, les PSC Regulations. Le Mindset de beaucoup de Responsible Officers n’aide pas le service public à évoluer et, en sus de cela, nous avons affaire à de l’ingérence politique, qui vient compliquer la gestion de la fonction publique.

Sous l’ancien régime, des ministres s’ingéraient dans les décisions administratives qui, normalement, ne tombaient pas sous leurs prérogatives. Il y avait aussi l’attaché de presse d’un ministre en particulier qui se faisait passer pour un fonctionnaire et intervenait dans les affaires administratives dudit ministère. Tout cela n’aide pas la fonction publique à évoluer.

Si cette situation perdure, le nouveau ministre peut apporter n’importe quelle loi, la situation continuera à s’envenimer. Maintenant, le nouveau ministre veut venir de l’avant avec le Public Sector Reform Bill. La gestion de la fonction publique, surtout lorsque nous savons que c’est une Service-Oriented Organisation, dépendra surtout sur la touche humaine inculquée. Et cela ne dépend pas des lois.

Je suis en faveur d’une loi visant à rendre les fonctionnaires redevables envers le public. Selon moi, cette partie sera également couverte par la Freedom of Information Act, où tous les ministères deviendront redevables. Cette partie sera également couverte par le projet de loi de la Public Interest Litigation qui sera mise en place.

La fonction publique n’a pas besoin d’une nouvelle loi, mais d’une touche humaine. Le ministère ne doit pas tenter de gérer la fonction publique en créant une atmosphère de frayeur chez les fonctionnaires pour qu’ils puissent opérer. Le ministre doit bien réfléchir avant d’apporter des changements. Il serait d’ailleurs plus juste qu’il vienne de l’avant avec une série de transformations à travers une feuille de route pour son ministère. Et qu’il travaille ensuite en collaboration avec les fédérations syndicales afin de redresser la fonction publique. En sus, il y a déjà une unité, plus connue comme la Public Sector Transformation, mais qui, en raison d’un manque d’effectifs, n’a jamais réussi à opérer comme elle devrait.

Vous dites que vous n’avez pas eu le temps de tout dire lors de la réunion. Peut-on savoir de quoi vous parlez ?

Le ministre n’a pas assez été conseillé avant de venir à cette réunion. Nous n’avons pas eu l’occasion de dire dans quelle direction nous souhaitons que la fonction publique aille. Pour redresser la fonction publique, il faut d’abord identifier la racine du problème, et qui concerne le recrutement et l’exercice de promotion.

Or, l’organe chargé de recruter les fonctionnaires n’est autre que la PSC. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas facilement effectuer des recrutements parce qu’il existe tout simplement une seule PSC. Nous avons affaire à un seul président et à un seul conseil d’administration, et cette façon d’opérer retarde tout l’exercice de recrutement.

Pourquoi ne pas mettre sur pied une PSC dans chaque district ? Pourquoi la PSC devrait-elle être localisée uniquement à Forest-Side ? Nous pourrions d’ailleurs aussi avoir des unités mobiles. Pourquoi la PSC ne peut-elle pas siéger dans un ministère ? Donc, la solution existe pour effectuer des recrutements rapidement. Nous pourrions aussi avoir plusieurs présidents de la PSC et plusieurs conseils d’administration. Ce monopole de la PSC est dépassé. Si nous continuons à garder ce modèle, la fonction publique piétinera définitivement.

Le ministre parle de « recrutements barbares » tout juste avant les dernières élections ? Qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas d’accord avec lui. Peut-être que ces recrutements n’auraient pas dû se faire à la veille des élections, mais le service public a besoin de personnel. Si la fonction publique piétine, c’est bien parce qu’il y a un manque accru de fonctionnaires.

Ce problème a d’ailleurs été relevé par le ministre de la Sécurité sociale, Ashok Subron, lors de sa visite surprise au bureau de la Sécurité sociale, à Rose-Hill. Le manque d’effectifs se fait sentir dans pratiquement tous les ministères. Par exemple, il y a un manque de médecins à la Santé, et ce dernier tente d’apporter des transformations en son sein. Mais de l’autre côté, nous constatons que des médecins spécialistes quittent le service pour faire carrière dans le privé. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas la motivation pour travailler dans le service public. Donc, il faut cerner le problème dans le service public dans sa globalité, et non pas regarder le problème seulement au niveau du ministère de la Fonction publique.

Le problème existe dans tous les ministères et, lorsque nous ajoutons tout cela ensemble, nous arrivons à voir où le bât blesse. L’intention du gouvernement d’améliorer le service public est bonne et nous sommes là pour l’aider à accomplir toutes ses intentions et obligations. Mais il faut ériger ce pont permanent entre les gestionnaires, les fédérations et les syndicats. Pour le moment, les relations industrielles au niveau du service Public ne sont pas au beau fixe.

Il y a beaucoup d’attentes sur la publication du prochain rapport du PRB… Comment s’est déroulé l’exercice de consultations ?

Malheureusement, le PRB a mal démarré son travail. Le principe fondamental qui a primé depuis que cette institution a été mise sur pied a toujours été une prise de contact avec les fédérations syndicales avant de dresser ses terms of reference pour son prochain rapport. Jusqu’à 2016, ce principe avait été respecté, et cela a culminé avec la publication du rapport de 2021.

Maintenant, on constate que l’attitude du PRB a changé. Jusqu’à ce 27 janvier, le PRB n’a pas encore trouvé le temps de convoquer une réunion avec les fédérations de la fonction publique pour discuter des Terms of Reference de son prochain rapport.

Les Terms of Reference reflètent la direction du prochain rapport du PRB. Aussi, ils doivent démontrer leur intention de régler les faiblesses qui persistent dans la fonction publique. Sur cette base, nous essaierons de trouver des moyens pour aider le PRB à surmonter ses problèmes. J’ai dû adresser une lettre au nouveau secrétaire au Cabinet pour une réunion en présence du directeur du PRB.  Nous avions sollicité une réunion la dernière fois avec l’ancien secrétaire au Cabinet. Malheureusement, la réunion n’a pas eu lieu, et c’est pourquoi nous avons fait appel cette fois au nouveau secrétaire au Cabinet, Suresh Seebaluck.

Il semblerait toutefois que le secrétaire au Cabinet n’a pas le temps de rencontrer la FCSOU. Voilà le genre d’attitude qui gâte l’entente dans la fonction publique et qui a amené celle-ci à la dérive. Le Head of Civil Service a dit qu’il ferait une requête au Senior Chief Executive du ministère pour rencontrer les dirigeants de la fédération syndicale. Mais le PRB tombe sous la tutelle du Prime Minister’s Office (PMO), et c’est pourquoi nous n’avons pas besoin de réunion avec le ministère de la Fonction publique, mais plutôt avec un représentant du PMO, et pas quelqu’un qui a été délégué par le PMO.

Bon, le moment est un peu tôt pour agir, car le gouvernement n’a pas encore dépassé son moratoire de 100 jours, et donc nous espérons que le secrétaire au Cabinet comprenne l’importance de cette réunion que nous réclamons afin de nous empêcher d’aller vers une manifestation.

Le secrétaire au Cabinet doit comprendre que cela ne serait pas à l’avantage du PMO s’il décide de prôner des conflits d’ordre industriel. Nous, au niveau de la fédération, nous sommes là pour prôner le principe de Conflict Resolution. Nous réitérons donc notre demande au secrétaire au cabinet pour qu’il comprenne la responsabilité de cette fédération vis-à-vis de ses affiliés, parce que l’absence d’une réunion avec le PRB en présence du secrétaire au cabinet met la fédération dans une position embarrassante vis-à-vis de ses affiliés.

Le débat est lancé en ce qui concerne l’application de la semaine de 40 heures dans les secteurs non essentiels. Votre point de vue ?

La semaine de 40 heures doit devenir la norme dans le monde du travail. Tous les travailleurs doivent avoir l’opportunité de travailler seulement 40 heures/semaine. Valeur du jour : les Watchmen opèrent 60 h par semaine. Ce n’est pas normal. Au niveau de la fédération, nous maintenons qu’il faut standardiser les heures de travail pour un monde du travail à visage humain. J’apprécie que ce point soit contenu dans le discours-programme.

Le travail n’est pas une commodité et, au cas contraire, il va à l’encontre de la déclaration de Philadelphie. Nous ne pouvons pas prendre les travailleurs pour des robots. En ligne avec le principe de Work-Family-Life Balance, tous les travailleurs doivent disposer d’un temps adéquat pour s’occuper de leur vie familiale.

La semaine de 40 heures figure d’ailleurs dans la première convention de l’Organisation internationale du Travail, qui date d’après la Première Guerre mondiale. Le nouveau ministre du Travail, Reza Uteem, a une grande responsabilité pour appliquer cette mesure. Étant donné qu’il participera en juin à une conférence internationale, il serait approprié pour lui d’y faire état des démarches entreprises en ce sens. La loi du travail doit être entre-temps amendée pour que la semaine de 40 heures ait force de loi.

Que pensez-vous du discours-programme ?

Ce document a mis en avant les projets du gouvernement pour les cinq prochaines années et traduit un peu le vœu qu’il a exprimé dans son manifeste électoral. Je trouve qu’il y a beaucoup d’intentions du gouvernement pour redresser la situation par rapport à l’économie, la corruption, la fraude, l’indépendance du pays, la justice, l’éducation, etc.

Plusieurs secteurs – dont des initiatives de valeur – ont été mis en exergue dans le discours-programme. Au niveau de la fédération, nous nous intéressons plus particulièrement aux amendements qui seront apportés au chapitre 2 de la Constitution afin de préserver les droits constitutionnels des citoyens. Parmi eux, on compte The Right to Privacy, la Freedom of Expression, etc.

Il faut faire ressortir que le discours-programme fait aussi état de la mise sur pied d’une Constitutional Review Commission afin de travailler sur les amendements appropriés à la Constitution. Nous avons aussi pris note de la décision de prôner la liberté d’expression, d’autant que les syndicalistes et les travailleurs sociaux ont été visés par l’ancien régime, surtout lorsqu’ils descendaient dans la rue.

Nous avons vu comment la police de Pravind Jugnauth faisait tout pour piéger les travailleurs sociaux. Certains ont aussi été victimes à travers des opérations de Planting” Tout cela est effrayant pour un pays qui pratique la démocratie, conformément au chapitre 1 de la Constitution. Lorsque le gouvernement vient parler de démocratie, c’est très important. Avec l’ancien régime, la démocratie était devenue une autocratie et une démocrature.

J’apprécie également l’intention du gouvernement de promouvoir l’agriculture, et je félicite le ministre Arvin Boolell pour sa décision de revoir le certificat de conversion des terres agricoles pour d’autres projets. Le bétonnage des terres doit cesser. Il n’est pas possible de prendre les terres fertiles pour y construire des bâtiments.

Je demande donc au ministre Boolell de prendre une décision ferme sur tout projet de conversion des terres. De même, il doit accorder une attention spéciale à ce qu’on appelle la déforestation, qui est aussi une responsabilité du ministère de l’Environnement.

J’ai aussi pris bonne note de l’intention du gouvernement de venir de l’avant avec l’exploitation de l’énergie éolienne. C’est une proposition que la fédération a mise en exergue dans le cadre des consultations prébudgétaires, même si, malheureusement, le projet ne s’est pas concrétisé. C’est une très bonne idée lorsque l’on tient en ligne de compte que Maurice est une petite île qui reçoit beaucoup de vent, et dont l’on peut donc se servir pour fabriquer de l’électricité propre.

J’en profite pour demander au gouvernement de se pencher également sur une autre alternative : l’exploitation des vagues pour produire de l’énergie électrique. Le discours-programme a aussi mis en perspective pas moins de 71 projets. Cependant, pour les réaliser, cela nécessitera peut-être plus de cinq ans. Il serait mieux pour le gouvernement de mettre en place un fast-track pour choisir des projets à court terme qu’il pourra implémenter durant son mandat.

Vous suivez sans doute les débats autour des Chagos. Quelle est votre réflexion sur les négociations en cours ?

Je ne comprends pas trop le rôle des États-Unis dans la quête pour un meilleur Deal avec les Anglais. Je m’explique : le problème de l’archipel des Chagos a démarré à la veille de l’indépendance, où un deal a été conclu entre Maurice et l’Angleterre.

À cette époque, les États-Unis ne se trouvaient pas dans cette équation. Maintenant que l’Angleterre a fait un deal avec les Américains pour leur donner la permission de mettre sur pied une base militaire à Diego Garcia, c’est une autre chose. Mais je ne vois pas de quelle manière les États-Unis peuvent maintenant dicter un accord entre Maurice et l’Angleterre.

Nous étions une colonie anglaise, pas une colonie américaine. Et même si les Anglais demandent à Donald Trump de lire cet accord, il reste légitime pour Maurice de regagner sa souveraineté sur l’archipel, y compris Diego Garcia, et ce, indépendamment de la position américaine.

Encore une fois, je ne comprends pas pourquoi les États-Unis se sentent concernés par la souveraineté de Maurice sur les Chagos. À l’époque, les Anglais ont mis la pression pour obtenir cet archipel, et l’excision était une des conditions pour obtenir l’indépendance. Nous n’étions pas concernés par le deal que les Anglais ont passé avec l’Amérique.

Que les Anglais perçoivent une location ou non des Américains ou qu’ils leur aient offert cette île gratuitement, ce n’est pas notre problème. Notre problème, c’est la reconnaissance de notre souveraineté et de mettre fin au processus de décolonisation. Et nous devons être compensés pour l’utilisation de nos terres, même si Donald Trump n’est pas content.

 « Sous l’ancien régime, des ministres s’ingéraient dans les décisions administratives qui, normalement, ne tombaient pas sous leurs prérogatives. Il y avait aussi l’attaché de presse d’un ministre en particulier qui se faisait passer pour un fonctionnaire et intervenait dans les affaires administratives. Tout cela n’aide pas la fonction publique à évoluer »

« Malheureusement, le PRB a mal démarré son travail. Le principe fondamental qui a primé depuis que cette institution a été mise sur pied a toujours été une prise de contact avec les fédérations syndicales avant de dresser ses Terms of Reference” pour son prochain rapport »

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -