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Muriel Piquet-Viaux : « Pour une diplomatie culturelle capable de relever les défis contemporains »

Après avoir passé quatre ans à Maurice comme conseillère de la coopération et d’action culturelle et directrice de l’Institut français de Maurice (IFM), Muriel Piquet-Viaux quitte Maurice pour assumer de nouvelles fonctions au Cameroun. Dans une interview accordée à Le-Mauricien, elle souligne l’importance d’une diplomatie « culturelle innovante, inclusive et porteuse de sens, capable de relever les défis du monde contemporain ». Elle se dit satisfaite d’avoir converti l’IFM en un espace conçu tout autant pour les adultes que pour les jeunes, les entreprises, les scolaires, qui pourront le découvrir seuls, en famille, entre amis, mais aussi dans le cadre de parcours éducatifs et ludiques.

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Avant son arrivée à Maurice, Muriel Piquet-Viaux a travaillé pendant longtemps aux États-Unis avant de rentrer en France pour créer une société de conseil. Elle a accompagné des programmes éducatifs à l’étranger avant d’intégrer le ministère des Affaires étrangères. Elle a déjà été en poste en Grèce où elle a dirigé l’Institut français de Thessalonique et la coopération au Nord de la Grèce.

Pouvez-vous faire un bilan de votre passage à Maurice comme conseillère de la coopération et d’action culturelle et directrice de l’Institut de Maurice ?
Une précision importante avant de commencer cet entretien, les fonctions de directeur d’institut et de conseiller de coopération et d’action culturelle à l’ambassade de France sont liées. L’institut, en tant qu’instrument de coopération, joue un rôle crucial en permettant un contact direct avec le public et la société civile. Cette proximité facilite la mise en œuvre des actions de coopération dans des domaines aussi larges que le sport, l’éducation, les industries créatives et culturelles, la langue française, le numérique, le développement dans le pays d’accueil. Par ailleurs, le conseiller de coopération et d’action culturelle coordonne le réseau des écoles du réseau de l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE)

En arrivant en septembre 2020, avec toute l’équipe d’encadrement, nous avons vécu une période inédite, celle du Covid-19. Le post-Covid a été une opportunité pour se réinventer et transformer la contrainte de la crise sanitaire en une opportunité pour jeter les bases d’une coopération tournée vers le futur, vers de nouveaux horizons, vers une société civile engagée.

Dès mars 2021, l’équipe a su s’adapter en mettant en place de nouveaux formats de diffusion et en créant du contenu accessible sur les médias, en favorisant les résidences d’artistes locaux et en procédant à des investissements importants pour enclencher la transition numérique de l’IFM et du Service de coopération et d’action culturelle.

Les axes majeurs pour les quatre années passées ont été l’innovation, la durabilité et la proximité. L’enjeu était non seulement de rendre l’institut plus résilient en l’ancrant dans son territoire, en créant un lieu de vie en mouvement constant et en mobilisant les ressources collectives, mais aussi de développer la coopération régionale en s’appuyant sur deux partenaires incontournables : la Région Réunion et la Commission de l’océan Indien (COI) avec lesquelles le Service de Coopération et d’Action culturelle de l’ambassade de France entretient des liens étroits.

Par exemple, en 2021, sous la présidence française de la COI, l’économie bleue a été une des priorités. La coopération éducative et universitaire a aussi demandé une attention toute particulière avec un nombre important de programmes français délocalisés et des co-diplomations existantes. Les mobilités régionales, étudiantes, chercheurs, artistes, enseignants ont été aussi une de nos priorités avec un nouveau programme de bourses.

Depuis votre arrivée, vous avez modifié de fond en comble les dispositions de la bibliothèque et réalisé d’autres aménagements à l’IFM. Quelle était votre motivation ?
L’Institut français de Maurice est devenu en quatre ans un tiers lieu prisé par la jeunesse, les entreprises, les artistes, les familles. C’est un établissement en pleine croissance qui développe l’émergence de projets à fort impact social et en impliquant les acteurs locaux. C’est la raison pour laquelle un service dédié à la médiation culturelle a été mis en place en 2024.

Le lieu a accueilli dès 2021 une résidence d’artistes et des chantiers d’ampleur ont été menés par l’artiste Émilien Jubeau, pendant près de deux ans, en repensant les espaces dont la médiathèque. Une refonte en profondeur de la médiathèque a été entreprise pour plusieurs raisons importantes. Tout d’abord, pour créer un environnement convivial propice aux rencontres et aux échanges. La médiathèque ne se conçoit plus seulement comme un lieu de prêt, mais comme un véritable espace de vie.

Un autre moteur de ces changements est l’adaptation aux besoins évolutifs des adhérents. La médiathèque cherche à offrir des espaces polyvalents et stimulants qui répondent aux attentes diverses de son public. Cette approche centrée sur l’utilisateur est au cœur de la stratégie de réaménagement. La mise en valeur des collections a également joué un rôle dans ces changements. En faisant appel à des professionnels du design, la médiathèque vise à présenter ses ressources de manière plus attractive et accessible.

Enfin, la diversification des activités proposées par la médiathèque, telles que les Ateliers des petits philosophes, L’Heure des petits, le Bureau des jeunes lecteurs et auteurs et les Siestes sonores, a influencé la réorganisation des espaces pour les rendre plus flexibles et adaptés à ces nouvelles offres.

Toutes ces modifications s’inscrivent dans une motivation plus large de repousser les limites traditionnelles de la médiathèque. En étendant ses activités aux espaces communs, la médiathèque a pu créer de nouvelles zones dédiées à la presse, aux bandes dessinées et à la Micro Folie. Cette expansion physique reflète une volonté d’élargir l’offre et de diversifier les expériences proposées aux usagers.

Vous avez également diversifié les activités en créant, par exemple, une nouvelle salle d’exposition. Pouvez-vous nous en parler ?

Dans cette même optique de diversification, l’installation d’un nouveau dispositif dit la Micro Folie  qui se compose d’un musée numérique avec plus de 1 500 chefs-d’œuvre issus de musées français et une fabrique, espace d’expérimentations où des médiateurs et médiatrices proposent des ateliers tout au long de la journée.

Le concept de Micro-Folie, qui se déploie partout dans le monde, a comme ambition de diffuser des contenus culturels, favoriser la création et la créativité́, être un lieu de convivialité́ et d’apprentissage. L’espace est conçu tout autant pour les adultes que pour les jeunes, les entreprises, les scolaires, qui pourront le découvrir seul, en famille, entre amis, mais aussi dans le cadre de parcours éducatifs et ludiques.

Êtes-vous satisfaite d’avoir donné un nouveau dynamisme à l’IFM ?
Le résultat est le fruit d’un travail d’équipe avec des collaborateurs de grande qualité. Ils ont fait preuve d’une remarquable adaptabilité en acceptant de faire face aux changements, d’explorer de nouvelles méthodes, et de sortir de leur zone de confort. Le travail accompli ensemble et les résultats obtenus sont particulièrement gratifiants.

Nous avons réussi à ouvrir l’IFM à une plus grande diversité de publics, de formes artistiques et de propositions culturelles et éducatives. C’est une grande satisfaction de voir quotidiennement la jeunesse mauricienne s’approprier les espaces qui ont été créés, de venir s’entraîner dans la salle de jeux vidéo, de se rassembler tous les samedis pour écrire, lire. C’est aussi une grande satisfaction de voir les familles occuper les espaces, participant aux ateliers, et profitant ensemble des diverses activités proposées par l’Institut.

Je suis également satisfaite d’avoir pu mettre en place un programme d’accueil de créateurs en résidence. Ces résidences permettent non seulement de soutenir la créativité et les industries culturelles et créatives, mais aussi de favoriser des rencontres uniques entre les créateurs et le public, stimulant ainsi le dialogue. Je tiens à exprimer ma reconnaissance envers tous les artistes qui ont entouré Émilien Jubeau pendant les chantiers, et à tous ceux et celles qui ont partagé leur créativité.

Enfin, je suis reconnaissante envers tous nos partenaires qui contribuent à entretenir un débat d’idées vivant, ainsi qu’à tous les membres de l’institut et nos prestataires pour leur engagement. Une mention spéciale va au personnel de l’Institut, dont l’implication a été cruciale dans cette transformation. Cette réussite collective témoigne de la force de notre vision partagée et notre capacité à créer un lieu culturel vivant et inclusif au service des communautés. Elle témoigne de notre engagement à faire de l’IFM un espace dynamique, ouvert à tous, où la culture et l’éducation se conjuguent pour enrichir la vie de chacun.

L’ancienne ambassadrice de France à Maurice, Florence Caussé-Tissier, avait donné une nouvelle dimension à la diplomatie en lançant la diplomatie sportive avec comme point central l’introduction de la formation sportive comme matière au lycée. Pouvez-vous nous en parler ?
La diplomatie sportive française s’appuie sur un réseau d’acteurs et d’initiatives variés pour promouvoir le sport comme vecteur de développement et d’éducation. Un point central de cette stratégie est l’introduction de la formation sportive comme matière dans les établissements scolaires français à l’international.
En quatre ans, 21 sections sportives scolaires ont vu le jour dans le réseau de l’AEFE, et 38 établissements (dont le lycée des Mascareignes) sont désormais labellisés Génération 2024. En 2022, la première section d’excellence sportive a été créée à Maurice au lycée des Mascareignes. Elle propose à de jeunes sportifs mauriciens un accompagnement pour atteindre le très haut niveau, tout en poursuivant leurs études secondaires dans des conditions optimales, avec par exemple une adaptation des horaires et des ajustements du curriculum. Un Parcours sportif Junior est également en place dans nos collèges.

L’Agence Française de Développement (AFD), autre opérateur du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, s’est aussi engagée dans cette dynamique, avec plus de 200 millions d’euros investis dans des projets de coopération sportive depuis 2019. Ces initiatives visent à renforcer le sport féminin, à développer des académies alliant sport et éducation, et à promouvoir la cohésion sociale à travers le sport. L’agence présente à Maurice soutient ainsi l’Academy of Sport (AOS) adossée à la section d’excellence sportive du lycée des Mascareignes.

Le réseau diplomatique français, notamment à travers les ambassades labellisées Terres de Jeux 2024, joue un rôle crucial dans le soutien au mouvement sportif dans son ensemble. Ainsi, nous avons organisé à Maurice depuis trois ans une dizaine d’actions en matière de diplomatie sportive : trois courses relais Terre de Jeux 2024, des semaines de rencontres réunissant professionnels du sport, conférences et activités sportives, un programme de pré-identification des volontaires de Paris 2024, ainsi qu’un soutien à la mobilité des athlètes et professionnels du sport. Enfin, nous accompagnons la filière eSport à Maurice en accueillant des compétitions au sein de l’Institut français, en finançant la mobilité des joueurs et leur formation.

Ce qui nous amène à parler des JO : comment l’IFM permet-il aux Mauriciens de mieux vivre cet événement planétaire ?
Du 27 juillet au 10 août, l’Institut diffuse en continu les épreuves olympiques sur grand écran et propose des activités ludiques gratuites ainsi que des podcasts de Radio France sur le thème des JO. Les enfants peuvent participer à des stages Développement de soi, fondés sur les valeurs olympiques, incluant des activités comme l’escrime, la sculpture, le théâtre et la gymnastique. Le 7 août a eu lieu une projection du court-métrage Athleticus Saison 2 qui a été suivie d’une discussion. Enfin, le 10 août, un atelier philosophique pour enfants explore la célèbre citation de Pierre de Coubertin : L’important, c’est de participer. Cette programmation variée permet de s’immerger dans l’esprit olympique, et de réfléchir sur les valeurs du sport et de l’olympisme.

Vous avez placé votre mandat sous le signe de la jeunesse et du dialogue. Pourquoi et quel est le bilan dans ces deux domaines ?
Notre choix de mettre l’accent sur la jeunesse et le dialogue découle de notre conviction que la nouvelle génération est au cœur des bouleversements du monde. Nous voulions saisir la vitalité de la jeunesse et décentrer la pensée. Le bilan est très positif. Les jeunes sont revenus à l’institut, comme à l’époque du Centre Charles Baudelaire, pour trouver un terrain d’expression libre et où, peu importe leur environnement social ou leurs expériences, ils apportent leur contribution unique.

Notre bureau des jeunes auteurs et lecteurs, qui se réunit tous les samedis matin, en est un excellent exemple. Animé successivement par Barlen Pyamootoo, Shenaz Patel et Mariam S. Fareed, il attire une jeunesse profondément curieuse de littérature. Nous avons aussi lancé une ambitieuse plateforme média pour la jeunesse de l’océan Indien. Débutant à Maurice et à La-Réunion, le projet vise à s’étendre aux Seychelles et à Madagascar d’ici 2025. Cette initiative offre un espace d’expression sans frontières.

La programmation s’est diversifiée pour inclure des activités familiales comme L’heure des tout-petits et les ateliers des petits philosophes, avec l’ambition de créer des ponts intergénérationnels. C’est là où réside le prochain défi de la nouvelle équipe.

Cette année, vous avez aussi eu l’occasion d’accueillir Chrysoula Zacharopoulou, la ministre déléguée aux Affaires étrangères. Quel souvenir gardez-vous de ce passage ?
La visite de la ministre déléguée aux Affaires étrangères m’a laissé un souvenir ému, marqué par une connexion profonde basée sur une sensibilité partagée. Ce moment a incarné l’essence même de notre approche : placer l’humain au centre de toute notre diplomatie.

Cette rencontre s’inscrivait dans la continuité du forum Notre futur, organisé en novembre 2023 à Maurice. Ce forum, faisant partie d’une série de réflexions sur de nouveaux rapports entre l’Afrique et l’Europe, a démontré l’importance d’une Poétique de la relation, pour reprendre le concept d’Édouard Glissant.

En fin de compte, cette visite a confirmé la pertinence de notre démarche qui vise à créer des ponts entre les cultures, à favoriser le dialogue et à imaginer ensemble un avenir commun. Elle a donné un sens profond à nos missions, en montrant que la diplomatie culturelle, lorsqu’elle est ancrée dans l’humain et l’échange authentique, peut être un puissant vecteur de compréhension mutuelle et de coopération internationale. Cette expérience nous encourage à poursuivre notre engagement pour une diplomatie culturelle innovante, inclusive et porteuse de sens, capable de relever les défis du monde contemporain.

Après Maurice, où allez-vous poser vos valises ?
Je m’apprête à partir au Cameroun pour occuper le poste de conseillère de coopération et d’action culturelle. Cette nomination représente pour moi un immense honneur et une opportunité exceptionnelle de servir mon pays en Afrique centrale. Cette mission représente un nouveau défi professionnel et une aventure personnelle.

Qu’emporterez-vous de l’île Maurice ?
J’emporte de Maurice une mosaïque de souvenirs si vibrante que je pourrais faire mienne la célèbre citation de Baudelaire : J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. Citation qui a été la colonne vertébrale de la programmation de l’institut en 2024.

J’emporte le souvenir des conversations animées avec mes équipes. Le bruit des jeunes qui remplissent l’institut dès 15h, créant une atmosphère pleine d’énergie. Les soirées des Lundi, c’est (p)arty où artistes et créatifs viennent présenter leurs projets en cours, restent des moments intenses de vivre ensemble. J’emporte le souvenir de Mahébourg où s’est déroulée une journée du Forum, de Trou-d’Eau-Douce et du festival du livre. Les chantiers resteront des moments forts d’une transformation forte.

Je pars avec le cœur enrichi par chaque rencontre, chaque projet, chaque moment partagé. Je pars en remerciant profondément tous ceux et celles qui ont donné vie aux projets, les partenaires précieux qui ont rendu possible chaque initiative, et le personnel dévoué sans qui rien n’aurait été possible. Merci d’avoir contribué à créer ces milliers de souvenirs.

« Les axes majeurs pour les quatre années passées ont été l’innovation, la durabilité et la proximité »

« Notre choix de mettre l’accent sur la jeunesse et le dialogue découle de notre conviction que la nouvelle génération est au cœur des bouleversements du monde. Nous voulions saisir la vitalité de la jeunesse et décentrer la pensée »

« Poursuivre notre engagement pour une diplomatie culturelle innovante, inclusive et porteuse de sens, capable de relever les défis du monde contemporain »

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