La Street Dance Battle de Batterie-Cassée, dans la périphérie de la capitale, le 13 janvier dernier, est tout sauf anecdotique. Cet événement, qui a vu l’interpellation des participants par les forces de l’ordre et leur comparution en cour de justice, n’a évidemment pas manqué de défrayer la chronique. Et a donné lieu à une foule de débats.
Mais il ne faudrait pas n’y voir que le parallèle avec la vidéo qui a fuité, montrant le ministre de la Santé, le Dr Kailesh Jagutpal, chantant et dansant lors d’une fête. Que celle-ci ait été privée ou publique nous importe peu, puisqu’à notre sens, il y a bien eu infraction aux consignes sanitaires eu égard au non-port du masque et du manque de distanciation physique… dans les deux cas !
La Street Dance Battle de Batterie-Cassée est révélatrice, elle, de beaucoup plus que ce qui nous est donné de voir dans les vidéos ayant circulé sur les réseaux sociaux et dans les médias. Autant ces jeunes qui se sont livrés spontanément à ce défi, désormais très typique des villes du monde entier, que les spectateurs, de plus en plus nombreux à chaque “Battle”, tous sont en quête d’une seule et même chose : de l’évasion. Du répit. De s’extraire de cet étau asphyxiant, déjà étouffant de par la densité physique des régions où vivent ces compatriotes. Et en y ajoutant, de plus, la plus que généreuse rasade d’interdits, de sanctions, d’amendes et d’autres obstacles engendrés par le Covid-19, sur ces deux dernières années…
Trop, c’est trop ! Dans la tête de ces jeunes et des spectateurs présents, le fait qu’un ministre qui est venu sermonner le peuple sur les consignes à respecter se soit défoulé et qu’il s’en soit sorti sans punition, ne serait-ce qu’en présentant ses excuses, ça ne passe pas trop bien dans la gorge. Cet élément a certainement pesé très lourd dans la balance. Et il y a fort à parier que c’était la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.
Le quotidien dans les ghettos de nos villes est un univers que très peu de Mauriciens connaissent. Rangez les clichés de pauvreté, mendicité, pitié et autres ! Tant ces jeunes que ces adultes, qui vivent dans ces quartiers, possèdent qualités, potentiels et la niaque de vouloir réussir. Cependant, tous n’ont pas les mêmes chances ni n’empruntent les mêmes voies pour y arriver.
Certains gouvernements ont eu de réels projets de développement pour ces régions et des plans d’épanouissement pour ceux qui y vivent. Force est de constater que depuis janvier 2015, ces quartiers n’ont eu pour tout “lifting” que des inaugurations de jardins d’enfants, de centres récréatifs et d’autres complexes sportifs. Certes, qui ont leur importance, mais qu’en est-il de l’épanouissement humain de ces habitants ? Quels projets ont été élaborés pour améliorer leurs chances à l’éducation, leur accès aux traitements médicaux, leur entrée et leur réussite dans le monde du travail ?
Ces compatriotes ne sont pas des assistés et ne veulent pas être étiquetés comme tel. Dans le passé, certaines générations se sont laissées piéger de cette manière. Mais leurs enfants ont bien retenu la leçon. Via la “Street Dance Battle”, c’est un cri du cœur que ces jeunes laissent exploser. Un appel de détresse. Un désir de rappeler aux autres Mauriciens qu’ils existent, eux aussi, et qu’ils sont tout aussi habiles et capables, voire davantage que les autres. Et cela, nous avons tendance souvent à l’oublier.
Avec le rythme de la vie dans le pays, son lot de scandales, les frasques des uns et des autres, les politiques mal élaborées, les clivages entre jeunes des beaux quartiers et ceux des ghettos, vont en s’accentuant et en grandissant. Ce qui n’est pas du tout rassurant pour l’avenir de notre pays. Mais sur cela, nos politiques n’ont pas le temps de s’y attarder. Il est plus important pour eux que les autorités traînent les mauvais élèves en cour et en fassent des exemples. D’accord, puisqu’il y a eu infraction. Soit. Mais alors que la justice soit exercée pour tous de la même manière. Que tous ceux qui fautent soient logés à la même enseigne. Pas de justice en demi-teinte.
Husna Ramjanally