Mookhesswur Choonee : « Pour la proclamation d’une Journée internationale de l’abolition de l’engagisme »

Dans le sillage du deuxième webinaire sur le projet de la Route de l’engagisme dans le monde, qui a réuni une trentaine de chercheurs venant d’une dizaine de pays la semaine dernière, Le Mauricien a rencontré Mookhesswur Choonee, qui assure actuellement la présidence de Gopio et de la Girmit Foundation. Il a plaidé à cette occasion pour la proclamation par les Nations Unies à travers l’Unesco de la journée internationale de l’engagisme. « Cette journée aurait permis de provoquer une réflexion sur les nouvelles formes d’exploitation au niveau de l’économie mondiale. Elle aurait surtout permis de donner aux descendants des engagés la reconnaissance et le statut qu’ils méritent. Vous avez participé la semaine dernière au deuxième webinaire consacré au projet de la route des travailleurs engagés dans l’océan Indien, organisé par l’Aapravasi Ghat Trust. Pouvez-vous nous en parler ?
Le webinaire consacré à l’Indentured Labourers Route Project, organisé la semaine dernière, était le deuxième depuis 2020. En 2014, j’ai réussi à faire l’Unesco reconnaître la route des travailleurs engagés tout comme elle avait reconnu la route des esclaves. Je me souviens qu’à cette époque la directrice de l’UNESCO m’avait fait remarquer avoir beaucoup entendu parler de la route des esclaves mais pas celle des travailleurs engagés. Je lui avais rétorqué que c’est la raison pour laquelle j’étais venu la voir parce que les travailleurs engagés avaient reçu un traitement comparable aux esclaves.
La directrice m’avait expliqué à l’époque la difficulté que l’UNESCO avait pour coordonner le projet de la route des esclaves, tenant compte du fait que les esclaves avaient été capturés dans au moins 44 pays et qu’ils étaient éparpillés à travers le monde. Il était difficile de les retracer car beaucoup de pays où ils avaient été expédiés n’avaient aucune connexion avec l’Afrique. Elle avait souhaité que le secrétariat de la route des travailleurs engagés soit hébergé à l’Aapravasi Ghat à Maurice et avait promis de nous allouer les ressources nécessaires. C’est ce qui a été fait.
Une des premières démarches après la création de ce secrétariat a été celle d’un comité technique afin d’entreprendre les recherches nécessaires. Des contacts ont été établis avec tous les pays, une trentaine au total, où les travailleurs engagés ont été envoyés. Dans certains pays, le nombre de travailleurs engagés était si infime qu’ils ont été absorbés dans la population.

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Est-ce que tous les travailleurs engagés venaient de l’Inde ?
Non, les travailleurs engagés ne venaient pas uniquement de l’Inde. Certains sont arrivés de Chine et des pays asiatiques comme l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Madagascar, voire un petit nombre d’Afrique. Il est vrai que la majorité venait de la Grande Péninsule. Une grande partie de ces travailleurs se sont établis à Maurice, le seul pays où ils sont en majorité.

Maurice était-il le premier pays à accueillir les travailleurs engagés ?
Absolument. La décision d’abolir l’esclavage a été prise en 1833 mais a été mise en œuvre en 1835. Alors que les esclaves étaient libérés, il fallait les remplacer dans les champs de canne, entre autres.
C’est ainsi que les Britanniques ont eu l’idée d’avoir recours aux travailleurs engagés et c’est à Maurice qu’a eu lieu la première tentative de recrutement connu comme The great experiment. C’est le premier pays où les engagés avaient eu à signer un contrat de cinq ans alors qu’ils ne comprenaient même pas la langue anglaise dans laquelle ces contrats avaient été rédigés. Cet accord comprenant une clause pénale « for non fulfillment and violation ».
Maurice était également le premier pays où un Vagrant Depot était opérationnel entre 1864 et 1886 et où les engagés étaient emprisonnés pendant trois mois s’ils arrivaient à quitter leurs camps sans autorisation et étaient obligés de faire des travaux forcés à Port-Louis.
Le succès remporté par le système contractuel à Maurice a été répliqué partout dans le monde, non seulement dans l’empire britannique, mais également dans les colonies françaises, portugaises, espagnoles, italiennes, hollandaises.
Des douzaines de navires transportant ces travailleurs avaient transité par Maurice avant de se rendre dans les pays africains ou des Caraïbes, notamment l’Afrique du Sud, la Guyane, Trinidad, les Fidji, la Jamaïque. L’Aapravasi Ghat était le lieu de débarquement pour tout le monde. Il arrivait que certains choisissaient de rester à Maurice alors que d’autres membres de leurs familles poursuivaient leur route. C’est ainsi que beaucoup de familles mauriciennes ont des parents proches en Afrique du Sud, par exemple.
Mes recherches m’ont permis de découvrir que mon arrière-grand-père était arrivé à Maurice à l’âge de cinq ans sans aucun parent. Je suis persuadé qu’à cet âge, il pouvait difficilement connaître sa caste ou se rendre compte qu’il était victime de Child Labour.
Mes recherches pour savoir comment cet enfant s’est retrouvé seul à Maurice ont débouché sur plusieurs versions envisageables mais pas confirmées. Je me demande toujours si ses parents sont décédés de maladies lors du voyage entre Calcutta et Port-Louis.
À cette époque, les personnes gravement malades ou décédées étaient jetées à la mer. Est-ce que ses parents avaient été enfermés au Vagrant Depot ? Est-ce qu’ils avaient été envoyés à l’île Plate qui servait à l’époque de centre de quarantaine ? Je ne sais pas.
Une chose est sûre, ce sont les personnes les plus démunies et souvent sans éducation qui ont été recrutées comme travailleurs engagés. On voit mal des personnes aisées ou des intellectuels croire en la promesse des agents britanniques. D’ailleurs, selon la coutume pratiquée dans certaines régions traditionnelles de l’Inde à cette époque, si une personne quittait son lieu d’origine et traversait l’océan, qu’Abhimanyu Unnuth appelait Kalapani, vers n’importe quelle destination, elle était rejetée par sa famille.
Certains travailleurs engagés sont retournés en Inde après avoir obtenu leurs salaires. On ne sait pas comment ils se sont débrouillés. La majorité d’entre eux sont restés à Maurice où ils ont créé une nouvelle identité et sont tous devenus des Mauriciens à part entière. C’est cela la vérité. The truth have to prevail.
Je suis, moi-même, la quatrième génération à Maurice après mon arrière-grand-père, je dois dire la vérité à mes enfants. Les travailleurs engagés étaient placés dans les camps où vivaient les esclaves sans qu’il n’y ait eu d’hostilité entre eux. Ils étaient solidaires dans la misère.
Dans les années 1870-1880, il y avait 77 000 hommes dont 11 000 femmes opérant comme travailleurs engagés. Très peu de femmes avaient fait le déplacement à cette époque. C’était le début du métissage. Par la suite, les Britanniques ont pris des mesures pour équilibrer la population avec un apport de femmes comme travailleurs engagés recrutées en Inde.

Peut-on dire qu’il y a donc une conjonction entre la route des esclaves et la route des engagés ?
Bien sûr. Les engagés sont arrivés immédiatement après les esclaves et ont eu le même traitement. C’est le nom seulement qui avait changé. Le mauricianisme est né dans la douleur. Il est dommage qu’au lieu de le promouvoir, on ait tendance à encourager la division au sein de la population.

Que pensez-vous de l’idée de coolitude. Peut-on faire un lien avec les engagés ?
Ceux qui veulent promouvoir ce concept n’ont pas tort mais il faut savoir que les engagés ne sont pas des coolies. Les coolies sont ceux qui travaillent dans les stations ferroviaires et qui transportent des valises.
En fait, les engagés étaient des personnes très pauvres dont 99% n’étaient pas éduqués et ont été leurrés par les recruteurs britanniques, transportés dans des pays comme Maurice ou d’autres pays, après avoir signé un contrat. Ils l’ont signé sans réaliser ce qu’ils faisaient et ont été embarqués à bord des navires.
C’est pourquoi on les appelle plutôt des Girmits, terme qui est une déformation du mot Agreement. À Maurice, ils ont obtenu un salaire de Rs 5 mensuellement. Il devait travailler six jours de la semaine. S’ils n’avaient pas terminé leur tâche durant la semaine, ils avaient à la boucler le dimanche sans compter qu’ils étaient bousculés et frappés par les surveillants. C’est cela la vérité.

Quelles sont les décisions qui ont été prises lors du webinaire la semaine dernière ?
Comme vous le savez, ce deuxième webinaire inauguré par le ministre des Arts et du Patrimoine culturel, Avinash Teeluck, a rassemblé une trentaine des chercheurs venus de dix pays. Beaucoup d’informations intéressantes sur les engagés en sont sorties.
Dans un papier présenté par le Réunionnais Jean Régis Ramsamy, il est ressorti que les 15 premiers engagés pour La Réunion, alors l’île Bourbon, sont arrivés dans l’île à bord de la Turquoise le 3 juin 1828 qui s’est ensuite rendu à Maurice. Cet événement historique sera commémoré à La Réunion l’année prochaine. À Maurice, les 36 premiers travailleurs engagés sont arrivés le 2 novembre 1826 à bord de L’Atlas et ont été employés sur la propriété Antoinette dans le Nord.
Le webinaire comprenait trois séances présidées respectivement par Dr Vijaya Teelock, le Dr Neha Singh et Surendra Peerthum. Il y a eu des présentations par une quinzaine de chercheurs, notamment de l’Aapravasi Ghat, du département des langues et des études culturelles de l’université Manipal de Jaipur, en Inde, du département d’histoire de l’université hindoue de Bénarès, de l’Association culturelle indo-caribéenne, de GOPIO. Un jeune Mauricien, Marek Ahnee, a présenté un papier intitulé “The middle-man’s dept : the Ramabhajanamas Telegu archive of Post-indenture Mauritius island”.
Dans ma présentation en tant que président de GOPIO et de Girmit Foundation, j’ai renouvelé ma demande en faveur de la création d’un International Day of the abolition of indentured labour par les Nations unies à travers l’UNESCO de la même manière qu’il existe une Journée internationale de l’abolition de l’esclavage.
On estime que l’abolition de l’indentured labour a eu lieu soit en 1920, soit en 1924. Cette journée aurait permis de provoquer une réflexion sur les nouvelles formes d’exploitation au niveau de l’économie mondiale. Elle aurait surtout permis de donner aux descendants des engagés la reconnaissance et le statut qu’ils méritent.
Le thème du webinaire était Empowering Young Scholars and Academics and New Directions of Research on Indentured labour. Le souvenir des travailleurs engagés dans beaucoup de pays a été éliminé. C’est uniquement à Maurice que l’Aapravasi Ghat a été proclamé patrimoine de l’humanité par l’Unesco.
Par conséquent, j’ai souhaité que le comité technique basé à l’Aapravasi Ghat, avec l’aide des gouvernements indien et mauricien et le soutien de l’UNESCO, incite les jeunes chercheurs à faire revivre la mémoire des travailleurs engagés pour qu’ils ne sombrent dans l’oubli dans les pays ils ont travaillé. Pourquoi ne pas mettre symbole, ne serait-ce qu’un pylône ou un simple monument dans les ports où ces engagés ont débarqué ? Cela permettrait de reconnaître leur présence et de garder leur souvenir vivant pour les générations à venir.

Vous êtes également venu avec l’idée de compensation. Pouvez-vous nous en parler ?
Pour l’esclavage, mon ami Sylvio Michel a fait une démarche. Il faut avoir une réparation mais la forme n’a pas encore été définie. Ce que nous disons, c’est que les engagés ont été bernés par de fausses promesses. Maintenant, il faut savoir que sur les Rs 5 qu’ils recevaient par mois, une roupie était prélevée pour leur Return Trip même si cela ne représentait que Rs 60 après cinq ans. Ce montant vaut des millions aujourd’hui. Cet argent n’a jamais été remboursé aux engagés. Nous ne leur disons pas de « rann nou nou roupi ».
Toutefois nous disons aux colonisateurs britanniques ou français qu’ils devraient présenter des excuses pour le mal qu’ils ont commis afin de redonner un sens de fierté aux jeunes générations. If we want to redress historically or otherwise the atrocities that our Ancestors were subject to under British rule, we must name, blame and shame the people who rose to unwarranted fame and were responsible for those atrocities. C’est ce que j’ai dit dans mon intervention au webinaire.
Quels ont été les points forts des activités de GOPIO cette année ?
Un des grands moments du programme de cette année a été l’hommage rendu à Lata Mangeskhar le 10 mars dernier avec la participation du MGI, de l’IGCIC, du RTI, de la Mauritius Films Development Corporation, la haute commission indienne, du ministère des Arts, entre autres.
Lata Mangeskhar est une des plus grandes chanteuses mondiales qui a chanté pendant au moins huit décennies. Nous avions eu le privilège d’utiliser l’auditorium moderne de la haute commission indienne qui s’est installé depuis peu à Ébène pour organiser ce concert. C’était un programme de haut niveau diffusé en direct dans tous les pays membres de GOPIO.
En collaboration avec la Mauritius Films Development Corporation, nous avons lancé un concours de courts-métrages de quelque 13 minutes sur le thème Our roots, journey to Now, qui a suscité beaucoup d’intérêt. Il y a eu également la Journée internationale du yoga. Nous avons organisé des activités dans deux collèges, à Universal et Ideal Secondary School. Nous avons également participé à une activité organisée par le Brahma Kumari.
Nous organisons actuellement un programme culturel de sept jours autour du Ram Katha à partir de 19h à la Hindu House avec la participation du groupe indien Bihari Connect Global. Parmi les autres activités figurent celles prévues pour le Gandhi que nous organisons annuellement, le Divali, la commémoration de l’arrivée des premiers travailleurs engagés le 2 novembre.
Une campagne de vulgarisation sur la carte OCI sera lancée bientôt. Nous nous pencherons également sur la promotion du CECPA auprès des opérateurs mauriciens, en particulier les petites entreprises qui peuvent exporter leurs produits en Inde. Grâce à cet accord, il est possible d’importer des produits indiens qui pourront être exportés sur l’Afrique.
Nous envisageons l’organisation à Maurice d’une conférence internationale sur la diaspora indienne l’année prochaine. Une conférence d’une telle envergure nécessite l’active participation du gouvernement mauricien dans la mesure où l’invitation faite à de hautes personnalités internationales doit obligatoirement passer par l’État.
Finalement nous aurions souhaité mettre sur pied une organisation qui réunirait tous ceux qui ont étudié en Inde. À la différence de ceux qui étudient dans les pays occidentaux, tous ceux qui ont étudié en Inde sont rentrés au pays où ils occupent des postes de haut niveau dans le gouvernement.

Un mot sur les relations en l’Inde et Maurice alors que nous célébrons le 75e anniversaire de l’établissement diplomatique avec le pays ?
Nos deux pays entretiennent des relations privilégiées incomparables. Il est intéressant de noter que depuis 1974, alors que SSR était Premier ministre, Maurice et l’Inde ont conclu un accord en matière de sécurité. Ce qui explique que le Security Adviser est depuis cette date un ressortissant indien. Plusieurs se sont fait remarquer positivement.
Par ailleurs, aujourd’hui l’Inde accorde une aide considérable à Maurice et il n’est pas nécessaire de donner les détails, tout le monde les connaît. Je pense que l’Inde est préparée à aider Maurice davantage.

 


« Les travailleurs engagés ne venaient pas uniquement de l’Inde. Certains sont arrivés de Chine et des pays asiatiques comme l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Madagascar voire un petit nombre d’Afrique. Il est vrai que la majorité venait de la Grande Péninsule »

« Ceux qui veulent promouvoir le concept de coolitude n’ont pas tort mais il faut savoir que les engagés n’étaient pas des coolies. Les coolies sont ceux qui travaillent dans les stations ferroviaires et qui transportent des valises. En fait, les engagés étaient des personnes très pauvres dont 99% n’étaient pas éduqués »

« Nous disons aux colonisateurs britanniques ou français qu’ils devraient présenter des excuses pour le mal qu’ils ont commis afin de redonner un sens de fierté à la jeune génération. If we want to redress historically or otherwise the atrocities that our Ancestors were subject to under British rule, we must name, blame and shame the people who rose to unwarranted fame and were responsible for those atrocities »

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