Miss.Tic, la Banksy parisienne aux mots cœurs

DIDIER WONG

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Miss.Tic de son vrai nom, Radhia Novat nous a quittés le 22 mai 2022 à l’âge de 66 ans. Figure incontournable du « street art » français à travers ses pochoirs inventifs, poétiques, percutants, piquants et drôles, Miss.Tic, artiste engagée, laisse orphelines ses femmes brunes vêtues de tenues noires toujours accompagnées de la poésie de ses mots qui ne nous laisse jamais indifférent.e.s quand on se balade au fil des murs parisiens ou ailleurs. Miss.Tic maîtrise à la perfection l’art du pochoir et les subtilités de la langue française avec laquelle elle joue joliment. De Montmartre à La butte aux cailles en passant par le Marais, ses pochoirs ont pris racine et s’ancre profondément dans l’épiderme des murs parisiens, au bonheur des passants.

Orpheline de mère très jeune – marquée par un drame où elle perd sa mère, son frère et sa grand-mère dans un accident de voiture à l’âge de dix ans – le sort s’acharne quand son père décède quatre ans plus tard d’une crise cardiaque. Mais la vie doit continuer. Après ses études secondaires, elle travaille dans les arts appliqués (décors de théâtre, maquette, photogravure) pour gagner sa vie. En 1980, elle s’en va en Californie, côtoie le milieu underground du Hip-Hop qui déterminera certainement son chemin artistique, et revient en France quelques années plus tard.

Miss Tic

Ses débuts dans le monde de l’art sont difficiles. Elle qui pratique les arts de la rue principalement dominés par les hommes, a du mal à se faire une place. Elle galère. Elle connaît les déboires avec la justice car faire des graffiti, des tags et des pochoirs sont illégaux et passibles de poursuites judiciaires. En 1997, Miss.Tic est arrêtée pour dégradation de la voie publique et écope d’une amende de 22,000 francs (3350 euros). Cet épisode la marque et elle décide alors de négocier des espaces urbains pour rendre visible son art car elle ne veut pas être considérée comme une délinquante. C’est une prise de position assumée et discutable par ailleurs car si on se considère « street artist », les prises de risques pour créer et montrer son travail en toute illégalité font partie du jeu. Or, Miss.Tic a décidé de ne plus être dans cette démarche. Elle s’est rangée et a choisi d’être plasticienne – pochoiriste.

La condition féminine comme revendication

L’essence même du travail de Miss.Tic, c’est de questionner les passants sur la condition féminine et de donner à réfléchir grâce à ces héroïnes modernes, des femmes sexy aux courbes sensuelles et aux regards aguicheurs qu’elle puise dans les magazines et dans l’omniprésence de la publicité dans notre société contemporaine de consommation. Elle déclare : « J’utilise beaucoup la Femme contemporaine, celle qu’on nous donne à voir dans la mode, la publicité. Parfois, ce n’est pas très bien compris, alors qu’on peut être jeune et jolie et avoir des choses à dire. Mais c’est vrai qu’on nous vend ce qu’on veut avec de belles filles. Du coup, je me suis dit : Je vais mettre des femmes pour leur vendre de la poésie ». Au diable les femmes soumises, muselées, subordonnées. Les muses de l’artiste se veulent spirituelles, provocatrices, téméraires, salaces, romantiques, indisciplinées et assumées.  En admirant ses innombrables œuvres qui questionnent les stéréotypes de la femme-objet, on serait tenté de la qualifier de militante ou féministe de gauche, etc. Cependant, elle nie être militante : « Je ne suis pas une militante, je veux créer, toujours, avoir le désir de vivre, avoir cette quête de liberté » ou encore « Je ne suis pas féministe, je suis pire, je suis anarchiste, hédoniste, activiste, mais surtout artiste ». En tout cas, ce qui est indéniable, c’est qu’elle mettait la femme en valeur et était solidaire de la cause de cette dernière. Pour elle, on connaîtra une grande avancée le jour où on arrêtera de célébrer la journée consacrée aux droits des femmes. Ce qui est absolument vrai. L’art de Miss.Tic est là pour contrer tous ces misogynes et ces machistes qui considèrent toujours la femme comme inférieure à l’homme. Miss.Tic disait sur les murs : « L’homme est un loup pour l’homme et un relou pour la femme ». À coup de bombes de peintures et les missiles textuels, Miss.Tic balaye ces stéréotypes et les injonctions sexistes qui pèsent sur les femmes. Je ne peux qu’évidemment acquiescer et ne peux m’empêcher de repenser à l’absurde censure qui a fait couler beaucoup d’encre au Salon de Mai (d’autant qu’il se murmure que l’ordre vient d’encore plus haut que l’administration du MGI).

Même si Miss.Tic était très célèbre dans la sphère du « street art » français, elle aurait mérité d’être davantage connue à travers le monde à l’instar d’un Banksy. Les œuvres des deux artistes sont tout aussi puissantes mais peuvent être avec un engagement plus politique chez Banksy et une revendication plus idéologique chez Miss.Tic. Cette dernière affirme ne pas privilégier le côté politique qu’on peut supputer dans certains pochoirs, mais de la politique il y en a et c’est une politique subtilement détournée à travers ses jeux de mots : « Tes faims de moi sont difficiles », « Gouverner nuit gravement à la santé mentale », « On n’est ni de droite ni de gauche, on est dans la merde ». Qu’à cela ne tienne, cette dernière a ouvert la voie aux « street artists » féminines même si comme elle l’affirme, la route demeure encore longue pour les femmes artistes qui ont plus de mal à être reconnues. L’égalité homme-femme, même dans l’art demeure encore trop machiste et phallocratique. Miss.Tic nous a régalé et a animé beaucoup de rues françaises et internationales et elle nous a également permis d’apprécier ses œuvres et sa poésie car « La poésie est un luxe de première nécessité » pour « Trouver un avenir au futur » et qu’aujourd’hui nous devons nous poser cette question « Que faire du bonheur dans un monde sans joie ? ». À nous d’apporter cette joie dans ce monde en guerre où règnent des inégalités effrayantes. L’Art et la Culture peuvent être ces vecteurs qui pourraient apporter cette dose de bonheur et de joie à condition que les instances politiques comprennent le pouvoir de ces deux mots clés.

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