Les événements récents relatifs à l’extradition de Franklin vers la Réunion, et dont il n’est pas nécessaire ici de rappeler les faits tant ils ont marqué les « spectateurs » mauriciens, ont fait naître la nécessité d’éclairer les uns et les autres sur ce en quoi consiste une requête d’extradition et d’entraide judiciaire entre États, et surtout sur le droit applicable et régissant sur cette question les relations France-Maurice, et donc La Réunion-Maurice. Je ne tirerai aucune conclusion et ne prendrai aucun parti, mais espère que le présent article permettra au lecteur d’en tirer les siennes.
L’extradition est un mécanisme juridique par lequel un État (l’État requérant) livre à un autre État intéressé (l’État requis), à la répression d’un fait punissable, un individu ou présumé coupable de ce fait pour qu’il soit jugé et puni s’il y a lieu, ou déjà condamné, afin qu’il subisse l’application de la peine encourue ou prononcée. L’entraide judiciaire se définit quant à elle comme l’obligation de collaborer entre États dans la répression d’un certain nombre de crimes définis par le droit pénal international. Bien qu’une telle coopération dans le domaine de l’action pénale ne fasse peser aucune obligation sur les États, celle-ci s’organise de façon bilatérale par la signature de Convention régissant les engagements desdits États avec pour ambition première celle de chercher à éviter que les auteurs de crimes ne se mettent à l’abri des poursuites pénales à l’extérieur des frontières nationales, sur le territoire d’un autre État.
De ces définitions, nous devons essentiellement retenir que la requête d’extradition et d’entraide judiciaire ne s’impose aux États que par le biais de Conventions bilatérales ou multilatérales signées entre eux pour organiser leur collaboration, mais aussi à la condition que l’État requis (dans le cas de Franklin l’île Maurice), conservant sa souveraineté malgré les engagements pris conventionnellement, accepte de collaborer en tout temps et de bonne foi avec l’État requérant (en l’espèce l’île de La Réunion), dès lors que la requête émise se conformera strictement aux conditions prévues par le texte régissant les rapports inter-Etatiques.
Il s’agit dès lors de nous interroger sur le droit applicable et régissant la procédure d’extradition entre La Réunion et la République de Maurice.
Bien que de nombreux articles de presse et autres médias font état de la ratification par Maurice et la France d’une Convention d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale, en date du 10 novembre 2022, il me semble nécessaire d’évoquer ici la portée d’une telle ratification, principalement par l’île Maurice. Une brève analyse comparative des systèmes juridiques français et mauricien s’impose. Si la ratification suffit à la France pour qu’un Traité ou qu’une Convention intègre son ordre juridique interne et lui soit par conséquent opposable, l’île Maurice a fait le choix d’un système dualiste, dans lequel toute ratification n’a à elle seule aucune valeur réelle. En effet, un Traité ou une Convention ne peut en théorie intégrer l’ordre juridique interne mauricien qu’à la seule condition qu’après ratification, il y ait eu adoption d’un texte de loi (« Act of Parliament ») lui donnant une pleine effectivité. C’est notamment la raison pour laquelle vous ne trouverez à ce jour aucune trace de la Convention d’extradition et d’entraide judiciaire en matière pénale entre la France et Maurice sur le site LegiFrance, site officiel de la République Française chargé de la diffusion du droit et sur lequel sont référencés et accessibles la totalité des textes adoptés par et applicables à la France (3).
Il existe toutefois bel et bien un texte liant la France (La Réunion) et l’île Maurice et une série d’autres textes permettant d’appliquer le premier.
Alors que nous étions colonie Britannique fut en effet signée, le 14 août 1876, et rendue applicable à la France et à l’Angleterre (et par extension aux territoires Britanniques) une Convention d’extradition régissant les rapports entre ces deux pays (Treaty between the United Kingdom of Great Britain and Ireland and France for the Mutual Surrender of Fugitive Criminals, Paris (4)), et demeurée applicable à la suite de notre accession à l’indépendance en 1968. C’est notamment ce que rappelle Extradition Act de 2017 à sa section deuxième et dans la définition qu’il donne à l’ « Extradition Treaty » – « Extradition Treaty (…) includes a Treaty made before 12 march 1968, which extends to, and is binding on, Mauritius, which contains provisions governing the extradition of persons from Mauritius ».
Afin de régir et de faciliter l’application des Conventions d’extradition et d’entraide judiciaire, ont été adoptés par le législateur mauricien une série de textes de loi, à savoir (pour ne citer que les principaux) le Mutual Assistance in Criminal Related Matters Act de 2003 (MACRMA), l’Extradition Act de 2017 (EA) et les Letters of Request Rules 1985 (LoR), renforcés par d’autres dispositions législatives figurant dans des textes épars tels que le Prevention of Terrorism Act de 2002 ou encore le Dangerous Drugs Act de 2000. Ces textes désignent notamment mais sans s’y limiter l’autorité compétente à laquelle sont normalement transmises les requêtes d’extradition, prévoient les conditions d’acceptation ou de rejet d’une telle requête, et traitent enfin de la confidentialité de cette dernière.
L’autorité compétente
Si cette autorité est explicitement désignée comme la « Central Authority » par le MACRMA, et par aucune dénomination précise par l’EA ou les LoR, ces textes permettent d’établir clairement et sans doute possible le rôle principal laissé à l’Attorney-General dans la procédure d’extradition, et principalement lors de la réception de la requête qui lui est en règle générale destinée. C’est ainsi que la section 13 de l’EA dispose « 13. Examination of request – (1) The Attorney-General shall, on receipt of a request for extradition, examine whether the requirements of (…) the Treaty (…) are met ». Ou encore, la définition de « Central Authority » donnée par le MACRMA précise « Central Authority means the Attorney-General, who shall, for the purpose of a request from a foreign state (…) be the appropriate competent authority ». Si cette compétence semble générale et s’appliquer à tous les cas d’entraide judiciaire et d’extradition, les « Fiches pratiques pour faire une requête efficace d’extradition et d’entraide judiciaire aux États de la Commission de l’Océan Indien (Comores, La Réunion, Madagascar, Maurice, Seychelles) », préparées par le Service de la prévention du terrorisme de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime conjointement avec la Commission de l’Océan Indien, font état, à la page 40, de la compétence du Prime Minister’s Office pour les cas d’extradition concernant des stupéfiants et substances psychotropes.
Conditions d’extradition et refus de la requête
Une demande d’extradition ne peut être faite et reçue favorablement par l’autorité compétente de l’État requis qu’à la condition qu’elle respecte des conditions de forme et de fond bien précises et établies d’une part par la Convention, et d’autre part par la législation interne des pays signataires. S’il n’est pas ici nécessaire de nous étendre sur ce point, nous soulignerons les principaux cas pouvant justifier un refus par l’État requis d’accéder à une telle requête. L’extradition peut ainsi être refusée dans le cas où l’autorité compétente estimerait que la demande aurait une nature politique, ou encore que l’extradition pourrait avoir pour conséquence atteinte aux droits fondamentaux du sujet visé par l’État requérant, s’il était extradé. Ce refus peut aussi être justifié par le fait qu’un procès ait été mené et un jugement rendu in absentia de la personne visée par la requête, par une juridiction de l’État requérant, ou pour simple fait que cette personne soit citoyen mauricien. Le refus peut encore être fondé sur le fait qu’un jugement pour le même délit ou crime, et pour les mêmes faits, ait déjà été rendu contre la personne visée par la requête, par les juridictions mauriciennes – le principe de non-bis in idem en matière pénale, étant celui qu’on ne peut être jugé deux fois pour une même infraction. Les délits non-reconnus par l’État requis mais reconnus par l’État requérant sont enfin une cause possible de refus.
Il est enfin possible que la requête soit temporairement suspendue par l’autorité compétente, partiellement ou totalement, du fait qu’une enquête soit en cours dans l’État requis contre la personne visée par la procédure d’extradition.
Confidentialité de la procédure
Le MACRMA semble prévoir des règles de confidentialité claires et précises, permettant à l’autorité centrale de refuser la divulgation de tout élément en lien avec la requête. Si ce principe n’est pas absolu, il demeure favorisé. En effet, la section 20 du texte rappelle que tout document reçu par l’autorité centrale ne peut être divulgué, avant que la procédure requise ait été officiellement initiée. Il est rappelé qu’une demande de divulgation d’un tel document ne peut en aucun cas émaner d’une Cour ou de toute autre personne sauf à ce que cette divulgation soit nécessaire pour la mise en œuvre effective de ladite procédure.
Références
https://www.legifrance.gouv.fr/search/all?tab_selection=all&searchField=ALL&query=convention+d%27extradition&page=1&init=true
Accessible sur le site https://treaties.un.org