Mgr Pascal Chane-Teng : « L’Église défend toujours avec ardeur les pauvres, les faibles et les précaires »

La cérémonie d’ordination épiscopale de Mgr Pascal Chane-Teng comme nouvel évêque de Saint-Denis, à La-Réunion, aura lieu le 15 octobre dans le quartier du Chaudron, aux abords de l’église du Saint-Esprit, à Saint-Denis. Initialement prévue au Stade La Redoute, les organisateurs ont finalement choisi le Chaudron pour des raisons de sécurité. Ainsi, deux mois après l’ordination de Mgr Jean Michael Durhone en tant qu’évêque de Port-Louis, l’église catholique de La-Réunion s’apprête à vivre, elle aussi, un moment solennel très fort, avec le rassemblement de plusieurs milliers de personnes pour assister à la cérémonie d’ordination épiscopale.

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Mgr Pascal Chane-Teng succède à Mgr Gilbert Aubry, qui était le plus jeune évêque de France lors de sa nomination, soit à seulement 33 ans, en 1976. Ce dernier se retire après plus de 47 années d’épiscopat à l’âge de 81 ans. C’était le dernier évêque français en poste à avoir été nommé par Paul VI. Son mandat a notamment été marqué par la visite de Jean Paul II sur l’île les 1ers et 2 mai 1989. Il est aussi connu comme un bâtisseur et défenseur de la paix, de l’harmonie, et du bien vivre-ensemble réunionnais, et surtout pour son verbe haut et puissant de poète qui, par son attachement profond à la créolité, a su parler aux Réunionnais sur tous les sujets de société. Ce qui lui a valu le surnom de Père de la Créolie. Son CD vidéo, intitulé Créolie, une âme pour mon île, a connu un vif succès à La-Réunion.

Comment avez-vous vécu la cérémonie d’ordination épiscopale de Mgr Jean Michael Durhone comme évêque de Port-Louis ?
J’étais très content de la très belle ferveur exprimée par les Mauriciens de foi catholique et de mêmr que les autres personnes présentes, même si elles ne sont pas catholiques. Elles ont fait preuve de courage et de stoïcité en assistant à la cérémonie jusqu’à la fin, malgré la pluie. C’était une façon de démontrer que non seulement les Mauriciens de foi catholique, mais le pays tout entier, accordent leur soutien au nouvel évêque de Port-Louis.

Peut-on dire que votre présence à Maurice est significative de la solidarité qui existe entre La-Réunion et Maurice ?
Exactement. Nos relations communes ont une dimension historique. La circulation entre nos îles date de plusieurs siècles avec les bateaux, les guerres, l’esclavage, etc. La mer n’a jamais été un obstacle entre nos diocèses et au sein de l’Église. C’est une collaboration qui va se poursuivre de manière naturelle. Nos aînés, notamment le cardinal Jean Margéot, le cardinal Mauruce Piat et Mgr Gilbert Aubry, ont montré le chemin. Mgr Jean-Michael et moi sommes de la même génération. Nous avons commencé notre séminaire dans deux établissements différents en même temps. Nous nous connaissons depuis 20 ans.

Avez-vous été surpris de l’annonce que vous avez été choisi pour assumer des fonctions épiscopales ?
Oui. Dans ce sens, on peut estimer qu’on correspond à un profil possible d’évêque, mais on n’y pense pas. On a d’autres charges, d’autres dossiers, et la pastorale à mener sur le terrain. Mais lorsque le nonce apostolique cherche absolument à vous rencontrer par différents moyens, on se dit qu’il y a quelque chose d’important qui arrive.
Lorsqu’il vous annonce la décision du pape, tout d’un coup, on sent, comme on le dit à La-Réunion, un « saisissement ». On sent le poids des responsabilités potentielles peser sur ses épaules.

Quel est votre parcours personnel ?
J’ai grandi dans une famille heureuse. J’ai fait des études normales, poussé vers l’excellence, et détiens un baccalauréat littéraire. J’ai fait des études en droit et j’ai deux maîtrises en droit général et en droit privé. Je possède également une licence en histoire de l’art. J’ai aussi fait des études à l’Université grégorienne de Rome, menant à un diplôme à l’Institut des études interdisciplinaires sur les religions et les cultures (ISIRC). Ainsi qu’une licence canonique en missiologie à l’Université pontificale urbanienne, à Rome.

À quel moment avez-vous décidé de vous consacrer à la vie religieuse ?
Rétrospectivement, je me rends compte que Dieu plaçait sur mon chemin les bonnes personnes. Des signes m’étaient adressés. Je pense au chant sacré. Étudiant, j’ai fait partie de la chorale grégorienne de la cathédrale de Clermont-Ferrand. J’ai découvert que je savais chanter. L’aumônerie des étudiants a joué aussi un grand rôle; pour le jeune Réunionnais exilé que j’étais, c’était une deuxième maison.

En changeant de cursus pour m’intéresser à l’histoire de l’art, c’était l’amorce d’une transition plus profonde, qui s’est donnée à entendre par la question « Pourquoi pas ? », et non par un « Je veux » impérieux. L’histoire de la vocation que j’ai ressentie, c’est l’histoire d’un petit Poucet qui regarde en arrière les dons que Dieu avait semés. Après avoir obtenu ma licence d’histoire de l’art, je suis rentré à La-Réunion, où j’ai intégré le service des vocations à Saint-Denis, à La Délivrance.

J’ai été élève prêtre, séminariste d’abord formé à Saint-Denis, puis à Bayonne. J’ai effectué mes stages pratiques le week-end à Hendaye et j’ai vécu la dernière année de formation en tant que diacre à Biarritz. Le 15 août 2004, j’ai été ordonné prêtre au Tampon.

Vos amis proches à Maurice apprécient beaucoup que vous accordiez une grande importance à vos origines chinoises… Pouvez-vous nous en parler ?
Je me réfère à un proverbe chinois, à savoir que plus un arbre développe ses racines, mieux il grandira. Donc, pour l’épanouissement et le bonheur d’une personne humaine, il vaut mieux, dans la mesure du possible, connaître ses racines, quelles qu’elles soient, les assumer et s’épanouir en vivant son identité intérieure. Ce n’est pas facile.
J’aime à rappeler que ma famille est d’origine chinoise de culture hakka. Les Hakka sont très présents à Maurice et dans le Sud de La-Réunion. Notre village natal se situe dans le Sud de la Chine, dans la province du Guangdong, près de la ville de Meizhou. C’est toujours avec un grand bonheur que j’y retourne régulièrement, notamment pour participer à des recherches, tant sur le plan généalogique qu’historique. J’ai réussi à compléter l’album familial, à retrouver des ancêtres communs avec d’autres familles réunionnaises, telles que les Ah-Mouck ou la famille Thien Ah Koon…
Lorsque je voyage en avion, je pense systématiquement à mes grands-parents qui avaient voyagé autrefois en bateau durant un mois pour venir dans les mers du Sud, alors que, dans le sens inverse, nous ne mettons aujourd’hui que 24 heures pour nous rendre sur la terre de nos ancêtres. Dans le passé, les villages en Chine étaient claniques : les personnes portant le même nom et partageant la même généalogie habitaient côte à côte. Notre village a pu garder cette structure et j’y côtoie ainsi de nombreux tontons et taties, cousins et cousines Chane-Teng, dont le nom original est en fait « Zeng ».

De plus, outre la bonne cuisine, un de mes plaisirs est d’aller prier tôt le matin dans la chapelle des ancêtres du village face aux tablettes qui leur sont dédiées, en allumant bien sûr de l’encens. Le bonheur d’être uni à la fois à notre famille du ciel et à Dieu.
Pour ma part, je me considère comme Réunionnais d’origine chinoise. Je prends l’image de la plante greffée : un rameau de Chine a été transplanté en sol réunionnais afin de porter des fruits. J’ai donc été planté en terre réunionnaise. C’est dans cette terre-là que mon identité sino-française s’épanouit; je la porte et je la développe.
J’ai une formule pour dire que je ne suis pas pur chinois parce que je n’ai pas grandi en Chine. Je ne suis pas sans racine non plus. Je vis ici, et maintenant à La-Réunion, avec toutes mes origines, comme l’arbre qui développe et s’appuie sur ses profondes racines en terre créole. J’apprécie la devise du grand maître spirituel catholique Saint-François de Sales : « Fleuris là où tu es ! » Autrement dit, si je ne suis pas un métis par le sang, je le suis par la culture… la culture créole.
Le métissage est beau, c’est notre réalité. Dans un article paru dans Le Journal de l’île de La Réunion, j’avais écrit que Jésus Christ est le modèle de métis originel qui unit en lui la gloire de Dieu, la beauté et la fragilité humaines. Car, dans notre religion, Jésus-Christ est vrai Dieu et vrai homme. En même temps, le métissage est une cause de drames lorsqu’une famille, par exemple, rejette l’autre partie d’une manière générale.

Quelle est la particularité du diocèse de Saint-Denis de La-Réunion ?
À La-Réunion la majorité de la population, estimée à 860 000 habitants, est catholique. En termes de statistiques, cela représente 85% de la population. Notre particularité réside dans le métissage. Maurice est un pays métissé, mais il est beaucoup plus prononcé à La-Réunion. Cela se sent à travers le vocable du terme Créole. À Maurice, il a un sens restreint, tandis qu’à La-Réunion, tout Réunionnais se considère comme un créole réunionnais.

Le Réunionnais vit l’interreligieux au quotidien. Le dialogue interreligieux nous permet de nous fréquenter, de nous comprendre les uns les autres. Cela passe par des actes concrets : par exemple, je suis allé cette année à la rupture du jeûne musulman à Saint-Denis. Pour moi, c’est une heureuse découverte, comme de me rendre en tant qu’invité à la mosquée de Saint-Joseph, il y a quelques années. Ou de visiter plusieurs temples hindous avec une petite équipe de catholiques. L’interreligieux est une réalité au sein du peuple. Nous vivons le défi, en tant que responsables, de continuer à s’apprivoiser, car cela ne va pas forcément de soi. Et si l’interreligieux aide à la concorde entre les Réunionnais, c’est grâce au peuple qui le vit déjà.

Quels sont les principaux défis auxquels vous serez confrontés dans votre diocèse ?
Le premier défi, et qui est-ce celui de tous les évêques, est l’unité dans le clergé. À La-Réunion encore plus qu’à Maurice, il y a beaucoup de missionnaires religieux, dont des spiritains, des salésiens, etc., et qui constituent la moitié du clergé. Mais le défi pour tout baptisé et tout prêtre est de mettre en œuvre l’Évangile. À la lumière des événements qui m’ont interpellés en paroisse et qui m’ont touchés, je pense à la violence dans la famille, un paradoxe dans un pays où prévaut une telle ferveur religieuse. Il y a aussi les addictions. Mes objectifs sont aussi religieux que sociaux.

L’Église défend toujours avec ardeur les pauvres, les faibles, les précaires. C’est la parabole du bon Samaritain dans l’Évangile. Pensons par exemple au rôle central de l’Église dans le développement du système des hôpitaux en Europe. Ici, je pense notamment à l’action des bénévoles de certaines paroisses, le groupe Saint-Vincent de Paul, le Secours catholique, Emmaüs, la fondation de l’abbé Pierre… qui œuvrent avec générosité.

La pauvreté n’est pas uniquement matérielle, elle est aussi morale et s’exprime à travers la violence quotidienne.
J’ai également une pensée pour les professionnels et les nombreuses personnes qui se dévouent pour les autres dans le domaine du social et de la santé. Les situations d’addiction et de violences dans notre île m’interpellent aussi; l’alcool, les drogues…

Tout cela procède aussi d’une emprise diabolique, car le Mauvais veut détruire les personnes. Mon expérience pastorale m’a sensibilisé aux violences intrafamiliales. J’avais ainsi organisé une matinée de sensibilisation pour les bénévoles de la paroisse avec l’intervention d’une professionnelle.
Avec les acteurs déjà très actifs dans ce domaine, l’Église essaie d’apporter sa pierre. Cela passe par la prière, par l’action, mais aussi par la reconnaissance psychologique de notre cœur, parfois si compliqué.

Vous avez également fait des études à Maurice. Peut-on dire que vous avez aussi une part mauricienne ?
Exactement. Nous, les Chane-Teng, comme certaines familles réunionnaises d’origine chinoise, avons d’abord été Mauriciens. J’ai pu rencontrer ma famille et approfondir nos origines grâce aux archives mauriciennes, où j’ai retrouvé la trace de mon grand-père, arrivé à Maurice, dans l’océan Indien, un jour de Noël. Il avait travaillé avec son oncle à Moka depuis 1919. Je suis toujours émerveillé lorsque je regarde Moka. Je me dis que mon grand-père a vécu quelque part là à ses débuts. J’ai de la famille à Maurice.
Ensuite, en 2007, l’évêque de Saint-Denis, Gilbert Aubry, m’a proposé de rejoindre l’équipe des formateurs au séminaire interîles à Beau-Bassin. J’ai accepté et, là encore, je vois rétrospectivement un cadeau merveilleux, grâce à la richesse des relations humaines. J’ai donc une part mauricienne que j’ai redécouverte récemment.

Donc, on s’attend à une forte collaboration entre Maurice et La-Réunion ?
Ce sera une continuité… dans le changement.

Comment s’annonce votre ordination épiscopale ?
Tout est prêt. J’invite les personnes à venir nombreux et nombreuses. Il y aura bien entendu des Mauriciens, surtout ceux qui vivent à La-Réunion. Et il y aura aussi une délégation de la mission catholique chinoise, composée d’une quarantaine de personnes.

 

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