Hubert JOLY
Président du Conseil international de la langue française à Paris
Avec le cardinal de Retz et La Rochefoucauld, Saint-Simon est un des trois personnages de l’histoire de France qui ont tout raté et que seule la gloire littéraire a sauvés.
Il avait pourtant plutôt bien commencé. Louis de Rouvroy, duc de Saint-Simon (on dirait aujourd’hui M. Duchêne) était né en 1675. Son père, Claude de Saint-Simon, originaire de la petite noblesse, avait dû son ascension à sa familiarité avec le roi Louis XIII. Il avait en effet permis au roi, grand chasseur, de changer de cheval en lui présentant tête-bêche (c’est-à-dire parallèlement mais en sens inverse) son nouveau cheval. Il suffisait alors au monarque de se retourner pour enfourcher la bête et, ainsi, gagner des secondes précieuses. Le père de Saint-Simon devint duc. Il avait 69 ans à la naissance de son fils qui fut toujours un peu chétif de santé. Comme chez les nobles, on le destina à l’armée mais il fit tout de même de bonnes études, s’intéressant fort à l’histoire et développant une véritable passion pour la dignité de sa famille et son rang.
Malheureusement, alors qu’il avait un grand respect pour Louis XIII, il n’avait pas d’affection pour Louis XIV qui avait 37 ans de plus que lui … Les Saint-Simon étaient de l’ancienne cour, plutôt austères ou vieux jeu, et notre auteur considérait Louis XIV comme on considère un nouveau riche. Malgré ces handicaps Louis de Rouvroy, vidame de Chartres, commença sans broncher une carrière militaire mais il ne tarda pas à démissionner, ce qui le fit mal voir du roi qui lui reprochait en outre de trop parler. Pourtant Saint-Simon apprit beaucoup de choses de son beau-frère, le duc de Lauzun qui, après avoir fait un séjour à Pignerol (voisin de Nicolas Fouquet) pour insolence, avait failli épouser la Grande Mademoiselle, cousine germaine de Louis XIV, et avait fini par se marier avec une des filles du duc de Lorges, elle-même belle-sœur de Saint-Simon. Lauzun, audacieux et insolent, avait fréquenté la jeunesse de Louis XIV et il savait mille anecdotes croustillantes sur les premiers temps de Mademoiselle de la Vallière et de Madame de Montespan. Toutes choses dont il fit largement profiter notre mémorialiste.
Par chance, Saint-Simon put se lier assez étroitement avec le duc et la duchesse de Bourgogne, petits-enfants de Louis XIV dont il partageait les idées plutôt étroites, mais ses espoirs furent déçus en 1712 lors de la mort de ces deux personnages. Saint-Simon s’était alors rapproché du neveu de Louis XIV dont il devint un intime bien qu’il fut loin de partager la vie dissolue de ce dernier. Avec lui, devenu le Régent, il s’approcha de très près du pouvoir, contribua à la délégitimation des bâtards, le duc du Maine et le comte de Toulouse, écartés au profit du Régent et sa carrière prit fin avec la mort de ce dernier en 1723.
Curieux d’esprit, désireux de défendre son rang et ses privilèges de duc, Saint-Simon « écrit à la diable pour l’éternité » comme le dit justement Chateaubriand. Peu soucieux de bon style, il note tout ce qu’il voit en s’appuyant sur le journal du duc de Dangeau, scrupuleux observateur de chacune des journées du roi, et il y ajoute ses commentaires vifs, drôles, piquants. Des sept volumes publiés aux éditions de La Pléiade, il a fait un véritable monument littéraire et historique en dépit de sa mauvaise foi. On a retenu surtout ses critiques de Versailles et de Marly, son hostilité à Mme de Maintenon mais il a tout de même su rendre justice à la grandeur de Louis XIV.
En tout cas, aucun historien du règne de Louis XIV ne peut se passer du témoignage de Saint-Simon et ses récits volontiers partiaux sont un régal pour les amateurs. La fin de Saint-Simon est triste. Il perd sa femme pour laquelle il avait un « grand attachement » et ses deux fils dont il avait fait, l’un, un futur duc et l’autre, Grand d’Espagne. Il s’éteint en 1755 couvert de dettes mais sa prose demeure brillante pour narrer son morceau de siècle.
J’ai eu le privilège d’emporter les Mémoires de Saint-Simon dans mes bagages en 1960 et 1961, lorsque je suis parti faire mon service militaire en Algérie. Là, j’ai pu oublier le souffle du vent froid qui transperçait mon bordj pendant les longues nuits d’hiver de l’Ouarsenis et je suis reconnaissant à Saint-Simon d’avoir été un compagnon très agréable pendant mes moments de solitude. Ses vues ont pu être contestables et contestées mais il n’a jamais été vil ou méprisable comme certains de ses contemporains. Ce n’est déjà pas mal, pour ce temps et dans ce monde.
La fin de Saint-Simon est triste. Il perd sa femme pour laquelle il avait un « grand attachement » et ses deux fils dont il avait fait, l’un, un futur duc et l’autre, Grand d’Espagne. Il s’éteint en 1755 couvert de dettes mais sa prose
demeure brillante pour narrer son morceau de siècle.