Megh Pillay, Ancien directeur de MK et STC – Baisse des prix pétroliers : «Pas confondre vitesse et précipitation »

Dans le sillage de la promesse du gouvernement de réduire les prix de l’essence de Rs 16 grâce à la baisse de la TVA de 15% à 10% et l’abolition des droits d’accise, Le-Mauricien a rencontré Megh Pillay, ancien directeur de la State Trading Corporation et d’Air Mauritius. Il explique qu’il « ne faut pas confondre vitesse et précipitation avec des solutions à l’emporte-pièce ». Il préconise aussi dans le long terme de write-off les Rs 4 milliards de déficit du Price Stabilisation Account et de rétablir sa fonctionnalité (délibérément retirée en 2015), en plus de retoucher le Petroleum Pricing Mechanism. « Cela stabilisera les prix du pétrole sur le marché local et ralentira la montée de l’inflation artificielle générée par des chocs de prix trop fréquents non déterminés par des règles transparentes », affirme-t-il.

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Le prix de l’essence et du diesel, et son effet sur le coût de la vie, occupent une place importante dans les débats politiques et économiques ces jours-ci. Le gouvernement a promis une baisse de la TVA de 15% à 10% et l’abolition des droits d’accise, soit une baisse de Rs 16 du prix de l’essence. De son côté, l’opposition menée par Navin Ramgoolam annonce une baisse des prix des produits pétroliers. Quelle est votre analyse concernant le prix de l’essence et du diesel ?
Le ministre de Finances, Renganaden Padayachy, vient de confirmer que les prix relèvent de la politique. Tous frais inclus, l’essence et le diesel coûtent au maximum Rs 30 et Rs 28 le litre débarqués à Port-Louis. Vendus à Rs 66.20 et Rs 63.95 le litre aux consommateurs, c’est exagérément cher. Même en excluant les frais de stockage et de distribution, et les marges accordées aux compagnies pétrolières et les pompistes, nous sommes à plus de deux fois le coût. Les taxes et autres prélèvements appliqués par le gouvernement représentent Rs 30 par litre à la pompe. Le prix de vente impacte fortement les prix de produits de consommation courante et des services nécessaires. En ramenant le prix des carburants à des niveaux plus raisonnables et bien calculés, le taux d’inflation aurait été moins pénalisant.
Depuis très longtemps, l’opposition et les consommateurs, par la voix de Jayen Chellum et Satyadev Tengur, revendiquent en vain une baisse des prix reflétant la tendance baissière du baril de pétrole depuis plus d’un an. Le gouvernement en a pris conscience maintenant et promet de baisser les prix. Nous disons que gouverner, c’est prévoir, et ne pas prévoir, c’est courir à sa perte. Donc, c’est déjà bien.

Quelle est la meilleure solution si nous voulons opérer une baisse des prix ?
Il ne faut pas confondre vitesse et précipitation en venant avec des solutions à l’emporte-pièce. Un peu comme l’injection ponctuelle de Rs 250 millions en octobre 2023 pour faire baisser le prix de l’essence, alors à Rs 72, pendant que le prix mondial du pétrole était relativement bas. Il était clair que toute décision sur le prix était prise par le gouvernement, et non pas par le Petroleum Pricing Commitee (PPC). La pratique de fixation des prix des commodités essentiels est guidée par des principes établis. Le droit d’accise est un impôt décidé que par le Parlement. Faute d’explications, nous assumons que l’abolition du droit d’accise est une décision qui sera proposée au prochain Parlement.
Venons-en aux chiffres ! Dans le prix actuel de l’essence et du diesel, le droit d’accise y est pour Rs 11.87 et Rs 4.22, et la TVA Rs 8.63 et Rs 8.34, respectivement. Si le gouvernement veut baisser le prix par Rs 16 sans attendre une motion au Parlement, il peut sans toucher ces deux impôts simplement réduire les autres prélèvements, s’élevant à Rs 30 par litre. Cela peut se faire par un simple règlement ministériel sous les Consumer Protection Régulations 2011. C’est une solution palliative. Dans le long terme, il serait plus sage de Write-Off les Rs 4 milliards de déficit du Price Stabilisation Account (PSA) et de rétablir la fonctionnalité du Price Stabilisation Account (délibérément enlevée en 2015) et retoucher le Petroleum Pricing Mechanism. Cela stabiliserait les prix du pétrole sur le marché local et ralentirait la montée de l’inflation artificielle générée par des chocs de prix trop fréquents non déterminés par des règles transparentes.

Le ministre des Finances a brossé un tableau optimiste de la situation de l’économie. Il parle de boom économique avec une croissance moyenne de 6,5%. Êtes-vous d’accord avec ce postulat ?
Je m’abstiendrai de commenter ces déclarations en cette période préélectorale. Quand les résultats sont si positifs, nous nous empressons de les rendre publics, même non-audités. Or, nous avons lu et entendu les analyses pointues et pertinentes du grand professionnel de finances, Sushil Kushiram, contredisant ce constat. D’ailleurs, en dépit des interventions de la Bank of Mauritius, il n’y a pas suffisamment de devises pour satisfaire la demande et que les importateurs perdent leur crédibilité auprès des fournisseurs étrangers.
En tout cas, c’est un peu comme Air Mauritius qui,  après la menace d’une nouvelle mise sous administration, avait annoncé verbalement des résultats positifs pour son assemblée générale (AGM) avant fin septembre. Mais le 3 octobre, son conseil d’administration a annoncé un report inhabituel de la finalisation de ses états financiers. Et début octobre, elle annonce une prolongation obtenue du Registrar of Companies, repoussant l’approbation de ses comptes jusqu’au 30 novembre 2024.
Comment empêcher les employés de croire que si résultats positifs s’il y avait, l’AGM aurait bien eu lieu, soit le 30 septembre, ou au pis-aller avant le 10 novembre. Ils n’ont pas oublié comment, après avoir accumulé des pertes successives de plusieurs milliards en 2019, MK avait retardé la publication de ses comptes pour ensuite annoncer son état d’insolvabilité qu’au début de 2020 et entré en administration judiciaire avant même que le Covid nous touche. Il n’y a eu aucune explication sur la crainte exprimée publiquement par l’actionnaire minoritaire Raj Ramlugun.

L’industrie touristique se présente comme le moteur de l’économie, surtout depuis le Covid. Est-ce qu’à votre avis tout le potentiel de ce secteur est utilisé pleinement ?
Oui, il l’était et reste toujours un très gros moteur qui fait rouler l’économie du pays. En 2019, MK offrait 2,3 millions de sièges d’avion avec un taux de remplissage de 78%, et transportait plus de 1,7 million de passagers et 75 000 tonnes de cargo,  générant un chiffre d’affaires de plus de Rs 22 milliards.
Parmi les 20 lignes régulières desservant Maurice, MK à elle seule transportait plus de 40% de touristes. Le produit de la vente des billets revenait à notre économie en devises lourdes. Elle était devenue l’épine dorsale de l’économie du tourisme. Mais depuis, elle tourne moins, patine et tombe en panne trop souvent. Quand l’industrie dépend de plus en plus des concurrents de MK, nous perdons ces devises, et c’est au détriment de l’économie du pays.
Le potentiel de ce secteur est largement sous-exploité par manque de vision et de stratégie. Suivant la rupture de la chaîne d’approvisionnement mondiale, nous savions que la reprise post-Covid de plusieurs secteurs de l’économie mettrait du temps à décoller et retrouver la vitesse de croisière. Nous prédisions dès la mi-2021 un phénomène de Revenge Travel qui suivrait la réouverture des frontières des destinations comme Maurice. Évidemment, le tourisme était le fruit à portée de main que l’économie mauricienne pouvait cueillir tout de suite. Malheureusement, Air Mauritius, alors sous administration, incapable de lire les Writings on the wall, se débarrassa du gros de son personnel d’expérience, de ses accords de partenariat historiques, et de la moitié de sa flotte de grande valeur pour moins que des miettes. À peine des semaines après, le gouvernement renflouait les caisses de MK en y injectant Rs 25 milliards. Le tourisme mondial rebondit, mais MK n’avait ni la capacité de flotte, ni les ressources opérationnelles, ni l’intelligence pour en profiter pleinement.

Nous comparons souvent les arrivées touristiques avec les Seychelles et les Maldives. Est-ce la meilleure façon de procéder pour mesurer l’importance de cette industrie ?
C’est vrai que nus sommes tentés de comparer ces destinations avec Maurice, mais les comparer pour évaluer l’importance de l’industrie ne sert à rien, sauf quand nous sommes tous similairement impactés par un facteur mondial hors de notre contrôle, comme la fermeture des frontières durant la pandémie. Nous sommes bien plus loin de nos sources principales de touristes que ces îles des leurs. Les produits sont différents et la physionomie des liaisons aériennes n’est pas la même.

Nous assistons à une surenchère des augmentations des allocations sociales et salariales. Est-ce une bonne chose pour l’économie mauricienne ?
Je ne le crois pas du tout que ce soit bon pour l’économie du pays, qui peine à décoller dans un contexte global qui n’est pas mieux. Comme nos lois permettent une dilapidation des réserves du pays et l’accroissement de sa dette publique pour acheter des votes, nous ne pouvons qu’espérer qu’un gouvernement éventuel légifère pour bannir cette pratique durant une année électorale.

Que pensez-vous de la victoire de Trump à la présidentielle américaine ?
Au moins, il ne se plaindra plus d’élections truquées. Dommage qu’il ne manquait qu’un petit pourcentage de votes pour voir accéder une femme très capable à la tête de la plus grande puissance du monde. Je ne pense pas que la politique américaine envers Maurice change de manière significative d’un président à un autre. L’Establishment du Département d’Etat assure la continuité des affaires et ses intérêts priment. En ce qui concerne les Chagos, le bail de 99 ans renouvelable leur est déjà acquis. La contrepartie reste à être négociée.
Dans le monde des affaires, nous ne cédons rien avant de sécuriser la contrepartie afin de maintenir son levier jusqu’à la conclusion des négociations. Si c’est pareil en politique internationale, nous risquons de nous trouver en position de faiblesse vis-à-vis d’une administration Trump qui ne cède jamais sans pression intenable.

Comment les écoutes téléphoniques, qui ont marqué la campagne électorale, vous interpellent-elles ?
Choqué et très triste pour notre pays. Je reconnais la voix de plusieurs personnes concernées, ce qui me fait revivre les événements entourant mon éviction illégale de MK. Nous comprenons mieux maintenant l’effondrement de notre structure de gouvernance des institutions et de l’ensemble de l’appareil d’Etat.

 

 

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