Dans notre monde globalisé – où, dans le camp de Sapiens, chaque entité dépend de l’ensemble pour ses besoins de base (se nourrir, se loger et se vêtir), et réfléchit en termes de productivité –, nous assistons depuis quelque temps maintenant à la première phase de l’effondrement de notre civilisation. Un lent collapse, en vérité, mais précurseur d’un mouvement plus soudain qui verra, si nous n’y prenons garde, la disparition de nos repères sociétaux. Il faut dire qu’à ce carrefour de notre histoire, les obstacles n’auront jamais été aussi nombreux. Entre le changement climatique et la fin programmée de nos principales sources énergétiques, en passant par les fléaux sociaux qui gangrènent notre évolution et la dégradation de notre biodiversité, entre autres choses, jamais le monde que l’on s’est construit n’aura paru si fragile.
Cet état de fait, bien que semblant paradoxal au vu des progrès énormes que l’humanité aura accomplis en quelques décennies seulement, n’a en soi rien d’étonnant. En fait, nous ne faisons en quelque sorte que de payer le prix aujourd’hui de notre évolution. Tout aura ainsi commencé par la révolution industrielle, née dans les prémices d’un courant de pensée penchant pour la mondialisation de notre système économique. Ainsi, pour résumer, pour profiter au plus grand nombre – et surtout accroître nos profits –, une évidence se sera imposée : nos techniques, nos énergies, nos produits et nos services devaient à tout prix s’exporter. Et c’est ainsi qu’au fil du temps, nos sociétés jusque-là sédentaires et localisées se seront ouvertes, avec pour résultat de voir un monde fractionné muer en une seule et même entité… dans le sens de sa « réalité » économique, cela s’entend.
Ce faisant, nous n’aurons eu de cesse, depuis très longtemps déjà, de piller nos ressources pour en abreuver autant de populations que possibles. Mais si ce système semblait jusqu’ici nous satisfaire, quand bien même il aura dans le même temps accentué les inégalités et généré un fort sentiment d’injustice, il apparaît aujourd’hui évident que celui-ci n’est tout bonnement plus viable. Ainsi le changement climatique nous rappelle-t-il que nous ne pouvons poursuivre avec notre modèle actuel de production énergétique au risque d’hypothéquer la vie sur Terre. Pire : à supposer que cette question, pourtant cruciale, soit reléguée au second plan, il est connu de tous que nos réserves en énergie sont loin d’être éternelles. Au rythme actuel, le pétrole sera en effet épuisé d’ici 50 ans; le gaz d’ici 63 ans; le charbon d’ici 110 ans et l’uranium (pour nos centrales nucléaires) d’ici 100 ans.
Le monde globalisé n’est donc plus un modèle tenable, tout au moins dans sa forme actuelle. De fait, plusieurs options s’offrent à nous, à commencer par le rationnement de nos ressources. Bien que là encore, cela ne règlerait ni la question du réchauffement planétaire, ni celui de la disparition de nos principales sources énergétiques; tout au plus aurions-nous repoussé l’échéance. L’autre possibilité, elle, bien plus réaliste, plus abordable et somme toute plus logique, consisterait à en revenir à un modèle plus circonscrit, avec une plus grande autonomie des États, que ce soit en termes énergétiques ou alimentaires. Seul problème : nous ne sommes pas tous logés à la même enseigne, car les ressources ne sont pas distribuées équitablement à travers la planète. À moins que l’on ne conserve à ce modèle une bonne dose d’entraide.
Il est d’ailleurs frappant de se dire que Maurice est un cas d’école éloquent. Voici donc un pays (le nôtre) sans communication géologique avec le reste du monde – puisque c’est une île –, disposant à la fois d’assez de terres pour nourrir sa population et des meilleures conditions climatiques possibles (soleil, vent et marées) pour pourvoir ses besoins en énergie. Ce qui ne nous empêche toujours pas de compter parmi les nations les plus assistées de la planète (un passage à la pompe à essence ou au supermarché du coin suffit pour s’en convaincre). Preuve qu’à Maurice, le problème est donc avant tout davantage politique que résultant d’une absence de réelles solutions. La question restant de savoir jusque quand nous pourrons encore capitaliser sur les réserves mondiales.
Alors autant s’en convaincre maintenant : le monde ne sera jamais plus « comme avant ».
Nous avons beau être connectés en permanence à la planète entière, que ce soit par avion ou via nos réseaux numériques, tout cela finira dans un vide sidéral lorsque viendra l’effondrement civilisationnel. N’oublions pas que la planète ne nous appartient pas, pas plus que la terre sur laquelle nous sommes assis ! Lorsque nous réaliserons cela, peut-être alors sera-t-il encore temps de repenser notre monde autrement !
Michel Jourdan