Mario Armel, 60 ans de carrière : « J’ai voulu montrer une autre facette de la musique mauricienne »

Propos recueillis par Géraldine Legrand.

Il a marqué la musique mauricienne avec ses morceaux à succès comme Anita my love ou Kari poson. Mario Armel a fêté ses 75 ans en juin dernier. Même si les cheveux sont de plus en plus grisonnants, il a gardé la même verve. Il s’apprête à marquer ses 60 ans de carrière avec un album, où il chante en duo avec des jeunes et fort probablement, en prime un grand concert. L’occasion pour lui de revenir sur sa carrière qui l’a emmené jusqu’en Afrique du Sud, en pleine période de l’apartheid.

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Vous venez de célébrer vos 75 ans et vous fêtez bientôt vos 60 ans de carrière. Quel est votre regard sur ce parcours ?

J’ai débuté ma carrière à 15 ans. A l’âge où d’autres enfants de mon âge sont toujours à l’école, moi je suis monté sur scène pour ne plus jamais la quitter. Je dois dire que la chanson n’a pas toujours été mon gagne-pain. J’ai travaillé comme typographe dans plusieurs imprimeries, avant de finalement me lancer à plein temps dans la musique. Ce choix était évident car je viens d’une famille de musiciens. Mon père faisauit partie de la Police Band. Ma maman était pianiste. Ma grande sœur chanteuse. Mon grand-père maternel était lui, professeur de musique. Donc, je leur ai emboîté le pas, tout naturellement.

Je suis né à la rue Condé à Port-Louis. Plus tard, nous avons bougé à l’impasse Labourdonnais et j’avais comme voisin un certain M. Mardemootoo. Il avait un orchestre et faisait de la musique avec mon père.

Il m’a appris à jouer de la guitare à la dure. Mon premier groupe s’appelait Universal Band, ensuite il y a eu Traveller’s Band. A l’époque, je ne chantais pas encore le séga. Je faisais de la variété et on me surnommait le Mike Brant mauricien. Je venais de rentrer de Madagascar et j’interprétais Laisse-moi t’aimer, qu’on n’écoutait pas encore à Maurice. Et puis, j’avais toujours mes longs cheveux..

Dans les années 60, j’ai intégré les Night Birds et c’est là que j’ai commencé à travailler dans le circuit des hôtels. Ensuite, j’ai rejoint le Hot Club de Rose-Hill du regretté Baby Savripène. A cette époque, il y avait une grande rivalité entre les habitants de Rose-Hill, Beau-Bassin et Port-Louis.

Mes amis et moi n’étions pas trop contents du nom du groupe étant donné que nous venions de Port-Louis. Nous en avons donc parlé à Baby qui a finalement tranché pour renommer le groupe Hot Club tout court. Il y a eu aussi les Night Birds.  Ce groupe animair régulièrement les mariages et les fancy-fairs. C’est avec les Hot Sounds of Mauritius que ma carrière allait toutefois prendre une autre tournure.

Vous avez effectivement décroché un contrat pour travailler en Afrique du Sud. Comment cela s’est passé ?

Dans les années 70 je jouais dans les hôtels. A l’époque, il n’y avait pas beaucoup de compétition dans ce secteur. C’était Baby Savripène qui avait le contrat avec le Mauritius Hotel Group. On jouait cinq jours par semaine pour un salaire mensuel de Rs 315.

Un beau jour, quelqu’un m’a approché, pour me demander si je n’étais pas intéressé pour me produire à l’étranger. Nous avons bien sûr sauté sur l’occasion. Pour nous empêcher de partir, l’hôtel a proposé une augmentation, soit passer de Rs 315 à… Rs 325. Nous avons choisi de partir.

Je dois avouer qu’à cette époque, je ne maîtrisais pas l’anglais. A part ‘yes, no’ qu’on utilisait même de travers…Heureusement que j’avais un copain, Jimmy Tegally qui, lui connaissait un peu l’anglais et il me servait d’interprète. Il m’aidait beaucoup lors de la signature du contrat.

En Afrique du Sud, nous avions fait des ravages avec l’orchestre Hot Sounds of Mauritius. Un journal a même écrit un jour que nous étions l’un des meilleurs orchestres du Southern Sun, le groupe hôtelier. Ensuite, nous avons eu la chance de faire deux albums avec Columbia Broadcasting System. C’est là qu’on a eu Anita my love et Lullaby, entre autres. On avait écrit sur l’album Hot Sounds of Mauritius and sega music.

A cette époque, l’apartheid battait son plein en Afrique du Sud. Comment avez-vous vécu cela ?

Il faut dire que les gens qui venaient nous voir à l’hôtel n’étaient pas des gens de couleur. Ils y étaient interdits. En même temps, il y avait beaucoup de tensions à Johannesburg. C’était chaud. Un jour, alors que notre anglais commençait à se développer, nous avons fait savoir au directeur de l’hôtel que nous venions d’un pays multiracial et multiculturel et que nous n’étions pas très à l’aise dans ce système. C’est là que les gens de couleur ont été aussi autorisés à venir assister aux spectacles.

En revanche, on nous a fait un mauvais coup dans le dos. Alors que la grève éclatait et qu’on devait quitter le pays en vitesse, le directeur est venu avec un nouveau contrat et m’a demandé de signer. Dans la précipitation, je n’avais pas remarqué que c’était un engagement pour 14 ans… Ce n’est qu’une fois rentré à Maurice qu’on s’est rendu compte de cela. Evidemment, on a refusé et on s’est retrouvé face à un Breach of Contract. On a perdu beaucoup d’argent.

Vous avez fait  le choix de ne pas reprendre le rythme traditionnel du séga à l’époque. Pourquoi ?

Je voulais montrer une autre facette de la musique mauricienne. J’ai opté pour la fusion. En même temps, j’avais travaillé à l’hôtel et j’avais vu comment le séga était exploité. Il fallait faire plaisir aux touristes, il fallait que les danseuses lèvent leurs jupes le plus haut possible… Je ne voulais pas m’associer à tout cela. A l’époque de Ti-Frer, les danseuses avaient trois ou quatre doublures sous leur jupe. Mais tout cela avait disparu pour satisfaire les yeux des touristes.

En même temps, j’avais aussi mes propres influences musicales. J’étais influencé par la musique latine que j’ai voulu incorporer à mon style. Et je pense avoir fait le bon choix. Voyez tout le succès que j’ai eu avec Anita my love. Je ne critique personne, mais personnellement je suis fier de mon choix. Je ne renie pas mes origines, d’ailleurs, partout où je vais chanter, j’apporte mon quadricolore mauricien.

Quand on voit la place qu’occupe la fusion dans la musique mauricienne aujourd’hui, on peut dire que vous étiez en avance…

Je dois dire que j’ai eu beaucoup de critiques à l’époque. Puis, un jour, un journaliste a écrit que ceux qui critiquent Mario Armel, doivent le réécouter après 20 ans. Ce qui veut dire qu’en quelque sorte, j’étais en avance, oui.

En parlant de fusion, j’ai entendu des jeunes qui ont fait de belles choses, mais il y en a aussi d’autres qui me font vraiment honte. J’ai vu un morceau sur You Tube, qui ne contient que trois mots, sans compter toute la vulgarité qui va avec… Et tenez-vous bien, cette chanson a récolté 50 000 views ! Où allons-nous ? Venant d’une famille musicale, mes oreilles ne peuvent tolérer de telles choses.

Vous avez aussi été frappé par la censure, avec le morceau Kari Poson. Cela vous a-t-il marqué ?

Il y a eu deux morceaux qui avaient créé un scandale en fait. D’abord, il y avait Fam Kanay. Il y a un journaliste qui avait rapporté que j’avais dit dans la chanson ‘fam ras pli kaka lor later’ alors que c’était ‘fla fla’. Du coup, non seulement la chanson était interdite à la radio, mais les femmes s’en prenaient à moi en public et me menaçaient avec leurs parasols. Je me suis expliqué avec le journaliste et il a reconnu ses erreurs, mais la balle était déjà partie.

Ensuite, il y a eu effectivement le fameux Kari Poson. Dans un premier temps, ce n’était pas moi qu’on avait attaqué. C’était Roger Clency qui l’avait repris. Ensuite, quand j’ai enregistré la chanson plus tard, j’ai connu le même sort, à cause des sensibilités culturelles, alors que je n’avais rien dit de mal. Je me souviens que lorsque je me suis rendu à la MBC pour présenter mon disque, à peine Pamela Patten avait lancé la chanson, elle reçut un appel, l’intimant de l’arrêter tout de suite, faute de quoi elle perdait sa place.

Mais quelques années plus tard, alors que j’étais en Côte d’Ivoire, j’ai décidé de refaire le morceau et de changer les paroles, afin de ne pas blesser les susceptibilités. Et cela a donné le résultat qu’on connaît. Tout cela ce sont des expériences et on apprend.

Selon vous, pourquoi le séga mauricien n’a pu s’imposer à l’international ?

Pour que les gens adoptent une musique, il faut qu’ils puissent danser dessus. Quand nous avons fait notre album en 1974, nous avions même expliqué comment danser le séga dans un livret. Voyez la lambada par exemple, cela a marché parce qu’il y avait une danse, certes sexy, mais pas vulgaire, qui allait avec.

Et puis, il faut dire qu’à Maurice, pour réussir, il faut toujours avoir de l’argent. Il fut un temps où les gens allaient donner leurs disques pour passer à la radio, avec une enveloppe en dessous, pour soudoyer l’animateur et avoir la chance d’être programmé. J’espère que ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Après 60 ans de carrière, vous voulez passer le flambeau ?

J’ai dit à tous mes enfants de ne pas faire de la musique leur métier, mais ils l’ont fait quand même. De même, j’ai toujours cherché à promouvoir de jeunes talents. Je prépare actuellement un album pour mes 60 ans de chansons et je chante en duo avec plusieurs jeunes chanteurs. C’est mon fils Ilario qui produit l’album. Par contre, nous ne savons pas encore si cela va sortir sous forme de CD ou en streaming, nous réfléchissons encore.

Si tout se passe bien, nous allons aussi proposer un concert. Ce sera une manière de célébrer mon anniversaire et en même temps, de passer le flambeau aux jeunes.

Et si c’était à refaire, vous opteriez pour la même carrière ?

Oui et sans hésitation. La musique m’a apporté tant de choses. Même si elle n’a pas fait de moi un homme riche, je suis un homme comblé.

 

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